
T’ang Haywen : du Musée Guimet aux ventes aux enchères
Jusqu’au 17 juin, le Musée national des arts asiatiques – Guimet présente « T’ang Haywen – Un peintre chinois à Paris (1927-1991) ». Une exposition qui offre une occasion unique de redécouvrir cet artiste encore trop méconnu.
Souvent mis en regard de ses contemporains Zao Wou-Ki et Chu Teh-Chun en raison de leur arrivée en France depuis la Chine à la même époque, T’ang Haywen (1927-1991) est de ces artistes discrets qui mériteraient d’être davantage reconnu. D’une grande humilité, il ne cherchait jamais à se mettre en avant et ratait parfois volontairement l’occasion de se présenter sur le marché de l’art. Pour remédier à cela, le musée Guimet, désormais l’un des principaux dépositaires de l’Œuvre de l’artiste, propose jusqu’au 17 juin une exposition exceptionnelle qui dévoile, à travers plus de 200 œuvres, le talent de cette figure marquante de la création d’après-guerre, mais aussi une part de son intimité grâce à une large sélection d’archives personnelles issues de son atelier.

Portrait de T’ang Haywen au printemps 1991, photographie de Yonfan © Avec l’aimable autorisation de T’ang Haywen Archives
Une formation occidentale
Arrivé en France en 1948 pour faire des études de médecine, T’ang Haywen y trouve finalement sa vocation : la peinture. Une vocation qu’il « ne [pourra] ni ne veu[t] abandonner », allant à l’encontre de la volonté de ses parents, tant et si bien qu’il ne retournera jamais en Chine. S’il est souvent comparé à ses deux compatriotes, il ne suit, contrairement à eux, pas de formation artistique traditionnelle dans son pays natal, mais apprend la calligraphie aux côtés de son grand-père au Vietnam ou encore la peinture occidentale à l’Académie de la Grande Chaumière. Dans une première salle d’exposition, œuvres de jeunesse et croquis révèlent ainsi son apprentissage occidental, avec des portraits, natures mortes et paysages peints à l’huile, mais aussi ses visites régulières dans les musées parisiens et ses nombreux voyages. Y sont juxtaposées des œuvres sur papier japon, les premières inspirées de la tradition chinoise et de ses estampes « montagnes et eaux ».

En haut : Sans titre, vers 1956, gouache et aquarelle sur papier Japon, MA 13351 © GrandPalaisRmn (musée Guimet, Paris) / Thierry Ollivier © T’ang Haywen / ADAGP, Paris, 2024. A gauche : Sans titre, 1955, gouache et aquarelle sur papier Arches, MA 13347 © GrandPalaisRmn (musée Guimet, Paris) / Thierry Ollivier © T’ang Haywen / ADAGP, Paris, 2024. A droite : Sans titre, 1955-1960, gouache sur papier Annonay, MA 13349 © GrandPalaisRmn (musée Guimet, Paris) / Thierry Ollivier © T’ang Haywen / ADAGP, Paris, 2024
Une œuvre entre Orient et Occident
Si T’ang Haywen fait indéniablement le lien entre la tradition chinoise et la modernité française, au même titre que Chu Teh-Chun et Zao Wou-Ki, il se démarque de ces derniers par sa quête insatiable de dépouillement. Puisant son inspiration dans la philosophie taoïste de Lao-Tseu et Shitao, T’ang Haywen expérimente au cours des années 1960, produisant des œuvres au style déjà personnel, synthétisant les deux cultures et signant en pinyin et en idéogrammes, pour mieux affirmer cette double appartenance. C’est à cette époque qu’apparaissent les plusieurs typologies d’œuvres emblématiques de son travail : les encres – en couleurs, monochromes ou faux monochromes -, les visages-paysages, ainsi que les formats en diptyque et triptyque.
Produites en série, « les encres de T’ang Haywen sont des œuvres monumentales sur petit format, partage Valérie Zaleski, conservatrice des collections d’art bouddhique de Chine et d’Asie centrale au musée Guimet et commissaire de l’exposition. Ce sont des entités qui peuvent être appréciées ensemble ou séparées. Et, si T’ang Haywen produit beaucoup de monochromes ou faux-monochromes, il n’abandonne jamais réellement la couleur. » Celle-ci vient, au contraire, magnifier ses calligraphies, paysages et compositions abstraites, bien que l’artiste n’ait jamais voulu être affilié à un mouvement.

A gauche : Sans titre, 1965, aquarelle, gouache et encre sur carton Kyro, MA 13413 © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier © T’ang Haywen / ADAGP, Paris, 2024. En haut : Sans titre, 1983 – 1984, gouache et aquarelle sur carton Kyro, MA 13243 © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier © T’ang Haywen / ADAGP, Paris, 2024. En bas : Sans titre, 1972, encre sur papier, MA 13344 © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier © T’ang Haywen / ADAGP, Paris, 2024.
Une cote à géographie variable
L’exposition célèbre en outre la première monographie que le musée consacra à l’artiste en 2002, Les Chemins de l’encre, suite aux donations de Pierre Fabre, Warwick Miller et Yonfan. Bien que largement exposé de son vivant dans des galeries et musées de renom, à l’instar du Centre Pompidou en 1989, ce n’est qu’après sa mort que T’ang Haywen connaît une première reconnaissance sur le marché français, suite à plusieurs expositions dont celles du musée Guimet ou encore du Musée des Beaux Arts de Taipei. On remarque en effet entre 2000 et 2002, sur le marché global, une multiplication par deux des prix de ventes, preuve s’il en fallait de l’impact d’une bonne exposition.
Si les ventes aux enchères d’œuvres de T’ang Haywen restent peu nombreuses en France, celles-ci connaissent à l’étranger un sort bien différent. Entre 2013 et 2019, avec un pic d’activité en 2015, Hong-Kong devient le terrain d’une série d’adjudications records pour l’artiste qui n’a pourtant jamais travaillé en Chine. Il est intéressant de remarquer que l’ensemble de ces ventes se concentre sur des œuvres non figuratives, de grand, voire très grand format, et pratiquement uniquement en couleurs, les meilleurs résultats concernant les œuvres sur toile, huile ou acrylique, des techniques certes plus rares chez l’artiste mais qui lui sont nécessairement moins spécifiques.
A Hong Kong, le record de vente pour l’artiste est détenu par une acrylique sur toile des années 1960 qui a trouvé preneur à 378 420 euros (frais inclus) chez Sotheby’s le 20 janvier 2015. En France, c’est une gouache adjugée la même année 36 540 euros qui détient ce record. Il existe ainsi un écart important des prix selon le pays de vente.

A gauche : T’ang Haywen Sans titre – circa 1972 Encre sur papier (diptyque). Adjugé 8 397 euros, le 5 avril 2024 à Paris. A droite : T’ang Haywen Sans titre – circa 1985 Aquarelle et gouache sur papier Japon. Adjugé 2 362 par Artcurial, le 5 avril 2024 à Paris.
Un marché français en construction
T’ang Haywen meurt en 1991 sans héritier. La gestion de la dispersion d’un large ensemble d’œuvres est dès lors laissée à l’appréciation de la Direction Nationale d’Interventions Domaniales qui confie la vente à la maison Artcurial. Trois vacations ont été organisées en 2023 et 2024. Ces ventes « ont vu de nouveaux collectionneurs, majoritairement européens, s’intéresser à T’ang Haywen, détaille Arnaud Oliveux, commissaire-priseur au sein de la maison de vente Artcurial. Certains connaissaient déjà bien l’artiste tandis que d’autres le (re)découvrent grâce à l’exposition. Les prix sont encore très attractifs pour une œuvre à la fois profonde et riche. T’ang Haywen avait une vision contemporaine et un rapport très sensible aux éléments. Certains voient en lui un investissement sur le long terme, d’autres ont simplement eu un coup de cœur. » Les deux dernières ventes ont cumulé en effet de très beaux résultats, avec un produit global supérieur de 43% à l’estimation moyenne. « Certaines œuvres ont d’ailleurs fait l’objet de belles batailles d’enchères », précise le commissaire-priseur. A l’instar d’un diptyque non-figuratif monochrome de 1972 adjugé 8 397 euros (frais inclus), ou encore d’une aquarelle et gouache en couleur, circa 1985, adjugée 2 362 euros. Toutes seront, comme l’ensemble des œuvres de ces ventes domaniales, incluses au catalogue raisonné de l’artiste.
En France, les œuvres de T’ang Haywen restent néanmoins encore très accessibles, avec des adjudications entre 1 000 et 5 000 euros, une fourchette de prix des plus raisonnables pour cet artiste qui devrait voir sa cote progresser dans les prochaines années. Un catalogue raisonné est de plus en cours de préparation par Philippe Koutouzis, expert de l’artiste et fondateur des Archives T’ang Haywen qui a vise à faire reconnaitre l’artiste et à contrôler l’authenticité des pièces mises en circulation sur le marché.
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Photo en Une : Sans titre , 1988, encre sur papier Arches, MA 13252 © T’ang Haywen Archives © T’ang Haywen / ADAGP, Paris, 2024
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