
De l’Encyclopédie au Y-King, la 28e vente de livres de Montignac
Si la traditionnelle vente estivale de livres de Montignac se délocalise cette année à Limoges, ce 28e opus n’a rien à envier aux précédentes éditions. La preuve avec un décryptage de deux pièces maîtresses de la vente : une superbe édition augmentée de l’Encyclopédie et la toute première édition typographique du Y-King, à l’origine du calcul binaire.
Chaque année, au mois d’août, les bibliophiles du monde entier se donnent rendez-vous à Montignac, en Dordogne, où se tient depuis 1995 une vente aux enchères exceptionnelle de livres anciens et modernes. Si le 28e opus se délocalise à Limoges, dans les locaux de la maison de vente Pastaud, il n’a rien à envier aux éditions précédentes. Le commissaire-priseur Paul Pastaud et les experts du cabinet Poulain présentent, entre autres trésors de bibliophilie, une superbe version augmentée de l’Encyclopédie en 58 volumes, ainsi que la toute première édition typographique du Y-King, à l’origine du calcul binaire.
Une superbe version revue et augmentée de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert
Cette édition de l’Encyclopédie a été établie à Yverdon, en Suisse, par l’éditeur et imprimeur d’origine italienne Fortunato Bartolomeo De Felice, épaulé d’un groupe de savants européens. Elle propose une version revue et augmentée de l’Encyclopédie parisienne de Diderot et d’Alembert éditée entre 1751 et 1772. « L’ambition de De Felice et de ses collaborateurs n’était pas de proposer une simple copie de la version parisienne, mais une véritable refonte de celle-ci, en s’inscrivant dans une vision protestante du monde et du savoir », explique l’experte Elvire Poulain-Marquis. Publiée entre 1770 et 1780, cette version suisse dite d’ « Yverdon » eut les faveurs de Voltaire. « Pour moi, je sais bien que j’achèterais l’édition d’Yverdon et non l’autre », déclarait ainsi le philosophe des Lumières, alors établi à Ferney, à quelques kilomètres de la frontière helvétique.
Fortunato Bartolomeo De Felice quitta, autour de 1756, son Italie natale pour s’établir à Berne, où il se convertit au protestantisme au contact du médecin et scientifique Albrecht von Haller, avant de fixer son imprimerie à Yverdon. Pour mener à bien son projet d’Encyclopédie, il s’entoure de savants européens qui ajoutent de nombreux articles originaux, avec un système de notation permettant de distinguer les nouveautés (« N » pour les mentions nouvelles, « R » pour les articles remaniés), donnant une ampleur européenne au « système encyclopédique des connaissances » façonné par Diderot.
« Notre édition est à la fois complète, dans un état de conservation exceptionnel et dotée d’une remarquable reliure en veau porphyre », précise l’experte. Autant d’arguments qui devraient convaincre les bibliophiles éclairés. « Sur le marché du livre ancien, les collectionneurs ont tendance à privilégier, depuis trois à quatre ans, les pièces exceptionnelles. Ainsi, si les classiques intéressent moins qu’auparavant, les éditions qui sortent du lot, telles que les éditions originales ou les belles reliures, obtiennent quant à elles des prix élevés, avec souvent de belles surprises à la clé. » En somme, et c’est une tendance propre à l’ensemble du marché de l’art, les collectionneurs recherchent la perle rare, et parfaite… « Notre édition, estimée entre 16 000 et 18 000 euros, constitue un bon investissement pour un bibliophile francophone qui n’est pas encore propriétaire d’une belle version de ce classique qu’est l’Encyclopédie. »
La première édition typographique du Y-King, à l’origine du calcul binaire
Pour cette première édition typographique du Y-King, les enchères pourraient quant à elles émaner d’un tout autre type d’amateur… Si le texte est l’une des œuvres les plus importantes de la culture chinoise, il porte un éclairage sur notre société numérique actuelle. « Il pourrait attirer l’attention de la Silicon Valley », avance l’experte Elvire Poulain-Marquis. Le Y-King, avec ses hexagrammes, a en effet façonné notre conception du calcul moderne, basé sur la numérotation binaire utilisée dans nos langages de programmation.
Ce « Livre des mutations » ou « Livre des Changes », dit Y-King, était à l’origine un traité de divination. « Révélé à l’empereur Fu Hsi il y a 5 000 ans, le Y-King enseigne la science du changement et du mouvement en accord avec les processus de la nature (Tao), détaille l’experte. Fu Hsi a découvert les huit trigrammes originaux vers 3 000 avant notre ère, le roi Wen, fondateur de la dynastie Zhou, a inventé les 64 hexagrammes vers 1 000 avant notre ère, et les « dix ailes » ou commentaires ont été ajoutés au texte vers 300 avant notre ère. » Le texte manuscrit, qui était à l’origine un traité divinatoire, se teinte d’une dimension philosophique, alors qu’il accueille les commentaires de savants chinois. « Il a fini par intégrer le corpus des cinq classiques du confucianisme et par influencer le taoïsme, le bouddhisme et, après sa transmission à l’Europe, la science et les mathématiques occidentales. Cet ouvrage conforta Leibniz dans ses théories de l’arithmétique binaire et influença Carl Jung dans sa théorie de l’intuition. »
Notre exemplaire en deux volumes a été édité entre 1834 et 1839. Il correspond à la toute première édition typographique du Y-King, le texte existant jusqu’alors uniquement sous la forme d’un manuscrit. « Cette édition complète est rarissime, résume Elvire Poulain-Marquis. Nous n’avons pas vu en vente publique un exemplaire de cette qualité depuis quarante ans. » L’exemplaire est estimé entre 15 000 et 20 000 euros.
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