
Augustin Lesage, l’esprit de l’Egypte antique
Le 23 octobre à Saint-Omer, Elodie Peeren présentait aux enchères une toile exceptionnelle d’un artiste emblématique de l’art brut, le mineur, peintre et médium, Augustin Lesage. Cette grande composition hiéroglyphique fut conservée de nombreuses années au LaM de Villeneuve-d’Ascq.
Ce Couple Royal Akhenaton Néfertiti fut peint en 1946, suite à un voyage en 1939 en Egypte, où Augustin Lesage (1876-1954) découvre le Caire, la vallée des rois et des reines, Louxor, Assouan, Edfou ou le tombeau de Menna. Au sein de cette tombe de la nécropole thébaine, le peintre affirme reconnaître des motifs qu’il avait représentés quelques années plus tôt sans se douter de leur existence. « Je vais souvent en dédoublement dans les pyramides et je vois de belles choses… ce que j’ai pu faire en des vies antérieures. » S’il eut probablement connaissance auparavant de ces décors égyptiens par l’intermédiaire de revues et photographies diffusées en Europe lors des campagnes de fouilles archéologiques, Augustin Lesage prétend peindre sous l’influence des esprits.
Une peinture hiéroglyphique
A l’âge de 14 ans, ce mineur du Pas-de-Calais entend une voix, alors qu’il descend dans les mines, déclarant « un jour tu seras peintre ». S’il tait d’abord l’évènement, craignant d’être assimilé à un fou, il découvre le spiritisme et se livre à des séances durant lesquelles les esprits l’enjoignent à exécuter des dessins non figuratifs aux crayons de couleurs, bientôt suivis de compositions géométriques réalisées à l’huile. « Ici, notre tableau reprend les codes de symétrie et géométrie propres aux œuvres d’Augustin Lesage et inclut les figures Egyptiennes présumées de la reine Néfertiti et du roi Akhenaton », détaille la commissaire-priseur Elodie Peeren. Pour façonner ses toiles, le peintre n’exécute aucun croquis préparatoire et laisse libre court à son pinceau, répétant les mêmes gestes, guidés par les indications qu’il prétend recevoir de l’au-delà.
De cette peinture systématique naissent des compositions peuplées de motifs géométriques savamment ordonnés, ressemblant volontiers à l’écriture hiéroglyphique. « Je délaye les peintures péniblement et je commence dans un coin, écrit-il lors de ses premières expériences picturales. L’esprit m’a tenu dans ce petit carré pendant trois semaines consécutives. Je ne faisais rien et c’en était un travail […] après, tout s’est développé, le pinceau a marché de gauche à droite, il y a eu de la symétrie… » Fourmillantes de détails, les toiles rigoureusement agencées d’Augustin Lesage évoquent alors les supports de méditation, tels les mandalas, ou épousent les contours d’un temple oriental.
Un artiste emblématique de l’art brut
S’il devient très vite populaire, Augustin Lesage préfère être qualifié de « médium » ou « guérisseur ». Le peintre considère n’être que « la main qui exécute et non l’esprit qui conçoit ». Il déclare même être l’exécutant de Léonard de Vinci, du philosophe Marius Tyane ou encore de sa petite sœur, morte à l’âge de 3 ans, de telle sorte qu’il ne signe ses œuvres de son patronyme qu’à partir des années 1920. A cette époque, il reçoit le soutien financier du directeur de la Revue Spirite, Jean Meyer, et abandonne son travail à la mine pour se consacrer pleinement à la peinture. Il expose alors régulièrement au Salon des artistes français et devient l’un des protégés des surréalistes et de Jean Dubuffet.
Aujourd’hui, Augustin Lesage figure au catalogue des plus grands musées, à l’instar du Musée National d’Art Moderne à Paris qui a bénéficié de la donation de la collection Daniel Cordier. Provenant d’une collection particulière de la région de Saint-Omer, notre tableau a quant à lui été exposé à plusieurs reprises et notamment au LaM de Villeneuve-d’Ascq de 2012 à 2021, dans le cadre d’un prêt. Il a trouvé preneur à 48 000 euros (frais inclus) le 23 octobre à Saint-Omer. Cette adjudication consacre un artiste emblématique de l’art brut, cet « homme du commun à l’ouvrage », pour reprendre l’expression de Jean Dubuffet, qui, de son vivant, se refusait à faire le commerce de ses toiles, les vendant au prix de revient des fournitures et du temps d’exécution qu’il évaluait à partir du salaire horaire du travail d’un mineur.
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