
Les retrouvailles inattendues de deux œuvres majeures de Louis Anquetin
Deux œuvres de Louis Anquetin animeront les enchères à une semaine d’intervalle les 12 et 19 novembre à Clermont-Ferrand et à Pau. Cet événement inédit, fruit d’une expertise par ricochet, réunit deux tableaux majeurs que le peintre normand, considéré par ses pairs et la critique comme l’un des artistes les plus prometteurs de son temps, avait accrochés bord à bord au mur de son atelier.
Sur le mur de l’atelier de Louis Anquetin (1861-1932), un Torse de jeune fille côtoie une scène de bal animée à l’Elysée Montmartre. A cet accrochage de 1891, deux ventes, prévues à une semaine d’intervalle, de Pau à Clermont-Ferrand, redonnent vie, contant les retrouvailles inattendues de deux œuvres dont les cadres s’effleuraient autrefois. Cette histoire peu commune débute à l’étude de Clermont-Ferrand. Les commissaires-priseurs de la maison Vassy-Jalenques-Courtadon confient à l’experte Elisabeth Maréchaux une huile sur toile provenant de la collection du docteur Henri Bourges, un grand amateur d’art et ami de Louis Anquetin. En quelques secondes, l’experte identifie la signature et la touche du peintre normand – le Torse de jeune fille, ainsi authentifié, est fin prêt à rejoindre le chemin des enchères.
Dans les archives, les expertes du cabinet Maréchaux découvrent une photographie de l’atelier de Louis Anquetin donnant à voir une dizaine de toiles accrochées au mur, dont le tableau expertisé plus tôt à Clermont-Ferrand. Mais leur regard est happé par une œuvre, L’Elysée Montmartre, accrochée juste au-dessus. Elles reconnaissent la scène de bal qui leur a été confiée quelques années auparavant par l’étude Carrère et Laborie et dont l’authentification avance minutieusement. Si, parmi les pistes envisagées figurait d’ores et déjà le nom de Louis Anquetin, la découverte confirmait leur intuition. La toile orpheline avait retrouvé son maître et pouvait à son tour se frotter au marteau des commissaires-priseurs de Pau. « Louis Anquetin avait accroché au mur de son atelier les œuvres qu’il avait réalisées dans les années précédentes. Elles ont toutes été retrouvées et L’Elysée Montmartre était la dernière qui manquait à l’appel », détaille l’experte Philippine Maréchaux précisant qu’avant de rejoindre les hôtels de ventes de Clermont-Ferrand et Pau, les deux toiles seront exposées à la galerie Laurentin à Paris du 7 au 9 novembre.
L’Elysée Montmartre, redécouverte d’une toile majeure de l’art moderne
Les deux tableaux, peints entre 1886 et 1890, témoignent d’une période féconde, lors de laquelle le jeune Louis Anquetin, plein de fougue, explore et livre ses toiles les plus singulières et modernes, avant d’emprunter, à la fin des années 1890, un style davantage classique au contact des maîtres flamands qu’il découvre lors d’un voyage en Belgique et Hollande. Lorsqu’il réalise L’Elysée Montmartre, autour de 1886, Anquetin a rejoint l’atelier de Fernand Cormon où il travaille aux côtés d’Henri de Toulouse-Lautrec, Emile Bernard et Vincent Van Gogh qui deviennent ses amis. Son œuvre singulière suscite l’enthousiasme de ses pairs qui, à leur tour, dépeignent des scènes de la vie nocturne – Van Gogh représente une Salle de danse à Arles en 1888, Toulouse-Lautrec livre sa Danse au Moulin Rouge en 1890. « Anquetin est très proche amicalement de Toulouse-Lautrec. Ils sortent et travaillent ensemble, font des tableaux sur les mêmes sujets, plus ou moins au même moment », explique Elisabeth Maréchaux.

Louis Anquetin (1861-1932), « L’Élysée Montmartre », circa 1886. Peinture sur toile et panneaux de bois. 100 x 100 cm. Estimée entre 120 000 et 150 000 euros. Vendue par Carrère et Laborie le 19 novembre à Pau et expertisée par le cabinet Maréchaux.
Avec cette toile, Anquetin dépeint l’ambiance chaude et festive qui animait à la Belle Epoque les jardins féériques du cabaret de l’Elysée Montmartre. Il saisit avec vivacité les expressions et attitudes des danseurs et musiciens, retranscrivant avec justesse l’atmosphère joyeuse de l’institution qui vit naître le cancan, avant d’être rasée et remplacée par Le Trianon Concert en 1894. « L’Elysée Montmartre est peut-être la meilleure preuve de l’influence de Louis Anquetin sur plusieurs artistes de sa génération. C’est une œuvre de qualité muséale qui mérite une restauration à la hauteur de son importance », conclut le commissaire-priseur Patrice Carrère.
Un portrait de Juliette Vary estimé entre 800 000 et 1 million d’euros
Le Torse de jeune fille, peint en 1890, apparaît quant à lui comme l’aboutissement des recherches menées par Louis Anquetin au cours de la décennie précédente. Le peintre se souvient des estampes japonaises, découvertes à la galerie Bing par l’entremise de Van Gogh. Il emprunte également au divisionnisme de Seurat la simplification des formes, et use dans le même temps d’aplats colorés qu’il cerne d’un trait noir, embrassant le cloisonnisme, à l’image d’Emile Bernard. Cette toile innovante, exposée notamment au Salon des Indépendants en 1891, fut saluée en son temps par maints critiques. « Il y a là un peintre, et un des plus forts de la jeune école », écrit ainsi le journaliste et historien de l’art Arsène Alexandre, décrivant ce torse comme « un des plus beaux morceaux d’alors ».

Louis Anquetin (1861-1932), « Torse de jeune fille », 1890. Huile sur toile, signée et datée « 1890 » en bas, à droite. 76 x 59 cm (rentoilée). Estimée entre 800 000 et 1 000 000 euros. Vendue par Vassy-Jalenques-Courtadon le 12 novembre à Clermont-Ferrand et expertisée par le cabinet Maréchaux.
Ce morceau de bravoure donne à voir Juliette Vary, une jeune fille installée à Montmartre qui posa également pour Toulouse-Lautrec. « Elle était la voisine de Toulouse- Lautrec, qui l’ayant remarquée, avait demandé l’autorisation à ses parents – Juliette avait alors 16 ou 17 ans – de la prendre pour modèle, explique Philippine Maréchaux. Toulouse-Lautrec admirait son profil grec et l’a représentée plusieurs fois de profil. » Anquetin la représente quant à lui le visage de profil et le torse de trois-quarts, usant de lignes souples et de tons crémeux propres à traduire la candeur et la délicatesse du jeune modèle. « Elle m’échappe toujours malgré sa présence dans mon quotidien depuis deux ans car on ne sait pas où elle regarde… elle regarde à travers, au-delà, c’est une certitude, confie le commissaire-priseur Bernard Vassy. Je ne sais pas où terminera ce tableau mais j’aimerais bien le revoir un jour pour la saluer très discrètement. En tout cas, je me sens privilégié d’avoir passé autant de temps auprès d’elle. »
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Crédit vidéos © Artcento
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