
De Jef Aérosol à Zloty : le Street art selon Charley Chevalier aux enchères dans le Val-d’Oise
Établi au cœur du Saint-Germain-des-Prés artistique des années 1970-1980, le galeriste Charley Chevalier a joué un rôle majeur dans la découverte des premiers talents du Street art français. Un échantillon de sa collection personnelle comprenant des œuvres de Miss Tic, Jef Aérosol et Zloty sera dispersé aux enchères le 20 décembre à l’Hôtel des ventes de Montmorency par le commissaire-priseur Jules Régis qui orchestrera sa toute première vente.
« Aujourd’hui âgé de 85 ans, Charley Chevalier est un aventurier de l’art qui a des milliers d’histoires à raconter sur Soulages, Gaudin ou Zloty, autant d’artistes contemporains de renom qu’il fréquente dans le Saint-Germain-des-Prés en ébullition des années 1970-1980″, s’enthousiasme Jules Régis. Fraîchement diplômé, le jeune commissaire-priseur portera ses premiers coups de marteau le 20 décembre à Deuil-la-Barre à l’occasion de la dispersion aux enchères d’une partie de la collection de Charley Chevalier. « Même en tant que galeriste, il n’a jamais cessé d’être artiste, et c’est ce qui lui a permis de porter un regard attentif sur les créateurs qui osaient le décalé, le hors-norme, l’humour. » Proche de l’artiste Gérard Zlotykamien (né en 1940), dit Zloty, qu’il rencontre en 1976, Charley Chevalier se consacre à la mise en valeur des œuvres du plasticien pendant 30 ans, et achète très tôt aux enchères les travaux d’autres artistes pionniers du Street art des années 1980 et 1990, comme Miss Tic ou Jef Aérosol. Parmi les lots phares de cette vente, se distinguent justement un tableau de Zloty tiré de la série culte des « Effacements », un autoportrait précoce de Jef Aérosol, une légendaire inscription de Miss Tic et une sculpture d’Augusto Barros Ferreira.
Des œuvres de Zloty, un pionnier du Street art
Le tableau de Zloty est issu de la série iconique des « Effacements ». Avec pour seuls matériaux un bois brut et une épaisse couche de peinture, le pionnier du Street art interroge la temporalité de l’œuvre d’art : à quel moment peut-on considérer une œuvre achevée et peut-elle ressurgir après que l’artiste y a apposé sa signature ? « L’aérosol a été recouvert d’acrylique noire, mais le passage du temps laisse apparaître les premières couches de l’œuvre originale. Il s’agit d’une œuvre plastique et conceptuelle en même temps ». L’œuvre initiale, ainsi que les quinze autres tableaux issus de cette série, avaient été recouverts de peinture par Zloty lors d’une exposition orchestrée de concert avec Charley Chevalier le 2 novembre 1977. « L’événement avait même entraîné la convocation d’un huissier de justice, Maître Jaunâtre ! L’audace de la proposition a rendu l’exposition absolument culte », poursuit Jules Régis. Zloty, un élève d’Yves Klein (1928-1954), a commencé à graffer dans les rues de Paris dès 1963. Le jeune artiste entend prendre ses distances d’avec le monde de l’art qu’il juge trop corseté, encouragé dans sa démarche par Charley Chevalier qui deviendra un ami et un soutien indéfectible. Une amitié dont témoigne la vente du 20 décembre, comptant vingt-cinq autres toiles de Zloty.

GERARD ZLOTYKAMIEN (1940), « Effacement », 2 Novembre 1977, Technique mixte, bombe aérosol et acrylique noire sur bois. H : 101 L : 82 cm. Estimation : 800 – 1 200 euros.
Un autoportrait au pochoir de Jef Aérosol
A l’instar de Zloty, Jean-François Perroy, dit Jef Aérosol (né en 1957), est considéré comme l’un des pionniers du Street art en France. En 1982, il se fait connaître avec ses pochoirs qu’il placarde sur les murs de la ville de Tours. « Il se spécialise dans le portrait, tantôt de célébrités, tantôt d’anonymes. Il participe notamment au premier rassemblement du mouvement graffiti et d’art urbain en 1985 à Bondy, et il est aujourd’hui connu dans le monde entier. Sa fresque, réalisée en 2012 à quelques pas du Centre Pompidou, intitulée Chuuuttt!!!, reste son œuvre emblématique », précise Jules Régis. Adoptant le même ton éminemment comique et décalé que cette fresque géante, Self Portrait/The action shaker, peint en 1986, donne à voir le visage de l’artiste projeté au pochoir sur un fond d’acrylique jaune et répété à quatre reprises. « Cette toile réalisée en 1986 se situe très tôt dans sa carrière. Elle fait partie d’un triptyque, le deuxième élément étant présenté également dans cette vente sous le titre Portrait / Who are the mystery girls ?, tandis que le troisième demeure en un lieu inconnu. »

JEF AEROSOL (1957), « Self portrait / The action shaker », Juillet 1986, Technique mixte, peinture acrylique, dripping, et pochoir sur toile. Signé et daté en bas à droite. Titré au dos. Contresigné. H : 81 L : 64 cm. Estimation : 4 000 – 6 000 euros.
Un pochoir de Miss Tic
Charley Chevalier s’intéresse très tôt au Street art et collectionne les œuvres des pionniers. En témoigne encore les images de Miss Tic qui composent sa collection. Radhia Novat (1956-2022), plus connue sous le nom de Miss Tic, est connue pour ses pochoirs de femmes aux longues chevelures noires accompagnées de jeux de mots ou de poèmes. Autant d’œuvres tatouées dès 1985 sur les murs de la capitale française, de Ménilmontant à la Butte-aux-Cailles ou à Montmartre, comme autant de cris de liberté depuis le début des années 1990. A la vente, un pochoir sur toile de 1990-1995, Quand le soleil ne répond plus, arbore le visage d’une enfant songeuse, accompagnée d’un poème de la composition de l’artiste : « Quand le soleil ne répond plus / A l’envers du sommeil la nuit invente / Des Berceuses dans les zones d’ombre / de l’enfance. » « Les lots présentés dans cette vente sont typiques du travail de Miss Tic : des phrases simples, touchantes, souvent assorties de jeux de mots, détaille Jules Régis. Le support est brut et la technique du pochoir systématique. Il s’agit d’œuvres ciblées, soigneusement sélectionnées, qui s’inscrivent parfaitement dans le début des années 1990″.

MISS TIC (1956-2002), « Quand le soleil ne répond plus », c.1990-1995, Technique mixte, bombe aérosol, pochoir sur toile enduite façon crépis. Signature au pochoir. H : 61 L : 74 cm. Estimation : 4 000 – 6 000 euros.
Une sculpture en bois d’Augusto Barros Ferreira
Une œuvre a néanmoins la préférence de Jules Régis : une petite sculpture en bois réalisée par l’artiste portugais Augusto Barros Ferreira (1929-1998), dit Barros. « Elle incarne à merveille l’esprit Charley Chevalier, sur le ton de l’humour et du décalage. » Réalisée en 1969 par cet artiste maquettiste et sculpteur, l’œuvre est constituée de bois peint et étonne par le raffinement de sa structure, dont les lignes savamment décalées ne sont pas sans évoquer le travail des constructivistes. « Barros fréquentait assidûment le Saint-Germain-des-Prés artistique des années soixante, et côtoyait notamment Man Ray et Sonia Delaunay. Il a effectué une formation de maquettiste avant de se consacrer à la sculpture à partir de 1960. » Notre sculpture a été signée directement par Barros devant Charley Chevalier en 1969. « Elle a pu être réalisée en collaboration, ou sous la supervision du peintre et sculpteur Jean Gorin. Pour faire référence à cet échange d’idées, Gorin a d’ailleurs signé certaines de ses œuvres “Barros ». Un clin d’œil entre amis très touchant. »
Enchérir | Suivez la vente « Le regard de Charley : œuvres choisies d’un visionnaire » le 20 décembre en live sur interencheres.com

AUGUSTO BARROS FERREIRA (DIT BARROS) (1929-1998), « Composition », 1969, Sculpture, assemblage de bois peint. Signée et datée. H : 50 cm (socle compris). Estimation : 800 – 1 200 euros.