Le 28 février 2019 | Mis à jour le 11 mars 2019

Le tableau du Caravage découvert dans un grenier sera mis en vente à Toulouse en juin

par Diane Zorzi

Le chef-d’œuvre disparu du Caravage (1571- 1610) depuis 400 ans sera mis en vente aux enchères par Maître Marc Labarbe, en collaboration avec le cabinet d’expertise Turquin, le 27 juin 2019 à Toulouse. Classé « Trésor National » en 2016, il avait été découvert dans un grenier de la ville rose. Il est estimé entre 100 et 150 millions d’euros.

 

Découvert en avril 2014 dans un grenier toulousain, le Judith et Holopherne du Caravage sera finalement proposé aux enchères, après deux ans de restauration. Le chef-d’œuvre, disparu depuis 1619, avait été classé « Trésor National » en 2016, avant que l’Etat ne renonce à son acquisition en janvier dernier, du fait notamment de son estimation élevée, fixée aujourd’hui entre 100 et 150 millions d’euros. L’œuvre sera exposée à Londres, New York et Paris, avant de rejoindre Toulouse pour sa mise en vente le 27 juin 2019.

 

Judith et Holopherne : une œuvre connue par une copie du peintre-marchand Louis Finson

Daté autour de 1607, le tableau représente Judith et Holopherne, célèbre scène biblique au cours de laquelle Judith, jeune veuve de la ville de Béthulie, libère son peuple de l’invasion assyrienne en tranchant la tête du général ennemi Holopherne, sous le regard de sa servante Abra. Le thème avait déjà été traité par le maître du clair-obscur dans une toile peinte vers 1600 à Rome et conservée aujourd’hui à la Galleria Nazionale d’Art Antica au Palais Barberini à Rome. « Notre œuvre était répertoriée mais elle avait disparu et n’était connue que par une fidèle copie appartenant aux collections de la Banca Intesa Sanpaolo et attribuée à Louis Finson (1580-1617), peintre et marchand franco-flamand qui en possédait l’original », notent Maître Marc Labarbe et les experts du cabinet Turquin.

 

Michelangelo Merisi, dit il Caravaggio ou le Caravage (1571- 1610), Judith et Holopherne, vers 1600, huile sur toile, 145 × 195 cm. Galleria Nazionale d’Art Antica au Palais Barberini, Rome.

 

Michelangelo Merisi, dit il Caravaggio ou le Caravage (1571- 1610), La Vierge du Rosaire, 1604-1606, huile sur toile, 364,5 × 249,5 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne (Autriche).

Une toile disparue depuis 1619 à Anvers

Plusieurs archives conduisent à penser que la trace du tableau aurait été perdue en 1619 à Anvers. « Le 25 septembre 1607, le peintre flamand Frans Pourbus (1569-1622) écrit de Naples au duc de Mantoue pour lequel il travaille, qu’il y a vu proposés à la vente deux tableaux du Caravage qu’il qualifie de bellissimi : il Rosario, qui n’est autre que la monumentale Vierge du Rosaire, aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne, et un Judith et Holopherne. » Les deux œuvres sont proposées à prix d’or : 400 ducats pour la première, 300 pour la seconde. « Rappelons qu’en avril de cette année-là, le même duc de Mantoue avait payé 280 ducats la célèbre Mort de la Vierge, aujourd’hui conservée au musée du Louvre. » Les deux toiles auraient ensuite été confiées à la vente par Caravage lui-même aux peintres-marchands associés Louis Finson et Abraham Vinck, tous deux originaires des Flandres et installés à Naples. « L’affaire ne se fait pas, puisque l’on va retrouver les deux tableaux dix ans plus tard à Amsterdam, dans le testament de Finson, en septembre 1617. Celui-ci les lègue à Vinck, qui en était propriétaire pour moitié. »

 

 

Tandis que La Vierge du Rosaire est acquise par un groupe d’artistes qui en fait don aux Dominicains d’Anvers, la trace de Judith et Holopherne se perd, jusqu’à sa redécouverte en avril 2014 dans un grenier à Toulouse. « La famille qui le possède aujourd’hui est installée dans la région depuis des décennies et descend d’un officier napoléonien qui a fait la campagne d’Espagne de 1808 à 1814. Les héritiers ont déjà vendu un autre tableau phare de l’époque du Siècle d’or espagnol il y a quarante ans. » Quelques années avant la découverte, le grenier toulousain avait fait l’objet d’un cambriolage. Mais le tableau, caché sous une soupente scellée et adossé à un matelas, avait échappé au larcin.

 

Des restaurations et analyses scientifiques confortent l’attribution

L’attribution anime depuis 2016 de vifs débats entre les spécialistes. Tandis que certains y voient une nouvelle copie signée Louis Finson, d’autres jugent que la tension dramatique, l’intensité des couleurs et le savant travail des clairs-obscurs sont caractéristiques du style si singulier du Caravage. « La première fois que j’ai vu le tableau en mai 2015, j’ai tout de suite été convaincu de son authenticité », confiait ainsi en janvier dernier Keith Christiansen, chef du département des Peintures Européennes au Metropolitan Museum de New York.

Après deux ans de restauration, l’attribution ne fait désormais plus aucun doute pour les experts du cabinet Turquin. « L’allègement du vernis corrobore ce que montraient les analyses scientifiques. Le visage d’Abra, avec ses rides alignées de façon insistance, qui paraissaient dures et systématiques avant la restauration, au point de laisser soupçonner l’intervention d’une autre main, a retrouvé une nouvelle plénitude, avec des volumes bien construits dans la lumière, sans aucune discontinuité par rapport au reste du personnage, à son voile et à ses vêtements. » Les analyses scientifiques ont quant à elles dévoilées une préparation et des étapes d’exécution en tous points similaires à celles des œuvres du Caravage des années 1600-1607. « Les radiographies ont révélé la vitesse extraordinaire avec laquelle le peintre a réalisé la mise en page et chaque détail, et la multiplicité des repentirs démontre à l’évidence qu’il s’agit d’une création originale. »

 

Michelangelo Merisi, dit il Caravaggio ou le Caravage (1571- 1610), Le Reniement de saint Pierre, 1610, huile sur toile, 94 × 125 cm, Metropolitan Museum of Art, New York.

 

Un rare chef-d’œuvre estimé à plus de 100 millions d’euros

La découverte n’est pas des moindres. Seules soixante-huit œuvres de l’artiste sont connues à ce jour. Parmi elles, plusieurs toiles ont fait l’objet de controverses au cours du temps, à l’image du Reniement de saint Pierre du Metropolitan Museum de New York qui avait été accueilli avec réticence par la critique, avant d’être considéré comme le chef-d’œuvre de la dernière période du maître du clair-obscur, ou encore le Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste, dont l’achat par la National Gallery de Londres avait été vivement critiqué, avant de faire l’unanimité. « Le fait que seul un de tableaux du Caravage soit signé (la Décollation de Malte) rend la reconstitution de son œuvre ardue, tant sa vie tumultueuse a contribué à brouiller les pistes. » Ainsi, du fait de la rareté des œuvres de l’artiste, le tableau sera proposé à la vente avec une estimation comprise entre 100 et 150 millions d’euros. « Cette valeur est justifiée non seulement par la rareté, mais aussi par l’état exceptionnel de conservation du tableau et sa qualité de grand chef-d’œuvre. Les récentes transactions ne sauraient d’ailleurs la démentir : la paire de portraits de Rembrandt a été cédée pour 160 millions d’euros en 2015 et le Salvator Mundi de Léonard de Vinci estimé 120 millions de dollars a été adjugé 450 millions de dollars le 15 novembre 2017. »

 

Michelangelo Merisi, dit il Caravaggio ou le Caravage (1571- 1610), Judith et Holopherne, vers 1607, huile sur toile, 144 x 173,5 cm. Mis en vente par Maître Marc Labarbe le 27 juin 2019 à Toulouse. Estimation : 100 à 150 millions d’euros.

 

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