Le 9 février 2024 | Mis à jour le 27 février 2024

Elodie Peeren : « Pour être commissaire-priseur, il faut être moderne ! »

par Héloïse de Baudus

Commissaire-priseur depuis 2017 au sein de l’hôtel des ventes historique de Saint-Omer, Elodie Peeren a toujours eu à cœur d’exercer en région. Chaque jour, elle sillonne les routes de l’Audomarois jusqu’à la Côte d’Opale, rencontrant sur son chemin des commodes XVIIIe ou des toiles de Serge Poliakoff. Rencontre avec une commissaire-priseur résolument moderne…

 

Elodie Peeren est diplômée commissaire-priseur depuis 2013. De ses stages de découverte à ses premières expériences professionnelles, son intérêt s’est toujours porté vers les salles de ventes régionales. Depuis 2017, elle exerce au sein de l’hôtel des ventes de Saint-Omer, entourée de son associé Hadrien Fourquet, fils de son prédécesseur, de son gestionnaire de salle Alain Vandamme et de sa collaboratrice administrative Julie Beauvois. Elle nous a ouvert les portes de son hôtel des ventes, un établissement historique qui, implanté au même endroit depuis la Seconde Guerre mondiale, a accueilli avec succès les évolutions d’un marché désormais pleinement tourné vers le digital… 

 

Qu’est-ce qui vous a amené à devenir commissaire-priseur ?

L’idée m’est venue assez naturellement, sans que cela ne soit une révélation de jeunesse. Ce sont mes affinités qui m’y ont conduite. Je suis passionnée, depuis toute petite, par les antiquités et les objets de collections, et j’aimais chiner notamment avec mon père. J’ai débuté avec un parcours plutôt juridique, que j’ai eu envie de mêler avec ma passion des meubles et des objets. La profession de commissaire-priseur s’est alors imposée. J’ai pu effectuer des stages, notamment chez Patrick Fourquet, mon prédécesseur à l’hôtel des ventes de Saint-Omer. En parallèle de mon Master 1 de droit, j’ai effectué une licence d’histoire de l’art et j’ai poursuivi avec un master 2 en Marché de l’art à la Sorbonne, ce qui m’a permis de présenter l’examen d’entrée au stage de commissaire-priseur. Après l’obtention de l’examen, j’ai quitté la région pour rejoindre la salle des ventes d’Auxerre, avant de revenir finalement dans le Nord.

 

Que retenez-vous de ces années d’apprentissage ?

Ce sont ces années d’apprentissage qui apprennent véritablement à être commissaire-priseur.  J’ai été dans une étude où l’on m’a laissée évoluer en toute autonomie, en m’impliquant dans le volet judiciaire, en partant en inventaire et en m’occupant des procédures collectives et, au fur et à mesure, j’ai pu préparer des ventes d’objets d’art plus ou moins complexes. La seule chose que je ne pouvais pas encore faire était de taper du marteau ! Une fois ces deux ans passés, j’ai pu devenir la collaboratrice de Xavier Wattebled, commissaire-priseur à Lille, qui a été très important dans mon parcours, car il m’a véritablement appris à être chef d’entreprise.

 

Vous avez toujours exercé dans des salles des ventes régionales. Quelle est leur place aujourd’hui à l’échelle nationale ?

Elle est primordiale. Il y a effectivement une concentration en Île-de-France qui peut s’entendre pour des raisons démographiques et culturelles. Cela ne m’a jamais vraiment attirée, j’ai toujours été attirée par les régions et notamment la mienne, les Hauts-de-France. Le maillage géographique des commissaires-priseurs est ancestral, nous sommes un acteur du territoire ; notamment dans notre rôle actuel de commissaire de justice. On représente le service public et l’Etat sur le territoire. C’est une place importante auprès de l’administré. Et l’on fait aussi vivre la culture dans les régions.

 

« La chine, les enchères et les antiquités constituent une passion française qui ne se dément pas ! Aux enchères, la clientèle se renouvelle et elle a des envies différentes. Les commissaires-priseurs savent s’y adapter avec les ventes en ligne qui permettent d’être attractifs auprès d’une clientèle qui consomme différemment. »

 

Est-ce qu’en étant implanté à Saint-Omer, vous constatez une récurrence dans la typologie des biens qui vous sont confiés à la vente ?

Autour de Saint-Omer, de l’Audomarois, du Béthunois et du Montreuillois, on trouve beaucoup de mobilier XVIIIe et des tableaux anciens. Et ce, beaucoup plus que sur la Côte d’Opale qui, ayant été très touchée par les bombardements lors de la Seconde Guerre mondiale, n’a pas conservé ce type de patrimoine. De plus, dans les années 1980, le goût des clients allait vers le mobilier ancien et la peinture ancienne, et l’on retrouve aujourd’hui ces intérieurs en inventaires. Je constate également un goût prononcé pour l’art flamand, et les écoles du Nord en général. Lorsque j’ai des inventaires sur la Côte d’Opale, je retrouve, en totale opposition, un mobilier moderne, design, d’après-guerre de personnes qui ont dû se remeubler dans les années 1950. 

 

Avez-vous développé des spécialités de ventes ?

Traditionnellement, mes prédécesseurs s’étaient spécialisés dans la faïence, notamment du Nord comme Saint-Omer et Aire-sur-la-Lys. Aujourd’hui, cela perdure mais de manière moins vivace qu’avant, car c’est une spécialité moins privilégiée par les clients. Mon goût personnel s’est toujours tourné vers les bijoux anciens et l’argenterie, nous avons donc pu développer cela. Ces dernières années, nous avons également réalisé plusieurs ventes de jouets anciens et mon associé se charge des ventes de vins et spiritueux, qui sont devenues des incontournables. Mais, aujourd’hui, le commissaire-priseur de région se doit d’être avant tout généraliste.

 

A quoi ressemble le quotidien d’un commissaire-priseur de région, généraliste ?

C’est un métier « touche-à-tout ». Au quotidien, on s’adapte à toutes les situations, à tous les interlocuteurs. Je peux, le matin, avoir à réaliser un inventaire de succession dans une ferme chaussée de bottes, l’après-midi faire une ouverture de coffre en banque pour expertiser des bijoux, et estimer des tableaux dans une petite maison de village en fin de journée.

 

Quelles sont les ventes qui vous ont le plus marqué depuis votre arrivée à Saint-Omer ?

Le tableau de Serge Poliakoff que nous avons vendu 150 000 euros en avril 2023 me marquera toujours car c’était un très beau coup de marteau, un tableau confié par un grand collectionneur de l’Audomarois, qui nous a fait confiance. Je garde également un souvenir ému d’une vente en 2019. C’était une collection, à la suite d’une succession, qui comprenait notamment deux tableaux de Victor Vasarely. J’attendais mon premier enfant qui est né 15 jours après cette vente… Je ne peux donc pas m’empêcher d’associer ces beaux coups de marteau avec la venue de mon fils ! J’ai eu d’autres très beaux souvenirs, avec des œuvres d’Augustin Lesage, des belles collections d’objets d’art, mais si je ne devais retenir qu’un seul souvenir, ce serait sans aucun doute celui-ci.

 

Vasarely Victor (1906-1997). Yva-A. Acrylique sur toile, signée au centre, titrée, contresignée et datée 1982 au dos, 100 x 100 cm. Adjugé 85 200 euros le 27 avril 2019 à Saint Omer.

 

« Le commissaire-priseur n’existe qu’en France, avec des exigences élitistes de diplômes, de capacités, de responsabilités. Le défi, dans un monde qui va très vite avec la numérisation, est d’imposer la charte de qualité du commissaire-priseur français. »

 

Il est d’intéressant d’observer à quel point les ventes aux enchères s’enrichissent toujours d’histoires intimes, celles du commissaire-priseur, comme celles du vendeur ou de l’acheteur…

Oui, c’est un métier de passion, et surtout un métier dans lequel l’humain occupe une grande place. Pour n’importe quel client, la transmission d’un objet c’est souvent la transmission d’une histoire, d’une tranche de vie. On récupère à la vente l’objet, mais également tout l’immatériel autour, et notamment la tradition familiale. On voit régulièrement dans les descriptifs des lots « il nous a été confié, par tradition familiale », une manière d’honorer l’histoire de l’objet et de la famille. Le commissaire-priseur est, on le dit souvent, un passeur d’histoires, de la grande Histoire et de la petite histoire. C’est un métier qui ne ressemble à aucun autre…  

 

…et qui a profondément évolué avec le digital ! A Saint-Omer, comment avez-vous accueilli l’arrivée des enchères en ligne ?

Tout le monde a pu observer un avant et un après Covid. Ma position à l’égard des ventes live et online a beaucoup évolué. Grâce à elles, les nouveaux clients peuvent passer le pas des enchères, sans passer véritablement le pas de la porte, et c’est quand ils viennent récupérer leurs achats qu’ils découvrent la salle, le commissaire-priseur et ses collaborateurs de manière plus décomplexée. Parfois, cela peut déclencher l’envie d’assister physiquement à la vente. Le numérique permet une démocratisation et fait disparaître les appréhensions habituelles, la crainte de ne pas assez s’y connaître, ou de ne pas se sentir à sa place.

 

Ces dernières années, de nombreuses émissions télévisées ont également porté un coup de projecteur sur le secteur des ventes aux enchères. Avez-vous observé un renouvellement de votre clientèle ?

Oui, la chine, les enchères et les antiquités constituent une passion française qui ne se dément pas ! Aux enchères, la clientèle se renouvelle et elle a des envies différentes. Les commissaires-priseurs savent s’y adapter avec les ventes en ligne qui permettent d’être attractifs auprès d’une clientèle qui consomme différemment. Aujourd’hui, on découvre ainsi une clientèle trentenaire, quarantenaire, qui a une vie active importante et n’est peut-être plus cliente pour les ventes dominicales, mais plutôt pour les ventes online, ou live.

 

La chine, les enchères et les antiquités, une passion française. Vous arrive-t-il de chiner ?

Oui, mais j’ai plutôt un profil « achat coups de cœur » pour meubler la maison, ou en activant des alertes pour certains artistes en particulier. J’achète quelques bijoux également, mais je préfère qu’ils fassent l’objet de cadeaux ! On voit toutes et tous passer tellement d’objets au quotidien que l’œil peut s’affuter et aussi se désintéresser de certains types de biens. Finalement, le commissaire-priseur est peut-être moins un collectionneur qu’un chineur au coup de cœur !

 

La digitalisation étant désormais en marche, quels sont les défis de demain ?

Le défi, ou plutôt l’importance, est de rester à la hauteur de notre réputation en Europe. Le commissaire-priseur n’existe qu’en France, avec des exigences élitistes de diplômes, de capacités, de responsabilités. Le défi, dans un monde qui va très vite avec la numérisation, est d’imposer la charte de qualité du commissaire-priseur français.

 

Et si vous ne deviez retenir qu’une seule qualité pour devenir commissaire-priseur ?

Pour être commissaire-priseur, notamment en région, je pense qu’il faut être moderne !

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