L’ivoire aux enchères : que faut-il retenir de la réglementation ?
Le commerce de l’ivoire est soumis à une réglementation stricte. Des repères temporels et des critères de quantité s’appliquent. Décryptage…
Le commerce de l’ivoire est devenu en quelques années un terrible casse-tête pour les commissaires-priseurs. Au gré de deux arrêtés ministériels de 2016 et de 2017, les professionnels doivent désormais soupeser, calculer, dater et identifier avec soin l’origine de l’ivoire utilisé dans un objet d’art ou de collection pour s’assurer qu’il puisse le proposer au feu des enchères, une fois le certificat obtenu, ou l’inclure dans l’inventaire réalisé au profit d’héritiers. Au-delà de la simple vigilance imposée par le commerce de tout objet composé en tout ou partie d’un élément de faune ou de flore protégé, le commissaire-priseur se doit donc d’être tour à tour zoologiste (est-ce de l’éléphant et si oui de quelle zone géographique ?), mathématicien (quel grammage ?) et même parfois devin (avant ou après le 1er mars 1947 ?).
Les arrêtés de 2016 et 2017 réglementant le commerce de l’ivoire
Afin de tenter de comprendre au mieux les méandres du cheminement qui s’impose dorénavant au professionnel, un bref retour en arrière s’impose. En pleine trêve estivale, à l’ombre des congés d’été, le gouvernement décidait, en accord avec les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture, de prendre le 16 août 2016 un arrêté modifiant la réglementation attachée au commerce de l’ivoire. Cette décision inopinée surprit plus d’un professionnel du marché de l’art. Elle était pourtant prévisible. En effet, la France est membre de la Convention de Washington du 3 mars 1973, dite convention CITES, convention dont les principes sont transposés en droit européen par le règlement no 338/97 du 9 décembre 1996. L’objet de cette convention ? Classer les espèces vivantes selon la menace d’extinction qui pèse sur elles. Or, depuis 2013 et la déclaration du Président de la République française annonçant un « Plan national d’actions sur la lutte contre le braconnage d’éléphants et le trafic d’voire »[1], une circulaire adressée aux Parquets relative aux trafics d’espèces protégées[2] et un plan inter-services CITES mis en place, une telle modification sourdait.
Face aux vives réactions des principaux acteurs du monde de l’art, d’une part, et à l’inintelligibilité de la nouvelle réglementation, d’autre part, une consultation ouverte au public du 22 janvier 2016 au 22 janvier 2017 fut menée. Les organisations françaises du marché de l’art militèrent alors pour une meilleure prise en considération de leurs contraintes matérielles et quotidiennes, sans pour autant occulter l’enjeu emblématique de la lutte contre le braconnage des éléphants. En parallèle, la Commission européenne lançait une consultation auprès des citoyens européens afin de recueillir leur avis avant l’éventuelle adoption de nouvelles mesures réglementant le commerce de l’ivoire au sein du marché commun. Fruit de ce temps de concertation un nouvel arrêté fut pris le 4 mai 2017 sans pour autant simplifier le nouveau régime mis en place.
Deux repères temporels, deux critères de quantité
Le principe fondamental demeure l’interdiction du commerce de l’ivoire d’éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national. Deux repères temporels sont fixés pour appliquer les exceptions prévues par le texte : le 2 mars 1947 et le 1er juillet 1975. Deux critères d’appréciation de la quantité de l’ivoire présente dans les objets travaillés sont retenus pour permettre leur commerce : soit l’ivoire contenu est supérieur à deux cents grammes, soit l’ivoire est supérieur à 20 % du volume de l’objet. Un poids, deux mesures en somme et à nouveau une bien délicate mise en œuvre.
Déroge à cette interdiction, le commerce (transport à des fins commerciales, mise en vente et vente) des objets fabriqués entre le 2 mars 1947 et le 1er juillet 1975 et dont la masse d’ivoire ou de corne de rhinocéros est supérieure à deux cents grammes. Cette dérogation n’est toutefois accordée qu’à titre exceptionnel. La procédure consiste en un enregistrement réalisé sur le nouveau registre national dématérialisé auprès de la DREAL, après avoir créé un compte personnel sur la plateforme i-CITES. Pour pouvoir enregistrer sa demande, il faut alors renseigner les coordonnées du vendeur, les informations relatives au spécimen, les coordonnées de l’expert, des photographies de l’objet et l’expertise de celui-ci signée. Chaque déclaration génère un numéro d’identification et un récépissé permettant au professionnel de prouver la légalité de la mise en vente de l’objet. Une fois l’objet vendu, il est nécessaire de renseigner sur la plateforme la date de la vente et les coordonnées du nouveau propriétaire pour qu’un récépissé lui soit transmis.
« Deux repères temporels sont fixés pour appliquer les exceptions prévues par le texte : le 2 mars 1947 et le 1er juillet 1975. Deux critères d’appréciation de la quantité de l’ivoire présente dans les objets sont retenus pour permettre leur commerce : soit l’ivoire contenu est supérieur à deux cents grammes, soit l’ivoire est supérieur à 20 % du volume de l’objet. »
Pour les objets dont la masse d’ivoire est inférieure à deux cents grammes, le commerce doit également être déclaré dans un certificat intra-communautaire. Si le vendeur souhaite exporter le bien hors de l’Union européenne, il doit obtenir un certificat CITES de réexportation. Surtout, tout objet vendu doit être « travaillé » ainsi que le qualifiait le premier arrêté, c’est-à-dire qu’il doit avoir été largement sculpté ou gravé sur au moins 90% de sa surface. En cas contraire, il sera considéré comme de l’ivoire brut et ne pourra être vendu.
Pour les objets fabriqués avant le 2 mars 1947 et dont la proportion d’ivoire ou de corne de rhinocéros est supérieure à 20 % du volume de l’objet, une autre déclaration doit être effectuée. Néanmoins, si les objets sont composés de moins de 20 % d’ivoire, leur commerce est libre. En cas d’exportation de l’objet hors de l’Union européenne, un certificat CITES de réexportation doit être nécessairement sollicité par le professionnel dans les deux cas.
Ainsi, le commerce d’ivoire brut (une défense par exemple) et des objets contenant de l’ivoire fabriqués après le 1er juillet 1975 est strictement interdit. Le commerce des objets fabriqués après le 2 mars 1947 et dont la masse d’ivoire est supérieure à deux cents grammes est interdit sous réserve de l’obtention d’une dérogation. Pour les objets fabriqués avant le 2 mars 1947, leur commerce est possible sous réserve d’une déclaration préalable. Toutefois, si le vendeur souhaite exporter le bien hors de l’Union européenne, il doit dans tous les cas obtenir un certificat CITES de réexportation.
La spécificité des instruments de musique
Enfin, et afin de prendre en considération la spécificité des instruments de musique contenant nécessairement de l’ivoire, une exception supplémentaire a été prévue par le gouvernement dès lors que ces objets ont été fabriqués après le 2 mars 1947. Si les touches ou tirettes d’instruments à claviers ou les archets des instruments à cordes frottées comprennent moins de deux cents grammes d’ivoire, leur commerce est libre.
La principale difficulté pratique emportée par les versions successives de ce texte demeure. En effet, l’appréciation du poids ou de la masse de l’objet contenant de l’ivoire peut être bien problématique. Quant à sa datation, un expert sera sollicité par le détenteur pour déterminer, par tout moyen, le moment de la fabrication de l’objet. À défaut de certitude, une radio-datation s’imposera, entraînant alors de manière corrélative un surcoût pour le vendeur et pour le professionnel.
[1] Déclaration lors du Sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique, 5 décembre 2013.
[2] Circulaire du 16 décembre 2013 relative aux trafics d’espèces protégées adressée aux Parquets.
Photo en une : Vidrecome couvert en ivoire et métal doré. De forme cylindrique, il est sculpté en haut-relief d’un décor tournant présentant une scène de chasse à courre au sanglier sur fond de paysage. Anse à décor de rinceaux feuillagés. Monture en métal doré uni et gravé de feuillages orné sur le couvercle d’un médaillon en ivoire sculpté en relief d’un sanglier couché. Allemagne, XVIIIe siècle. H : 20,5 – Diam : 17,5 cm. Poids brut : 1579g. Adjugé à 2 990 euros (frais compris) par la maison Millon le 28 juin 2019 à Paris.
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