Fruit d’une histoire commencée au XVIIe siècle, la Chartreuse n’a toujours pas livré ses secrets. Et cette liqueur passionne aujourd’hui les collectionneurs de spiritueux du monde entier. Décryptage.
Il existe plusieurs débuts à l’histoire de la Chartreuse. L’ordre des moines Chartreux est créé en 1084 par Saint Bruno, mais il n’est alors pas question de distiller quoi que ce soit. « En 1605, un manuscrit leur est remis par le Maréchal d’Estrées, qui mentionne la formule d’un élixir, développe l’expert Gilles Bressy, et il ne se passe plus rien jusque vers 1760, date à laquelle il existe une production de remèdes d’apothicaires… Les Chartreux élaborent alors cet élixir de longue vie comme ils fabriquent également du dentifrice liquide ». 1840, c’est le moment où la production commence vraiment… Et où l’histoire se complique ! Car les pères Chartreux vont être expulsés en 1903 de leur monastère de Saint-Pierre-de-Chartreuse dans l’Isère et partiront s’installer en Espagne, donnant naissance au passage à la Chartreuse Tarragone qui existe jusqu’en 1989… Alors qu’ils réintègrent leurs pénates en 1940. Et pour ne rien simplifier, suite à un éboulement en 1935 qui les contraint à déplacer la distillerie existante, ils en installent une autre à Voiron, jusqu’à son déménagement à Aiguenoire en 2019. Chacune de ces étapes a son importance sur le marché actuel de la Chartreuse, puisqu’elle a donné naissance à de nouveaux arômes, de nouvelles bouteilles et de nouvelles séries limitées.
Jeune, verte, Vep, séries spéciales : la cote de la Chartreuse
« Il existe deux Chartreuses classiques, la jaune qui titre 43°, assez douce et aromatique, et la verte à 55°, contenant davantage d’ingrédients. Elles valent, à la sortie de la distillerie, autour de 40 à 60 euros la bouteille, poursuit Gilles Bressy. Ensuite, vous avez des centaines de cuvées spéciales, séries limitées, assemblages exceptionnels ». Citons par exemple en 1984 une série commémorant le 9e centenaire de l’ordre des Chartreux ; en 1953, la bouteille marquant le couronnement de la Reine Elisabeth, ou « celles qui ont été fabriquées pour les JO de Grenoble ou Albertville ! Nous espérons un peu qu’il y aura une bouteille JO de Paris », ajoute l’expert.
Le vrai avantage des Chartreuses réside dans leur capacité de vieillissement : « À l’inverse du vin qui finit toujours par se détériorer, cet alcool reste exceptionnel après des dizaines d’années », affirme Gilles Bressy. Le record de prix est d’ailleurs détenu depuis 2021 par une bouteille datée de 1840-1852, sans doute l’une des plus anciennes connues, adjugée 46 800 euros chez Mikaël Bennour qui organise régulièrement des vacations dédiées aux Chartreuses, la prochaine session étant prévue le 4 avril.
Les néophytes peuvent être un peu déroutés au départ par les dates inscrites sous les lots présentés aux enchères : « il s’agit en fait de périodes de production, rassure l’expert, car il n’existe pas de millésime dans ce domaine ». Pas de millésime, certes, mais des éditions limitées proposées chaque année depuis 2015 : 120 bouteilles de liqueur jaune et 120 de liqueur verte vieillies pendant plusieurs dizaines d’années et portant le nom de « Une Chartreuse », et dont la valeur atteint aujourd’hui les 5 000 euros. Ainsi que des cuvées dites « épiscopales » qui sont un mélange de jaune et verte : celle de 1990, qui célébrait les 50 ans du retour des Pères Chartreux dans leur monastère peut être adjugée autour de 1 500 euros environ. Terminons avec les Chartreuses VEP (pour Vieillissement Exceptionnel Prolongé) qui existent depuis 1963, et dont le succès est tel que la vente en boutique (il en existe une à Paris, et une au monastère) est limitée à une bouteille par an et par personne… Mais pas en en ventes aux enchères où elles s’échangent à partir de 1 000 euros environ.
L’élixir phare des bars branchés américains
La Chartreuse bénéficie d’une cote de popularité soutenue à l’international, notamment aux Etats-Unis où elle est devenue ces dernières années l’un des élixirs phares des bars à cocktail branchés. Une demande grandissante qui se confronte à une offre restreinte, les Chartreux ayant décidé d’imposer des quotas dans la production des bouteilles. « Europe, Japon, Inde, Etats-Unis : tout le monde est intéressé par ce marché, constate l’expert, et pour au moins trois raisons, ces alcools ont une histoire incroyable, c’est un produit d’exception, et l’offre et la demande sont relativement désorganisés ce qui contribue à la hausse et aux spéculations ». Il note également le très fort intérêt pour les grands flacons : un jéroboam de 1951-1956, Chartreuse jaune Voiron peut atteindre les 15 000 euros. Quelle que soit leur nationalité, les amateurs sont en général férus de spiritueux en général ou de vins en particulier, et deviennent vite des spécialistes de ce domaine très complexe. Du côté de la consommation, deux écoles coexistent : en digestif classique, et désormais également en cocktails… Mais toujours avec modération !
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