Le 21 juillet 2021 | Mis à jour le 6 août 2021

Un paravent du célèbre maître laqueur vietnamien Hoang Tich Chù découvert à Lyon

par Diane Zorzi

Un paravent en bois laqué exceptionnel a été découvert lors d’un inventaire dans la banlieue lyonnaise. Estimé à plus de 60 000 euros, il fut commandé durant l’entre-deux-guerres à Hoang Tich Chù, l’un des plus grands peintres de la première génération de maîtres laqueurs vietnamiens.

 

 

« C’est une très belle histoire », prévient François Péron. Le commissaire-priseur a retrouvé lors d’un inventaire un triptyque en bois laqué signé de l’un des meilleurs peintres laqueurs vietnamiens, Hoang Tich Chù (1912-2003). « Il sommeillait dans un petit appartement de la banlieue lyonnaise. Les deux héritières qui m’ont sollicité pour l’inventaire se doutaient qu’il s’agissait d’une pièce importante, mais n’avaient aucune idée de sa valeur. Après des recherches dans les archives de leurs grands-parents, nous avons découvert que le paravent avait été commandé par ces derniers directement auprès de l’artiste, à l’occasion de la naissance de leur second fils ». Ce couple de soyeux lyonnais s’était établi durant l’entre-deux-guerres à Nam Dinh, une ville située au nord du Vietnam qui, au temps de l’Indochine française, était connue pour son importante industrie textile. « Ils s’étaient installés au Vietnam pour se fournir en tissu et y sont restés jusqu’au début des années 1950 », précise François Péron.

 

Hoang Tich Chù, un peintre de la première génération de maîtres laqueurs vietnamiens

Originaire du village de Phù Luu, dans la province du Delta Rouge, Hoang Tich Chù compte parmi les grands maîtres de la première génération d’artistes laqueurs vietnamiens. Lorsqu’il réalise ce paravent, ce fils d’un érudit confucéen vient tout juste d’obtenir son diplôme à l’École Supérieure des Beaux-Arts de l’Indochine. « Il ouvre en 1941 un atelier de peinture de laque sur la rue Hàng Khoai à Hanoï. Durant ses premières années, il établit un style classique, se concentrant sur les paysages et les pagodes, dont la pagode Chùa Thây, près d’Hanoï, présentée ici sur notre paravent », détaille l’expert en art asiatique Pierre Ansas. Arborant une structure en bois laqué brun, rouge, orange et rehaussé d’or et argent, ce paravent témoigne des innovations qu’apporte Hoang Tich Chù dans l’art des laques dont la palette se limitait jusqu’alors à des nuances de bruns, noirs et rouges. « Il a aidé à développer de nouvelles couleurs, tout en contrôlant mieux leurs usures. Il est en partie à l’initiative de l’utilisation de matériaux bruts comme les coquilles d’œuf broyées ou incrustées qui permettent de créer du blanc pur et bleuâtre, les feuilles d’or, la poudre d’argent et de rubis. »

 

Hoang Tich Chù (1912-2003), « Paysage Vietnamien, Vue sur la pagode Chuâ Thây », 1941. Paravent à trois feuilles en bois laqué brun, rouge, orange, et rehaussé d’or et argent. Signé et daté Hoang Tich Chù 1941 en bas à gauche du premier panneau. Dim. Panneau : 101 x 66,5 cm (chaque). Estimation : 60 000 – 80 000 euros.

 

Une vue sur la pagode Chùa Thây

Le paravent dévoile un paysage vietnamien, rythmé de falaises et d’arbres rehaussés d’or et d’argent. Sur le premier volet se détache la montagne Sài Son dépeinte en laque brune. Au centre, la pagode Chùa Thây apparaît en contrebas, sur les rives d’un lac artificiel orangé. Construit au XIe siècle dans le district Quốc Oai de la province d’Hanoï, ce temple est l’un des plus anciens édifices bouddhistes du Vietnam, haut lieu de pèlerinage pendant le Tết. « Avec la progression de la mobilisation du Viet Minh, avec à sa tête Ho Chi Minh, le style artistique de Chù change et devient plus réaliste. Comme beaucoup d’artistes, la majorité de ses œuvres est dédiée à Ho Chi Minh. Il participe la même année à l’Exposition des Beaux-Arts d’Août, commémorant le premier anniversaire de la déclaration d’indépendance d’Ho Chi Minh. Il y reçoit le prix du gouvernement », explique Pierre Ansas. Contraint de rejoindre Hanoï avec sa famille, à la suite d’un raid des forces françaises en 1947, Hoang Tich Chù prend part à des opérations clandestines de résistance orchestrées par le Parti communiste vietnamien, avant d’être arrêté le 23 avril 1953. « A la fin de la première guerre d’Indochine, il enseigne au Collège des Beaux-Arts d’Hanoï et crée en 1953 ce qui est considéré comme la pierre angulaire de l’art de la laque ‘Les Ancêtres du Palais Royal’, qui devient célèbre pour sa riche palette de couleurs ».

 

 

Un rare triptyque en bois laqué estimé à plus de 60 000 euros

De son vivant, Hoang Tich Chù jouit d’une notoriété soutenue et reçoit maintes récompenses, à l’instar du Prix Ho Chi Minh pour les Arts et la littérature qui lui est décerné trois ans avant sa mort. Ses laques richement colorées séduisent les collectionneurs comme les institutions publiques. « Après avoir reçu trois prix lors de l’Exposition Nationale des Beaux-Arts en 1953, il prend part à la décoration du Hall de l’Assemblée Nationale, et devient président de l’Institut des Beaux-Arts d’Hanoï, de sa création en 1969 jusqu’à sa retraite en 1976 », ajoute l’expert.

Aujourd’hui, ses œuvres sont conservées au musée national des Beaux-Arts du Vietnam, au musée d’Arts orientaux de Moscou ou dans des collections privées, dont elles ne sortent qu’à de rares occasions. En effet, seule une dizaine de peintures a été proposée aux enchères ces vingt dernières années. La découverte de notre panneau est ainsi un événement de premier ordre pour tous les amateurs d’art vietnamien. S’il est estimé entre 60 000 et 80 000 euros, tout laisse à penser qu’il devrait aisément dépasser le précédent record enregistré en 2018 à Hong Kong avec un Paysage du Tonkin de 1959 adjugé 98 023 euros (frais inclus). Pour connaître le dénouement de cette belle histoire, rendez-vous le 18 septembre prochain à Corbas, près de Lyon, où se tiendra la vente de prestige de la maison Bérard-Péron qui présentera également à cette occasion un dessin de Pierre-Paul Prud’hon dont les historiens avaient perdu la trace depuis plus d’un siècle.

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