Le 16 janvier 2025 | Mis à jour le 17 janvier 2025

Le style des tiroirs à travers les époques, d’Henri IV à Napoléon III

par Jacques Dubarry de Lassale

Les tiroirs sont les pièces les plus difficiles à copier pour un faussaire. Pour déterminer l’époque et l’authenticité d’un meuble, les experts les examinent ainsi scrupuleusement. Afin de se prémunir des erreurs d’expertise, Jacques Dubarry de Lassale retrace l’évolution de la construction des tiroirs à travers les époques, du XVIe au XXe siècle. 

 

Lors de la confection d’une fausse table, avec un tiroir en ceinture par exemple, le faussaire préférera construire sa table à partir d’un tiroir de récupération parfaitement authentique et des coulisseaux usagés. Ainsi, une bonne connaissance de la construction des tiroirs à travers les différentes époques permet de ne pas se faire piéger et d’apprécier l’époque réelle de fabrication d’un meuble.

 

Les tiroirs, d’Henri IV à Louis XIII

Au cours des règnes d’Henri IV (1589-1610) et Louis XIII (1610-1643), l’assemblage des côtés du tiroir sur la façade est réalisé au moyen d’une seule queue d’aronde, maintenue en place par un clou forgé [photo 1]. Les fonds des tiroirs sont assemblés par rainure et languette sur les quatre côtés [photo 2]. Il est courant de retrouver ce montage jusqu’à l’époque Louis XV. Les quatre côtés sont de la même hauteur, durant tout le XVIIe siècle et une grande partie du XVIIIe siècle. Dans les meubles régionaux, il est courant de trouver ce montage jusque sous Louis XV.

 

 

Les tiroirs d’époque Louis XIV, Régence et Louis XV

Au cours des époques Louis XIV, Régence et Louis XV, soit de 1643 à 1774, l’assemblage des côtés sur la façade et le dos du tiroir est réalisé par deux ou trois queues d’aronde. Pour la fixation des fonds, plusieurs systèmes ont été utilisés [voir croquis et photo 3]. Ils sont simplement collés, pour les petits tiroirs, soit cloués avec des pointes tréfilées [photo 3 et B dans le croquis]. Ils peuvent être cloués avec des clous forgés plats et triangulaires [A dans le croquis], notamment dans les cabinets hollandais et les commodes de Thomas Hache. Ils peuvent enfin être chevillés, soit verticalement (cabinets allemands et hollandais du XVIIe siècle), avec un chevillage du fond sur les côtés, soit horizontalement (cabinets indo-portugais du XVIIe siècle), avec un chevillage des côtés sur le fond [photos 4 et 5, C dans le croquis].

Au cours de cette période, théoriquement, les queues d’aronde qui fixent le dos affleurent avec l’arrière. Ce sont alors des plaquettes collées sur les queues d’aronde fixant la façade qui vont servir de butée au tiroir, celles-ci venant buter contre d’autres plaquettes collées sur la masse des pieds avant [photos 6 et 7]. Ceci, bien entendu, pour les tiroirs qui n’ont pas de recouvrement. Cependant, il existe des exceptions. J’ai ainsi expertisé une commode de port en acajou, dite bordelaise, incontestablement du XVIIIe siècle, dont les côtés de tiroir se prolongeaient pour servir de butée contre le dos de la commode [photo 8].

 

 

Les tiroirs d’époque Louis XVI et Directoire

Au cours des époques Louis XVI et Directoire, soit de 1774 à 1803, le montage des côtés s’effectue au moyen de trois ou quatre queues d’aronde. La grande différence sera marquée par le montage du fond du tiroir qui sera assemblé en rainure comme sous Louis XIII [photo 9 et D dans le croquis], mais sur trois côtés seulement, le fond étant engagé par l’arrière et cloué sur le dos. Les quatre côtés seront toujours de même hauteur, mais le système de butée par plaquettes collées sur les queues d’aronde des tiroirs et des masses de pied sont abandonnées. La butée se fait à présent par le dos du tiroir venant en appui contre le dos du meuble. A ce sujet, il n’est pas rare de trouver des morceaux de placage collés sur le dos du meuble pour régler l’enfoncement du tiroir.

 

 

Les tiroirs d’époque Empire et Restauration

Au cours des époques Empire et Restauration, soit de 1804 à 1830, le nombre de queues d’aronde augmente jusqu’à en atteindre sept sur un tiroir de commode [photo 10]. De même, celles-ci forment un angle plus aigu [photo 11] et elles sont en général très bien ajustées. Le dos du tiroir commence quant à lui à être moins haut que les côtés. Les côtés se prolongent au-delà du dos [photo 8] et servent souvent de butée pour les tiroirs sans recouvrement, c’est-à-dire pour ceux dont la façade ne sert pas elle-même de butée.

 

 

Les tiroirs d’époque Louis-Philippe et Seconde République

Au cours des époques Louis-Philippe et Seconde République, soit de 1830 à 1852, les côtés des tiroirs en doucine des commodes, des secrétaires ou des consoles, sont assemblés à demi-queue d’aronde verticale [photo 12].

 

Tiroir en doucine à demi-queue d’aronde verticale.

 

Les tiroirs d’époque Napoléon III

Au cours de l’époque Napoléon III, soit de 1852 à 1870, et même jusqu’à 1900, apparaît la butée à l’ouverture du tiroir, de telle sorte que le tiroir ne puisse sortir plus que nécessaire et risquer de tomber. Ce système est constitué d’un trou à l’arrière de chacun des côtés du tiroir, dans lequel on engage un tourillon. Une fois le tiroir engagé dans son logement, on pousse les tourillons de l’intérieur vers l’extérieur. Ces derniers créent ainsi des butées qui viendront en appui des parois intérieures du meuble, réglant l’ouverture maximale du tiroir [photo 13 et E dans le croquis].

 

 

Quelques remarques subsidiaires

Sous Louis XIII, un certain système de coulissage du tiroir a été utilisé couramment. Il est constitué de deux rainures pratiquées sur les côtés du tiroir, dans lesquels coulissent des carrelets fixés sur le bâti [photo 14].

En général, on compte plus de queues d’aronde côté façade que côté dos.

Dans les beaux meubles marquetés, les côtés des tiroirs seront constitués de planches minces arrondies sur le champ supérieur [photo 15]. Les chanfreins des façades de tiroirs, sur les commodes marquetées du XVIIIe siècle, sont généralement plaqués en bois de travers et l’on peut constater que certains ébénistes, dans un souci de perfectionnisme, ont plaqué les quatre angles en bois de fil afin de les rendre moins fragiles [photo 16]. Malheureusement, certains restaurateurs n’ont pas toujours respecté l’esprit du meuble.

A partir de 1900 environ, on peut trouver des fonds de petits tiroirs, de table bouillotte par exemple, en contreplaqué. Il y a lieu de regarder le champ arrière du fond pour s’en assurer. Tous les montages de tiroirs que nous venons de décrire représentent la majorité des cas rencontrés, cependant, il est bien évident que des particularités peuvent exister.

 

 

 

Photo en Une : Bureau plat rectangulaire en placage de bois de rose ouvrant par trois tiroirs en façade et reposant sur des pieds gaine terminés par des sabots de bronze. Epoque Louis XVI. Adjugé 3 300 euros par Christophe Herbelin le 25 mai 2022 à Chinon.

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