
Comment expertiser un bronze animalier ?
Représentés de manière très réaliste, stylisée ou fantasmée, les animaux en bronze s’invitent régulièrement en salles des ventes. Voici quelques clés pour enchérir et comprendre un marché vaste et complexe, peuplé d’éditions multiples.
Commençons avec, en guise de premier exemple, un Eléphant du Sénégal par Antoine-Louis Barye (1796-1875). Cette sculpture en bronze est passée en vente plusieurs fois au cours des derniers mois, avec des résultats très différents : 12 740 euros chez Piasa en décembre, 1 440 euros chez Pousse-Cornet en novembre, 9 044 euros chez Millon le même mois… « A l’époque de Barye, il n’y avait pas de limite légale à l’édition de bronzes, et les artistes pouvaient céder leur atelier complet, ouvrant la voie à des éditions sans fin et non numérotées, explique Alexis Jacquemard de la maison Millon. Il faut donc examiner chaque pièce et sans certitude, nous ne pouvons rien affirmer… En conséquence, pour ces bronzes anciens les plus hauts prix sont réalisés pour des fontes du vivant de l’artiste ».
Pour la même époque, prenons le cas de Christophe Fratin (1801-1864), connu pour ses groupes autour du thème de la chasse : « il a cédé son atelier de son vivant, et à ma connaissance ses bronzes ne portent pas de marque de fondeur ». Difficile donc sans expertise poussée de distinguer deux éditions de ses Deux chiens de meute (dernière adjudication en novembre 2024, 1 850 euros chez Thomas Enchères)… Les prix sont plus soutenus pour des statuettes moins courantes telles que sa série d’ours exerçant différents métiers : violoniste, jouant de la cornemuse, dentiste… En général estimés et adjugés autour de 4 000 à 6 000 euros.

Antoine-Louis Barye (1795 – 1875), Éléphant du Sénégal – grand modèle. Bronze à patine brun vert. Porte la marque du fondeur « F. Barbedienne ». 25 x 33,5 x 21 cm. Adjugé 12 740 par la maison Piasa le 17 décembre 2024.
L’édition : la distinction entre les fontes du vivant de l’artiste et les fontes posthumes
A partir des années 1920, le style des bronzes animaliers, jusque-là très réaliste, change pour aller vers davantage d’épure (à l’exception notable du travail de Rembrandt Bugatti). C’est le cas des créations de François Pompon (1855-1933), auteur notamment d’oiseaux stylisés : une Pintade fonte ancienne Hebrard avec son cachet de fondeur peut être estimée 15 000 à 20 000 euros, parce qu’il est déterminé que cette édition date des années 1930. Cet artiste a malheureusement été édité de manière posthume et un peu anarchique, ce qui force les experts à se montrer prudents. Le 3 mars dernier, une Panthère noire et un Grand ours « d’après Pompon » ont logiquement été adjugés à l’estimation, soit 2 200 euros pièce chez Alexandre Landre.
Autre grand nom de l’époque, Georges-Lucien Guyot (1885-1972) a lui aussi été repris, surmoulé, édité. Cela explique de grandes variations de prix : 46 640 euros pour une Lionne aux aguets, fonte du vivant de l’artiste chez Mercier en mai 2024 ; et seulement 3 514 euros pour une Lionne couchée d’après Guyot en 2020 chez Besch Cannes Auction. « Il n’existe que peu d’ouvrages de référence pour s’y retrouver, regrette Alexis Jacquemard, à part celui très complet sur Barye, il faut se fier à la qualité de la sculpture, de la ciselure, de la patine, regarder les signatures et marques… ».
Ce problème d’édition (ou de surmoulage postérieur) se pose pour tous les bronzes animaliers de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. A l’époque, la pratique est légale, et aucune loi n’encadre la fabrication. Les éditions, en différentes tailles, se multiplient dès lors qu’un sujet plaît au public. En 1935, une première loi encadre la dénomination de « bronze », l’alliage métallique doit comprendre 65 % au moins de cuivre. En 1981, le nombre d’exemplaires va être limité à huit (plus quatre épreuves d’artiste).

Georges-Lucien Guyot (1885-1973). Lionne aux aguets. Sculpture en bronze à patine brune, signée. Fonte à la cire perdue de Susse Frères, numérotée 5. Fonte du vivant de l’artiste, circa 1930. 29 x 54 x 12,5 cm. Adjugé 46 640 par la maison Mercier le 25 mai 2024 à Lille.
Bugatti, Lalanne, Pompon, Artus… les favoris du marché
« Les locomotives du marché sont Rembrandt Bugatti et les Lalanne, ils font les prix les plus importants, et déplacent les collectionneurs étrangers », affirme Alexis Jaquemard. Il cite également parmi les favoris du marché François Pompon, Charles Artus, Maurice Prost, Roger Godchaux ou Georges Guyot. « Pour leurs œuvres, lorsque l’estimation est conforme au marché, cela se vend très facilement ».
Les amateurs, plutôt des hommes quinquagénaires ou plus, peuvent avoir plusieurs axes de recherches : soit un sculpteur et dans ce cas ils peuvent avoir un même animal en différentes tailles, soit un animal en particulier, toutes époques et auteurs confondus, soit encore une période, qu’il s’agisse de l’Art déco, des sculptures d’après-guerre…
Les félins, domestiques ou sauvages, ont souvent la préférence des enchérisseurs, suivis par les éléphants, les ours, et certains oiseaux. « Dans cet univers les prix sont assez stables, mais cela reste une spécialité difficile car les belles pièces sont rares et les collectionneurs les conservent longtemps, souligne l’expert, c’est la raison pour laquelle nous ne proposons qu’une seule vente Bestiaire par an chez Millon ! »
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Charles ARTUS (1897 – 1978), Troupiale. Circa 1932. Sculpture en bronze à patine noire. Fonte d’édition anthume par la fonderie Georges Rudier. Signé « Ch.Artus » et marque de fondeur. 20 x 9 x 7 cm. Adjugé 26 600 euros par la maison Millon le 15 novembre 2024 à Paris.