Les instruments de musique oubliés ont la cote
[Etude réalisée par Interencheres] Cabrette, serpent, ophicléide, bugle, basson… Non, ces termes ne désignent pas des espèces animales en voie de disparition, mais des instruments de musique vieux de plusieurs siècles. Tombés dans l’oubli, ils reviennent en force dans les orchestres et font frissonner les salles des ventes. En exclusivité, retour sur ces pièces qui ont la cote…
Les instruments historiques intègrent les orchestres
De la Philharmonie parisienne au Konzerthaus de Berlin, l’orchestre Les Siècles, sous l’égide du chef François-Xavier Roth, s’est donné un défi dès 2003 : jouer chaque répertoire sur les instruments historiques appropriés, mettant ainsi en perspective plusieurs siècles de création musicale. Depuis, la méthode a fait des émules et les plus grands musiciens l’adoptent, soucieux d’approcher au plus près les couleurs et le son originels de chaque morceau. « Ce regain d’intérêt a été initié par la redécouverte de la musique baroque. Ensuite, les musiciens se sont mis à jouer la musique romantique et celle des autres époques avec les instruments d’origine », explique Bruno Kampmann, expert en instruments à vent.
Dès les années 1950, les chefs d’orchestre et musiciens Gustav Leonhardt, Nikolaus Harnoncourt, Sigiswald Kuijken, suivis de Ton Koopman ou encore Jordi Savall, s’emparent d’anciens clavecins, violoncelles, violes de gambe, ou diapasons et remettent à l’honneur les œuvres de Bach, Haendel, Vivaldi, et Buxtehude. A rebours du progrès permanent, ils affirment ainsi un retour aux sources et préfèrent à l’interprétation moderne, une restitution dans la plus pure tradition. Un nouveau dogme qui gagne désormais le marché des instruments anciens, marqué par des prix croissants, touchant notamment les instruments de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle.
Un marché particulièrement dynamique
« Ce marché est particulièrement actif, avec un public qui s’est diversifié ces dernières années », commente Maître Etienne Laurent qui a dispersé aux enchères le 7 avril 2018 à Vichy deux collections importantes d’instruments à vent : un ensemble de pièces anglaises et une autre collection, plus hétéroclite, comprenant aussi bien des guitares qu’un clavecin, des flûtes ou des harpes. Une vente qui témoignait du nouveau dynamisme du marché. « On retrouvait notamment un cor naturel Halary estimé à 6 000 euros qui rappelait à quel point la demande est forte pour ce type d’instrument. Ils sont très rares et ils coûtaient moitié moins il y a encore sept ou huit ans », détaille l’expert Bruno Kampmann. Le cor naturel apparaît au XVIIIe siècle pour remplacer le cor de chasse (dit « cor baroque ») et animer les soirées mondaines. Il inspire alors les compositeurs romantiques les plus illustres, à l’image de Johannes Brahms (1833-1897) qui s’en fait le grand défenseur lorsque naît le cor à pistons au cours du XIXe siècle. Finalement remplacé à l’aube du siècle suivant, il connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. « Les cornets (petits cors) à pistons du XIXe sont eux aussi très recherchés. Ils permettent de rejouer la musique romantique de Berlioz (1803-1869) notamment. » Dans la vente du 7 avril, un cornet à trois pistons de Kohler a ainsi été adjugé 5 100 euros.
La redécouverte d’instruments tombés en désuétude
L’engouement autour de ces instruments d’époque est tel que les facteurs actuels se mettent à
les copier. « Le serpent par exemple est très à la mode, j’en joue d’ailleurs moi-même et des copies modernes sont aujourd’hui fabriquées, confie l’expert Bruno Kampmann. Celles-ci ont eu tendance à faire baisser les prix des pièces anciennes au cours des dix dernières années, mais leur cote a toujours été particulièrement soutenue et elle commence à remonter. Pour un serpent ancien de bonne qualité, il faut donc compter autour de 4 000 euros en fonction de l’état, et davantage s’il s’agit d’une pièce exceptionnelle. » Le 7 avril, étaient ainsi proposés un serpent droit en laiton adjugé 2 600 euros et un autre en forme de S, daté du XVIIIe et estimé 2 000 euros. « Le serpent fut créé au début du XVIIe siècle pour accompagner les chœurs d’église, avant d’être employé à la fin du XVIIIe siècle pour les chants militaires et révolutionnaires. C’est un instrument grave, à embouchure comme le tuba. Il a été peu utilisé dans la musique classique, mais mis à l’honneur dans une des œuvres majeures de Berlioz, la Symphonie fantastique de 1830. »
Au XIXe siècle, le serpent est remplacé par l’ophicléide, un instrument métallique muni de clés, permettant de jouer avec une plus grande justesse. Il est alors très employé dans la musique militaire, d’harmonie et de fanfare jusqu’à la Première Guerre mondiale où il est troqué pour le tuba à pistons, plus maniable. « L’ophicléide connaît aujourd’hui un regain d’intérêt et la demande pour les pièces anciennes est très forte car, au contraire du serpent, peu de copies modernes sont fabriquées, explique l’expert. Les prix grimpent et rejoignent ainsi ceux du serpent qui coûtait plus cher jusqu’alors. Il faut aujourd’hui compter autour de 3 000 euros pour acquérir un bon ophicléide, alors qu’il y a encore sept-huit ans il se vendait autour de 1 000 euros, quand un serpent s’envolait à 5 000 euros. » En témoigne, une pièce exceptionnelle de la vente du 7 avril, adjugée 7 100 euros. « Elle fut fabriquée par le grand facteur lyonnais Tabard et elle est pourvue d’une étonnante tête de dragon, un décor très apprécié au XIXe siècle », précise Maître Etienne Laurent. Un autre ophicléide très rare du facteur anglais Glyde était également mis aux enchères, estimé à 1 000 euros.
Des prix qui explosent pour les pièces les plus rares
« Parmi les instruments à vent, ce sont les instruments aigus tels que les trompettes, les flûtes, ou les clarinettes, qui restent les plus collectionnés, poursuit l’expert Bruno Kampmann. Leurs prix ont connu un léger infléchissement, mais ils remontent ces dix dernières années. » Toutefois, le marché des instruments anciens, jouet de l’offre et de la demande, est soumis aux mêmes règles que les autres : la rareté fait le prix. « La vente du 7 avril proposait de nombreuses pièces très rares telles qu’un clavecin adjugé 14 500 euros ou une trompe de chasse qu’on ne trouve habituellement que dans les musées. Cette dernière fut fabriquée par la famille Chrestien qui est justement l’inventeur de l’instrument. Elle était estimée 5 000 euros », détaille Maître Etienne Laurent. Le commissaire-priseur de Vichy voit souvent passer des pièces exceptionnelles et rarissimes, à l’image d’un basson fin XVIIIe adjugé en juin 2012 à plus de 70 000 euros. Des ventes qui donnent un bon aperçu de ce marché en pleine expansion…
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