L’authenticité des œuvres d’art : le décret Marcus, un texte fondamental du marché de l’art
Pour fixer le prix d’une œuvre d’art, les commissaires-priseurs et experts déterminent ses qualités essentielles. « Attribué à », « atelier de », « style »… : le décret Marcus promulgué en 1981 impose des directives précises dans la description opérée des œuvres d’art et objets de collection. Premier tour d’horizon des principaux enjeux attachés à la désignation de l’auteur d’une œuvre et à ses nuances et déclinaisons éventuelles.
Rares sont les textes juridiques qui s’avèrent habituellement désignés par le nom de leur rédacteur et qui ont réussi à s’imposer à l’ensemble des acteurs d’un même secteur. Le décret du 3 mars 1981, dit décret Marcus [1], compte parmi ces textes précieux. Il constitue, en effet, tout à la fois l’un des outils juridiques fondamentaux du droit du marché de l’art et de son contentieux, ainsi qu’une référence imposant aux professionnels une description rigoureuse des objets et œuvres proposés à la vente et aux acquéreurs une limite à leurs attentes potentielles.
Un décret, fruit d’un long processus
Ce décret est l’aboutissement d’un long processus. Dès 1974, une proposition de loi avait été présentée par Monsieur Claude-Gérard-Marcus, député de Paris et expert en tableaux anciens, qui, dans l’exposé des motifs, soulignait l’imprécision qui entourait l’emploi des termes utilisés dans le domaine des antiquités et des œuvres d’art [2]. Or, une telle imprécision « peut permettre à des vendeurs de mauvaise foi de faire croire à leurs acheteurs qu’ils achètent une œuvre ancienne alors qu’il s’agit d’une copie », ôtant alors toute sécurité juridique attachée à la description d’une œuvre et détruisant la confiance nécessaire qu’un marché comme celui du commerce de l’art doit offrir. Dans son exposé des motifs, le député ajoutait que, même de bonne foi, le vendeur peut aussi méconnaître la valeur ou la portée des termes utilisés par les experts pour qualifier l’objet vendu. Il convenait donc de parvenir à imposer un vocabulaire dont la signification revêtirait un caractère obligatoire, afin d’éviter toute déconvenue tant à l’occasion de la mise en vente d’une œuvre qu’à l’occasion de la contestation de celle-ci devant les tribunaux. Pour ce faire, la terminologie arrêtée a été très inspirée des formulations insérées dans les conditions de vente figurant dans les catalogues des deux grandes maisons de vente anglo-saxonnes. Les pratiques en usage en Angleterre ont donc irrigué la rédaction des conventions de langage que le décret Marcus édicte et dont le marché s’est depuis lors saisi [3].
« Le texte repose sur une méthodologie efficace portant sur l’identification des caractéristiques d’une œuvre, dont notamment la désignation de l’auteur, de l’époque de production, des matériaux utilisés, des techniques utilisées ou encore de son état de conservation. »
Le décret a créé, en ce sens, un vocabulaire précis pour décrire les principales caractéristiques d’une œuvre d’art et engager l’ensemble des parties à une transaction sur ce descriptif. L’article 1er du texte s’en fait explicitement l’écho. En effet, celui-ci dénote l’engagement pris par les professionnels du domaine, tenus de délivrer à l’acheteur une facture, quittance, bordereau de vente ou extrait du procès-verbal de la vente publique contenant les spécifications qu’ils auront avancées quant à la nature, la composition, l’origine et l’ancienneté de la chose vendue. L’engagement sur la description réalisée constitue la pierre angulaire de l’ensemble des prescriptions des articles suivants, puisque le choix de tel ou tel terme constituera ou non une garantie au bénéfice de l’acquéreur et du vendeur. Par ailleurs, le texte repose sur une méthodologie efficace portant sur l’identification des caractéristiques d’une œuvre, dont notamment la désignation de l’auteur, de l’époque de production, des matériaux utilisés, des techniques utilisées ou encore de son état de conservation.
L’auteur de l’œuvre, au cœur des garanties apportées
Les modalités de détermination contractuelle de l’auteur de l’œuvre ont nécessité la mobilisation de près de la moitié des dispositions du décret – des articles 2 à 7 -, ainsi qu’un nombre conséquent de précisions terminologiques, ce qui illustre l’importance de l’attribution à tel ou tel auteur pour le marché et ses acteurs. Le texte instaure ainsi une véritable hiérarchie, avec un ordre décroissant de certitude [4]. Au sommet de cette hiérarchie, se trouve l’auteur, désigné dès l’article 3 qui dispose qu’à « moins qu’elle ne soit accompagnée d’une réserve expresse sur l’authenticité, l’indication qu’une œuvre ou un objet porte la signature ou l’estampille d’un artiste entraîne la garantie que l’artiste mentionné en est effectivement l’auteur ». La notion de garantie émerge à nouveau, en miroir de l’engagement pris par le professionnel intermédiaire. Quant à l’article suivant, celui-ci précise que le même effet, soit la même garantie, s’attache à l’emploi du terme « par » ou « de » suivi de la désignation de l’auteur. Il en va de même lorsque le nom de l’artiste est immédiatement suivi de la désignation ou du titre de l’œuvre.
« L’emploi du terme “attribué à” suivi d’un nom d’artiste garantit que l’œuvre ou l’objet a été exécuté pendant la période de production de l’artiste mentionné et que des présomptions sérieuses désignent celui-ci comme l’auteur vraisemblable ».
Les désignations ou dénominations suivantes s’attachent, quant à elles, à des qualités plus modestes ou mineures pour le marché. Ainsi en va-t-il des termes « attribué à », « atelier de », « école de », etc. Toutes demeurent néanmoins avec un auteur précis, renforçant l’attrait du marché pour un lien physique ou au moins spirituel avec tel ou tel artiste célébré. L’article 4 précise que « l’emploi du terme “attribué à” suivi d’un nom d’artiste garantit que l’œuvre ou l’objet a été exécuté pendant la période de production de l’artiste mentionné et que des présomptions sérieuses désignent celui-ci comme l’auteur vraisemblable ». Bien que la mention « attribué à » permette de préserver la responsabilité de l’intermédiaire en cas d’attribution erronée, en raison de l’entrée d’un aléa dans le champ contractuel, il n’est cependant pas loisible de la mobiliser sans raison.
Cette précision des normes visées par le décret se dévoile également dans l’expression « atelier de », qui obéit à un critère d’ordre matériel ou intellectuel selon des auteurs, conformément à l’article 5 du texte. Elle garantit que l’œuvre a été exécutée soit physiquement dans l’atelier, soit encore sous la direction du maître. Le critère est alors celui de la date et du lieu. Dans le cas des ateliers à caractère familial, qui se sont maintenus sur plusieurs générations, la mention de l’atelier doit être obligatoirement suivie d’une indication d’époque. Selon ces mêmes auteurs, « on glisse là vers une obligation d’information. Pour le vendeur, il ne s’agit plus seulement de tenir ce qu’il promet ou désigne, mais de délivrer des informations supplémentaires lorsqu’il utilise telle ou telle information » [5]. L’article 6 du décret précise les limites de la garantie apportée par l’emploi des termes « école de » suivis d’un nom d’artiste. Ici, la garantie ne porte que sur trois aspects. Le premier critère relève d’une filiation matérielle : l’auteur de l’œuvre a dû être l’élève du maître cité. Le deuxième critère relève d’une filiation spirituelle, puisque l’auteur de l’œuvre a dû notoirement subir l’influence de son maître ou avoir bénéficié de sa technique. Enfin, le troisième critère est temporel. En effet, les termes « école de » ne peuvent s’appliquer qu’à une œuvre exécutée du vivant du maître cité ou dans un délai inférieur à cinquante ans après sa mort.
« Les expressions “dans le goût de”, “style”, “manière de”, “genre de”, “d’après”, “façon de”, ne confèrent aucune garantie particulière d’identité d’artiste, de date de l’œuvre, ou d’école. »
Au contraire, l’article 7 énonce que les expressions « dans le goût de », « style », « manière de », « genre de », « d’après », « façon de », ne confèrent aucune garantie particulière d’identité d’artiste, de date de l’œuvre, ou d’école. Ainsi, si un fauteuil « Louis XV » doit avoir été produit durant la période de développement de ce mouvement artistique, un fauteuil de « style Louis XV » se contentera de reprendre les caractéristiques esthétiques correspondantes tout en étant fabriqué postérieurement. Ces clauses de style, sans portée juridique, valorisent l’objet sur lequel elles portent et attirent tant le regard que l’intérêt de l’acquéreur potentiel. Celui-ci doit néanmoins s’en méfier afin d’éviter qu’une déception éventuelle ne puisse lui permettre une remise en cause de la transaction, faute de garantie formelle apportée par le professionnel.
En définitive, l’un des premiers mérites de ce texte réside dans l’adoption de critères objectifs et précis pour décrire contractuellement les caractéristiques des œuvres et permettre aux juges d’en apprécier la pertinence. Une certaine objectivisation des attentes respectives des parties au contrat est donc prescrite par le texte rédigé par le député Marcus. L’extrême exhaustivité de son article 1er permet, en outre, son application large à tout vendeur, professionnel ou non, direct ou par un intermédiaire, à toute forme de vente, aux enchères publiques ou de gré à gré. Et au-delà de la seule précision de la désignation de l’auteur de l’œuvre, le texte impose également de mentionner certaines de ses caractéristiques. Parmi celles-ci, l’existence de modifications éventuelles de l’état d’origine de l’œuvre d’art ou de l’objet de collection constitue certainement l’un des enjeux fondamentaux du texte. Ce sera là, l’objet d’un deuxième tour d’horizon des conséquences attachées à l’œuvre du député Marcus.
[1] D. no 1981-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection, JO 20 mars 1981, p. 825.
[2] Proposition de loi tendant à assurer la protection des acheteurs d’œuvres d’art, présentée par M. C. G. Marcus, Assemblée nationale, no 1224, 8 oct. 1974.
[3] Rapport d’information no 330, Sénat, Annexe au procès-verbal de la séance du 29 avril 1999, sur les aspects fiscaux et budgétaires d’une politique de relance du marché de l’art en France, présenté par Yann Gaillard.
[4] S. Vigneron, Etude comparative des ventes aux enchères publiques mobilières (France et Angleterre), LGDJ, 2006 no 132, p. 109.
[5] M. Cornu, N. Mallet-Poujol, Droits, œuvres d’art et musées, CNRS, 2006, no 167, p. 113.
Article signé Alexis Fournol, Avocat à la cour
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