Le 16 septembre 2022 | Mis à jour le 16 septembre 2022

Les gravures sur lames de la manufacture de Klingenthal

par Michel Fradin

Actifs aux XVIIIe et XIXe siècles, les Bisch père et fils ont réalisé des décors de lames de sabres d’une qualité inégalée pour la manufacture royale et impériale d’armes blanches de Klingenthal, en Alsace. L’expert Michel Fradin raconte l’histoire de ces deux graveurs-doreurs, auteurs d’œuvres d’exception.

 

Les armes anciennes sont rarement considérées comme de véritables œuvres d’art. Seules quelques pièces destinées à des souverains ou à de riches amateurs méritent, par les matières utilisées, la complexité des mécanismes et la richesse du décor, ce qualificatif flatteur. Certains artisans-artistes, qui auraient pu mettre leur talent au service de l’orfèvrerie de luxe ou de la gravure, ont néanmoins choisi de se consacrer à l’embellissement d’armes fièrement portées et glorifiant le « statut social » de leurs propriétaires.

 

La manufacture de Klingenthal, la première fabrique française d’armes blanches

Sous le Premier Empire, les armes blanches de troupe et d’officier étaient fabriquées en Alsace par la manufacture de Klingenthal. Les armes de grand luxe, destinées aux plus hauts dignitaires des armées impériales et aux cadeaux diplomatiques, étaient fabriquées quant à elles à la manufacture de Versailles, sous la direction du « Directeur-artiste » Nicolas-Noël Boutet. Elles étaient cependant montées avec des lames provenant de Klingenthal et décorées par les graveurs de cette manufacture, Versailles ne fabriquant aucune lame.

 

Sabre de présent d’officier d’artillerie, talon de la lame signé « gravé et doré par Bisch le jeune ». Adjugé 16 740 euros (frais inclus) par Boulogne enchères le 5 juin 2021 et expertisé par Bernard Croissy.

 

Dans cet endroit bucolique de la « vallée des lames »,  la famille Bisch allait donner naissance aux décors de lames de sabres parmi les plus beaux jamais réalisés. Bisch est un nom alsacien tellement répandu que l’on en compte 310 dans les registres du personnel de la manufacture, entre sa date de création en 1756 et sa transformation en entreprise privée en 1838. S’ils n’étaient pas tous apparentés et dotés des mêmes talents, deux d’entre eux, François-Joseph Bisch (1756-1831) et son fils François-Xavier (1793-1841), réalisèrent des œuvres d’une qualité d’exécution sans pareil, en utilisant un vocabulaire décoratif reflétant parfaitement les goûts de leur époque. On distingue ainsi le travail du père, caractérisé par le style du Directoire et de l’Empire, de celui du fils, traduisant les évolutions esthétiques de la Restauration.

 

Les Bisch père et fils : le savoir-faire de deux graveurs-doreurs

Ces deux artistes sont à l’origine des « graveurs-doreurs ». Ce métier n’est décrit dans aucun manuel et ne s’apprend que par transmission entre maîtres et apprentis, au cours de longues années de formation. La technique de base consiste à appliquer sur l’objet un vernis protecteur, avant de le graver à l’aide d’une pointe sèche. L’objet est ensuite plongé dans un bain d’acide qui attaque le métal, plus ou moins profondément, sur les surfaces gravées, et le vernis est éliminé. D’autres procédés peuvent être associés à cette gravure de base, tels que le polissage, le bleui ou la dorure, ainsi que l’utilisation d’un acier spécial, le damas, qui apporte des motifs moirés plus ou moins complexes dans la masse de l’acier.

François-Joseph Bisch et son fils ont su à la fois marier harmonieusement ces différents procédés, et créer des motifs évoquant l’environnement militaire de leurs commanditaires et déclinant les éléments décoratifs à la mode du temps. A la veille de la Révolution, sous le Directoire et plus encore sous l’Empire naît, chez les officiers, un goût pour les armes de luxe. François-Joseph Bisch emploie alors le vocabulaire décoratif du style Empire (symétrie, rigueur des compositions, palmettes, rubans, couronnes de laurier et guirlandes, etc.), auquel il ajoute les motifs militaires traditionnels (faisceaux de licteurs, drapeaux, armes diverses, tambours, etc.). Se détachant sur un fond bleu profond, ses gravures dorées illuminent les armes.

 

Gravure typique de la période Premier Empire par François-Joseph Bisch. © Association pour la Sauvegarde du Klingenthal.

 

François-Xavier Bisch a quant à lui pris des cours de dessin et a été l’élève du miniaturiste Jean-Urbain Guérin. Il remplace son père à la manufacture de Klingenthal en 1822. Avec la Restauration, la mode change rapidement et l’on apprécie désormais les lames à fond doré sur lequel la gravure polie se détache avec un éclat brillant. Grâce à sa formation de miniaturiste, François-Xavier réalise des décors occupant tout l’espace de la lame, en multipliant de véritables tableaux miniatures très détaillés. Son vocabulaire décoratif utilise encore des réminiscences du style Empire, auxquels il adjoint les nouveaux motifs du temps (rinceaux, feuillages, acanthes, guirlandes), ainsi que des scènes de combat, des revues militaires ou un guerrier en armure antique caractéristique de ses réalisations.

 

Gravure typique de la période Restauration par François-Xavier Bisch. © Association pour la Sauvegarde du Klingenthal.

 

Gravure typique de la période Restauration par François-Xavier Bisch. © Association pour la Sauvegarde du Klingenthal.

 

La cuirasse du couronnement de Charles X

Ces belles lames, parfois signées, sont très prisées des amateurs de sabres, mais son chef d’œuvre reste l’extraordinaire cuirasse commandée par le baron de Latour-Foissac, colonel du Régiment des Cuirassiers de la Reine, pour l’escorte du carrosse royal lors du couronnement de Charles X le 29 mai 1825 à Reims. Cette cuirasse, proche du modèle 1825, fabriquée à la manufacture royale de Klingenthal, est remarquable par la richesse du décor gravé et doré qui couvre toute la surface. Elle aurait été réalisée entre septembre 1824, date de l’accession au trône de Charles X, et mai 1825, date de son couronnement. Le décor multiplie les feuilles d’acanthe, guirlandes de feuilles de chêne et de laurier, trophées d’armes et drapeaux, le tout alternant les surfaces dorées et polies brillant. Le plastron et la dossière sont décorés « en suite » et devaient resplendir sous le soleil.

 

Cuirasse gravée et dorée par François-Xavier Bisch, manufacture de Klingenthal. Conservée au Metropolitan Museum of Art de New York, ref 2015.295a, b.

 

Cette cuirasse est restée en France, par succession et ventes publiques, jusqu’en 2014, date à laquelle elle est rentrée dans les collections du Metropolitan Museum of Art à New York, preuve de l’excellence des productions des artistes graveurs-doreurs de la manufacture de Klingenthal. Sans aller jusqu’à New York, de nombreuses œuvres des Bisch père et fils sont visibles à la Maison de la Manufacture de Klingenthal.

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