Les restaurations et leur désignation dans les catalogues de ventes aux enchères
Rentoilage ou repeint, nettoyage ou remplacement d’une pièce défectueuse, bon état ou accidents, les mentions portées au catalogue de ventes peuvent avoir une incidence directe sur le prix et répondent à des obligations fixées par le décret Marcus et diverses décisions jurisprudentielles. Tour d’horizon des principaux enjeux attachés à la problématique des restaurations et à leur désignation.
Cela a été dit : le décret Marcus prescrit une obligation de mentionner certaines caractéristiques attachées à l’œuvre mise en vente. Au-delà de celle attachée au caractère authentique du bien, l’article 2 du texte vise spécifiquement l’obligation de mentionner l’existence de modifications perturbant l’état d’origine de l’œuvre ou de l’objet d’art concerné. Ainsi, « la dénomination d’une œuvre ou d’un objet, lorsqu’elle est uniquement et immédiatement suivie de la référence à une période historique, un siècle ou une époque, garantit l’acheteur que cette œuvre ou objet a été effectivement produit au cours de la période de référence ». Quant au deuxième alinéa, celui-ci précise que « Lorsqu’une ou plusieurs parties de l’œuvre ou objet sont de fabrication postérieure, l’acquéreur doit en être informé ». Une nouvelle fois, l’appréhension contractuelle de l’œuvre d’art concourt à la détermination de son authenticité, dont la définition peut varier selon les degrés de restauration, les mentions ou indications de celle-ci et sa réversibilité. Et cette appréhension contractuelle se déploie, en matière de restauration, par le biais tant du catalogue de vente que par celui du rapport de condition.
Néanmoins, une difficulté existe dans la détermination du degré d’information à délivrer aux acquéreurs potentiels. Une telle difficulté engendre alors de nombreuses interrogations : le commissaire-priseur est-il tenu de porter à la connaissance des enchérisseurs toutes les restaurations qu’a pu subir l’objet ? Une distinction est-elle à opérer selon le degré et la nature de la restauration ? Le professionnel est-il tenu de procéder au démontage complet de l’objet afin de s’assurer de restaurations éventuellement dissimulées ? La réponse apportée ici par le décret Marcus s’avère malheureusement incomplète. En effet, l’article 2, pris en son alinéa 2, n’impose qu’une information portant sur la fabrication postérieure d’une ou de plusieurs parties de l’œuvre ou de l’objet concerné. Les multiples hypothèses relatives attachées à une restauration ne sont donc nullement envisagées. C’est pourquoi, à défaut d’une réponse précise et unitaire, seul le recours à un « curseur » peut aider le professionnel dans la rédaction de la notice de l’œuvre. Ce curseur est à trouver au gré des textes édictés après le décret Marcus et des décisions jurisprudentielles rendues ces dernières années. Muni d’un pareil outil juridique, le commissaire-priseur pourra alors déterminer, en fonction de la nature de l’objet concerné et en fonction de la nature et du degré de la restauration réalisée, l’information à délivrer.
Comment juger de l’ampleur de la restauration réalisée ?
Du simple rentoilage au repeint, l’intervention s’avère plus ou moins importante pour une peinture. Du simple nettoyage au remplacement d’un pied défectueux, l’intervention sur un meuble peut répondre à de multiples impératifs, variant selon la volonté du propriétaire ou la nécessité de la préservation de l’objet. À cette palette d’opérations répond donc une modulation de l’obligation d’information pesant sur l’intermédiaire professionnel vis-à-vis de l’acquéreur. Les textes encadrant les activités d’opérateur de ventes volontaires et de galeriste, principaux intermédiaires du domaine, s’en font l’écho. Ainsi, l’article 1.5.5 du Recueil des obligations déontologiques dispose que la description réalisée « indique l’existence de réparations ainsi que de restaurations, manques et ajouts significatifs dont le bien peut avoir fait l’objet ». Le terme « significatif » devant, ici, être appréhendé comme un synonyme d’important et de manifeste. De même, la Charte des membres du Comité Professionnel des galeries d’Art rappelle que « les restaurations doivent être mentionnées quand elles peuvent, notamment, avoir modifié les qualités de l’œuvre ». Le Syndicat national des antiquaires précise quant à lui que « les restaurations effectuées à titre conservatoire qui n’altèrent en rien les caractères d’ancienneté et de style et n’apportent aucune modification au caractère propre de l’œuvre n’ont pas besoin d’être expressément mentionnées ». La règle retenue par le SNA semble être celle d’une mention par principe des restaurations, à moins que celles-ci ne soient mineures.
« Seules des restaurations importantes imposent à l’intermédiaire professionnel de les mentionner dans la description du bien, soit dans la notice du catalogue et dans l’éventuel rapport de condition, ou sur la facture. »
Seules des restaurations importantes imposent à l’intermédiaire professionnel de les mentionner dans la description du bien, soit dans la notice du catalogue et dans l’éventuel rapport de condition, ou sur la facture. Les restaurations d’usage ou mineures ne seraient donc pas concernées. Toutes les restaurations ou réparations n’ont pas vocation, par principe, à être portées à la connaissance des enchérisseurs. Une telle distinction est conforme à l’appréhension juridique de l’obligation d’information. Et conformément au nouvel article 1112-1 du Code civil, issu de la réforme du droit des contrats du 10 février 2016, seule l’information déterminante, c’est-à-dire pertinente, est prise en considération, en raison de son influence sur le consentement des parties. L’intermédiaire professionnel doit donner toute information qui présente un intérêt particulier pour son destinataire et qui permet à celui-ci d’exprimer un consentement éclairé afin d’éviter, de manière préventive, la nullité du contrat en raison d’un vice du consentement. L’information en jeu est alors qualifiée d’information pertinente ou essentielle. Cette catégorie correspond ici aux seules restaurations importantes, substantielles en d’autres termes, et non aux opérations habituelles de préservation de l’œuvre.
« À l’inverse, lorsque les restaurations dépassent les simples réparations d’usage, jusqu’à altérer l’authenticité de l’œuvre, celles-ci doivent être nécessairement mentionnées dans la notice.»
L’apport de la jurisprudence est ici essentiel. Ainsi, la cour d’appel de Paris a pu retenir, le 15 décembre 2015, à propos d’une huile de Serge Férat que les opérations de marouflage ou de rentoilage, qui « sont effectuées dans un but de conservation de l’état originel du tableau et de stabilisation de ses craquelures et n’apportent normalement pas de modification au caractère propre de l’œuvre », n’ont pas à être portées à la connaissance des acquéreurs. Et ce, sous réserve qu’il s’agisse d’une simple mesure de conservation de l’œuvre réalisée conformément aux règles de l’art. Une telle mesure, puisqu’elle ne modifie pas physiquement l’œuvre, mais veille au contraire à préserver son intégrité, constitue une opération habituelle, voire attendue de la part de l’intermédiaire. À l’inverse, lorsque les restaurations dépassent les simples réparations d’usage, jusqu’à altérer l’authenticité de l’œuvre, celles-ci doivent être nécessairement mentionnées dans la notice. À l’occasion d’un litige portant sur la vente aux enchères d’un Bouddha Siddhârta, l’expert judiciaire désigné avait relevé que la pièce « avait été fortement restaurée, maquillée ou embellie, voire quasiment entièrement « resculptée », restaurée, maquillée ou embellie et qu’elle ne pouvait plus être donnée comme étant « parfaitement authentique de l’art du Gandhara » ». Dès lors, l’arrêt de la cour d’appel de Paris, du 22 janvier 2014, avait justement retenu que le « défaut d’information sur l’importance des restaurations effectuées a ainsi entraîné la conviction erronée et excusable » de l’adjudicataire. En d’autres termes, de telles modifications devaient nécessairement être portées à sa connaissance, puisqu’elles étaient significatives.
L’état fait-il partie des qualités substantielles de l’oeuvre ?
L’obligation d’information vise donc à assurer à l’acquéreur la parfaite connaissance des qualités de l’œuvre. C’est pourquoi, sa violation entraîne la nullité de la vente et l’octroi éventuel de dommages-intérêts. À la suite d’un arrêt du 19 février 2014 de la Cour de cassation ayant prononcé la nullité d’une vente aux enchères publiques, la cour d’appel d’Angers a confirmé, le 26 janvier 2016, qu’en « raison des jours, tâches de vernis et de l’importance de nombreux repeints, l’état du tableau ne pouvait être qualifié de ‘‘très bon’’ ». Pourtant l’expert de la vente d’un tableau de Léon Julien Ernest Sonnier avait indiqué à l’adjudicataire, qui n’avait pu voir physiquement l’œuvre, que la peinture avait seulement été « nettoyée et présentée dans un cadre moderne ». Le rapport sur l’état de conservation du tableau fourni ne correspondant pas à la réalité judiciairement constatée, la vente fut annulée. En l’espèce, c’est bien la garantie du très bon état du tableau qui a permis la remise en cause de la vente. Une telle garantie ne semble pourtant pas aller de soi dans le commerce de l’art. Ainsi, le tribunal de grande instance de Paris a pu affirmer, le 16 février 2012, que « le très bon état d’un tableau ne saurait être présumé et constituer une qualité convenue lorsqu’il s’agit d’une toile du XIXe ou du début du XXe siècle dont il ne peut être garanti qu’elle n’a pas dans le temps fait l’objet de dégradations et de restaurations ». Cette garantie peut même être écartée par l’insertion d’une mention telle que « accidents et restaurations » qui vient disqualifier l’originalité ou l’authenticité d’une œuvre en faisant sortir du champ contractuel une telle qualité. C’était là l’un des arguments ayant permis à la Cour de cassation de ne pas prononcer la nullité de la vente aux enchères publiques d’une table à marqueterie Boulle, estampillée Dufour, le 20 octobre 2011. Il appartient à l’acquéreur de prouver que l’absence de toute restauration constituait la qualité substantielle l’ayant déterminé à acquérir l’œuvre. À défaut, une telle mention permet au commissaire-priseur de se défaire de son curseur et de rédiger sa notice en toute sérénité.
« Le curseur doit parfois également prendre en considération la typologie de bien concerné et la qualité de l’acquéreur à destination duquel se déploie l’obligation d’information.»
Mais le curseur doit parfois également prendre en considération la typologie de bien concerné et la qualité de l’acquéreur à destination duquel se déploie l’obligation d’information. Ainsi, aux termes d’une décision du 21 février 2019, la cour d’appel de Versailles a refusé de retenir la nullité de l’adjudication d’une table de Jean Prouvé. Si les parties et l’expert judiciaire ne contestaient pas l’authenticité de la table, ledit expert considérait que l’objet avait été restauré à plus de 60 % et que le plateau n’était pas en chêne, contrairement aux indications portées au catalogue. Or, selon la cour, « il est manifeste que l’acquéreur […] ne souhaitait pas essentiellement acheter une table ayant un plateau en chêne, mais que seul était déterminant le fait qu’il s’agisse d’une table Jean Prouvé. Or ce souhait a été satisfait ».
De même, « force est bien de constater par ailleurs que les conclusions de l’expert relatives à des restaurations à 60 % ne reposent que sur ses propres hypothèses à l’examen de la table litigieuse, alors que sont produits par [le vendeur] des éléments nombreux et convaincants (attestations Dancoisne, Grizot, notamment, selon lesquelles ces tables avaient à l’origine une destination purement utilitaire, pour des collectivités par exemple, l’époque, encore soumise aux restrictions, excluait un recours au bois massif, et le plateau était conçu pour pouvoir être changé, et apparaissait ainsi purement contingent et dissociable de l’œuvre de Jean Prouvé, dont la spécialité était le travail du métal) ». En d’autres termes, le plateau et ses qualités seraient indifférentes dans l’appréciation de l’authenticité du meuble litigieux, quand bien même l’ajout ou le remplacement aurait été significatif. Seul le piètement prévaut. C’est ce que retient la cour en énonçant que « tant l’expert que ces attestants soulignent ainsi que le principal intérêt de cette table résidait dans son piètement, dont l’authenticité n’est pas, elle, contestée ». Et l’acheteur , « collectionneur averti d’objets de cette époque », ne conteste nullement ce point.
« En matière de design il est possible que la restauration ou même le remplacement d’une partie du meuble puisse constituer une opération indifférente et susceptible d’être tue.»
Il apparaît dès lors « que les restaurations de la table soient avérées ou non, elles ne peuvent être considérées comme ayant altéré, dans l’esprit de l’acquéreur, la substance de l’objet acheté, même si, ainsi que souligné par l’expert, elles peuvent avoir une incidence sur sa valeur. Il sera donc jugé que la preuve que l’erreur sur le bois constituant le plateau, et d’hypothétiques restaurations aient été déterminantes du consentement [de l’acheteur] n’est pas rapportée ». La cour retient donc qu’en matière de design il est possible que la restauration ou même le remplacement d’une partie du meuble puisse constituer une opération indifférente et susceptible d’être tue.
Une telle décision ne doit cependant pas être généralisée dès lors qu’en l’espèce la qualité de « collectionneur averti » de l’adjudicataire a été prise en considération et que le travail du designer n’était pas recherché pour la partie essentiellement contestée du meuble – le travail sur bois. Mais la présente décision offre une nouvelle dimension à l’application du curseur : la qualité de l’enchérisseur, connaisseur ou non, professionnel ou non. C’est là, le pendant de la nécessaire preuve du caractère excusable que l’erreur sur les qualités essentielles doit revêtir. Pour autant, l’aléa attaché à la désignation de l’adjudicataire doit inciter les professionnels à être particulièrement vigilants et à ne pas se risquer sur une désignation incomplète du bien mis à l’encan.