Le 17 novembre 2023 | Mis à jour le 24 novembre 2023

Un chef-d’œuvre de Fragonard ressurgit à Paris

par Magazine des enchères

Le 22 novembre à Paris, une esquisse exceptionnelle de Jean-Honoré Fragonard sera vendue aux enchères. Conservée dans la même famille depuis plus d’un siècle, elle est estimée de 4 à 6 millions d’euros. 

 

[Mise à jour, 23 novembre] L’esquisse de Jean-Honoré Fragonard a été adjugée 5 714 800 euros.

 

Nous sommes en 1765. Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), alors âgé de 33 ans, est considéré comme l’espoir du renouveau du « grand genre ». Il vient de rencontrer un vif succès au Salon, avec son tableau de réception à l’Académie Royale Le grand prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé. L’œuvre, aujourd’hui conservée au musée du Louvre, est saluée par la critique, et notamment par Denis Diderot. L’artiste s’attire alors les faveurs du marquis de Marigny qui lui commande un pendant, destiné à être un carton de tapisserie pour la manufacture des Gobelins. Fragonard a l’entière liberté du sujet et décide de représenter l’épisode inédit du Sacrifice au Minotaure, s’inspirant de la Vie de Thésée de Plutarque et de textes de Platon et Virgile.

L’œuvre donne à voir le tirage au sort de jeunes athéniennes destinées à être livrées au Minotaure, alors enfermé dans un labyrinthe. « Ce tableau aux couleurs si gaies montre finalement une grande tragédie », souligne Eric Turquin, l’expert de la vente de cette huile sur toile, estimée de 4 à 6 millions d’euros. « Passée entre les mains des plus grands amateurs de peintures françaises du XVIIIe siècle, et restée depuis un siècle dans la même collection, reproduite en couleur pour la première fois, notre toile s’impose comme la plus belle esquisse du XVIIIe siècle, par son ambition, son extraordinaire liberté de touche, tel un tourbillon de couleur d’une virtuosité et d’une fougue unique.»

 

Le sacrifice au Minotaure par Fragonard

Le sujet permet à Fragonard de rendre une grande variété d’émotions. « Il laisse libre cours à l’expression des passions humaines qui fonde la définition du « grand genre » et permet, à cette époque, de juger la qualité d’une peinture d’histoire », détaille Eric Turquin. La figure centrale, drapée en blanc, vient d’être désignée. Elle laisse échapper le billet attestant de sa condamnation et s’évanouit, aux côtés de jeunes filles implorantes. Sa mère, au premier plan, est renversée de douleur, tandis qu’à droite, l’une des jeunes femmes sauvées enlace un proche de soulagement. A gauche, la statue du dieu Zeus surplombe un prêtre qui surveille la cérémonie, au son de la trompette. Autant de protagonistes qui prennent place au sein de cette scène à étages que domine, dans les cieux orageux, une figure allégorique évoquant, avec son trident, le destin. « L’esprit du XVIIIe siècle n’est pas uniquement celui de la frivolité. L’exemplum virtutis, le sacrifice de quelques-uns (ici les jeunes athéniens) pour le bien de tous, parcourt toute cette partie du siècle », explique l’expert.

Pour cette composition en plans étagés, Fragonard a sans doute puisé son inspiration dans les nombreux modèles que comptaient alors la peinture baroque italienne et la peinture française académique. Pour n’en citer qu’un seul, prenons l’exemple de La Mort de Virginie, huile sur toile présentée au Salon de 1759 par Gabriel François Doyen. La passion de Fragonard pour Giovanni Battista Tiepolo transparaît également dans la construction du groupe très coloré entourant une figure centrale vêtue de blanc, ainsi que dans l’utilisation de tons audacieux, les cangianti, ces « couleurs changeantes, vibrantes » si chères au maître vénitien.

« Ce tableau, on ne peut pas le comprendre si on ne se replace pas dans le contexte de l’époque : au XVIIIe siècle, le grand art, à Paris, c’était l’opéra, note Éric Turquin. Fragonard était un amateur de théâtre et d’opéra averti. Les décors et mises en scènes à transformation des opéras baroques ont probablement été une importante source d’inspiration. Les tragédies de Racine et Lully sont jouées tout au long du siècle. Notre sujet évoque les opéras de Gluck, Orphée et Eurydice, Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Taurride. Les deux derniers sont créés à Paris et légèrement postérieurs (respectivement 1774 et 1779) ». 

 

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806). Un sacrifice antique, dit Le sacrifice au Minotaure. Toile. 72 x 91 cm. Estimation : 4 000 000 – 6 000 000 euros.

 

Un chef d’œuvre conservé dans la même famille depuis plus d’un siècle 

Notre tableau est un modelo, « une esquisse très poussée qui est faite pour décider le client, et le client était le plus grand de tous, c’est-à-dire le roi », précise l’expert. La seconde moitié du XVIIIe siècle voit fleurir un véritable marché autour des esquisses. Les peintres réalisent des esquisses sans avoir nécessairement l’intention de livrer un tableau achevé. « Les critiques jugent « le feu » des maîtres suscitant ainsi l’intérêt des amateurs.»

Notre Sacrifice au minotaure est le premier chef-d’œuvre d’une série de tableaux présentant cette même facture débridée et comptant Renaud dans les jardins d’Armide (musée du Louvre), son pendant Renaud dans la forêt enchantée (collection particulière) et des figures de fantaisies, exécutées en une heure de temps. Il a séduit au XVIIIe siècle l’un des plus célèbres collectionneurs d’art français, Hippolyte Walferin (1795-1880), qui a possédé près de 80 tableaux de Fragonard, ainsi que 700 à 800 dessins. En offrant La leçon de musique au Louvre en 1849, il redonnera ses lettres de noblesse au peintre alors tombé dans l’oubli. Plus tard, notre tableau rejoindra une autre grande collection, celle de Jacques Doucet (1853-1929), couturier et grand collectionneur du XVIIIe siècle qui se séparera de ses peintures anciennes aux enchères en 1912, lors de « la vente du siècle », pour se consacrer aux peintres modernes. C’est durant cette vacation que la famille des propriétaires actuels acheta l’œuvre.

Le sacrifice au Minotaure, conservé précieusement dans la même famille depuis plus d’un siècle, sera la pièce maîtresse de la vente d’art ancien organisée par Artcurial le 22 novembre, dont le catalogue comprend 226 dessins, tableaux et sculptures datés du XVIe au XIXe siècle. Citons le dessin aux trois crayons de Charles de La Fosse représentant La remise des clés à Saint-Pierre (4 000 à 6 000 euros), l’huile sur toile titrée L’agriculture par Eugène Delacroix (15 000 à 20 000 euros) et le buste en bronze d’Alexandre Dumas fils réalisé par le sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux (8 000 à 12 000 euros). 

Enchérir | Consultez le catalogue de la vente d’art ancien du 22 novembre sur auction.fr

 

Florilège de la vente d’art ancien du 22 novembre…

 

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