Charles Camoin, un fauve en liberté : du Musée de Montmartre aux enchères
Le 15 août à Cannes, Jean-Pierre Besch présentera aux enchères huit œuvres de Charles Camoin, un peintre « fauve en liberté » auquel le Musée de Montmartre consacre une exposition jusqu’au 11 septembre à Paris. Décryptage avec la commissaire de l’exposition Assia Quesnel.
Redécouvert du grand public à la faveur d’une exposition au musée Granet en 2016, Charles Camoin (1879-1965) est de ces artistes injustement oubliés par l’Histoire. Le peintre fauve jouit pourtant, de son vivant, de la reconnaissance de ses pairs, autant que du marché. Aux côtés d’Henri Matisse, Maurice Vlaminck ou encore André Derain, il participe aux manifestations marquantes qui rythment la scène artistique parisienne de la première moitié du XXe siècle, et connaît un succès commercial précoce. « Cette méconnaissance actuelle est, à mon sens, liée au fait qu’une partie de sa production, la plus avant-gardiste peut-être, a quitté le sol français lorsqu’il a noué un contrat en 1908 avec le marchand allemand de Francfort, Ludwig Schames. Certaines de ses œuvres ont également disparu avec les guerres successives. Enfin, il convient de souligner qu’à partir des années 1980 s’est développée une histoire de l’art centrée sur des parcours individuels, et notamment ceux des monstres sacrés que sont Pablo Picasso ou Henri Matisse. Camoin est en quelque sorte victime de l’ombre de Matisse. Le fait de s’intéresser aux réseaux culturels est récent et permet de mettre en lumière des personnalités que nous avions mises de côté », explique l’historienne de l’art Assia Quesnel qui, avec Saskia Ooms, présente jusqu’au 11 septembre au Musée de Montmartre une exposition donnant au public parisien l’occasion de redécouvrir l’œuvre de Charles Camoin, « un fauve en liberté ».
Un « fauve modéré »
Charles Camoin rejoint l’Ecole des beaux-arts de Paris en 1898, où il intègre l’atelier de Gustave Moreau. Si l’enseignement du maître symboliste, décédé le 18 avril 1898, est de courte durée, le peintre marseillais se frotte à l’avant-garde parisienne. Il partage avec Albert Marquet et Henri Matisse, des modèles, des motifs, et bientôt la manière – des touches de couleurs pures et flamboyantes, appliquées en larges aplats. « Depuis son premier atelier de la place Dauphine, avant qu’il ne rejoigne Montmartre, il dépeint en 1904 Le Pont des Arts vu du Pont-Neuf. Cette petite toile reprend déjà tous les éléments qui constitueront le paysage fauve, poursuit Assia Quesnel. Il ne s’agit plus d’imiter le réel ou de retranscrire des impressions et un idéal, mais de traduire une expérience vécue. Il s’appuie sur son instinct, ses sensations pour synthétiser sur le support la perception qu’il a de son environnement, à travers l’usage de la couleur pure et de grandes zones d’aplats colorés. » A l’horizon, le Pont des Arts et, avec lui, les ailes du musée du Louvre se dessinent. Camoin y fait ses premières gammes, copiant les maîtres anciens, sur les conseils de Gustave Moreau. A son panthéon figurent les coloristes, de Titien et Véronèse à Rubens, Goya et Delacroix, ou les peintres du XVIIIe siècle, Fragonard et Boucher.
A cette époque, Camoin connaît ses premiers succès. Aux Salons des indépendants de 1904 et 1905, il expose tour à tour une Jeune Créole, une vue de Marseille, La Rue Bouterie et le Port de Cassis. A la Galerie Berthe Weill, son Bassin des Tuileries côtoie des œuvres de Marquet, Matisse, Manguin et Jean Puy. « L’Etat français lui achète, sur les conseils du critique Roger Marx, son Port de Cassis. Il est très connu et il suffit, pour s’en convaincre, de lire le journal de Berthe Weill qui note que pour les ventes, Camoin arrive en tête. » L’artiste partage sa vie entre Paris et son Midi natal, séjournant un temps en Italie où il dépeint Naples, le Vésuve, vu de la Villa Capella, au gré d’une touche plus enlevée. De retour de la Côte d’Azur, le 18 octobre 1905, il expose aux côtés de Derain, Manguin, Marquet, Matisse et Vlaminck, lors du troisième Salon d’automne, dans la salle VII, bientôt baptisée la « cage aux fauves ». Si les toiles de ses pairs suscitent l’hilarité de la critique qui décrivent des « bariolages informes », des « taches de coloration crue juxtaposées au petit bonheur », les œuvres de Camoin séduisent par leur composition rigoureuse. « Mon instinct de coloriste me rapprochait de lui, écrit Camoin au sujet de Matisse. Mais ce qui restait chez moi du domaine de l’instinct devait très vite se développer chez lui en théorie. Théorie d’exaltation qui devint ce que l’on a appelé le fauvisme et que, personnellement, je n’ai jamais suivi systématiquement. »
Le fils spirituel de Paul Cézanne
Tout en s’affranchissant de l’imitation du réel, Camoin demeure attaché à l’étude sur le motif. Plus tôt, l’artiste a fait la connaissance du précurseur du cubisme. « Alors qu’il effectue en 1901 son service militaire à Aix-en-Provence, il prend son courage à deux mains et rend visite à Paul Cézanne, explique Assia Quesnel. Une relation paternelle se noue entre le vieux maître et le jeune peintre, tous deux originaires du sud. Ils se côtoient régulièrement, peignent ensemble sur le motif, et entretiennent une importante correspondance. Ces lettres, que Camoin conservera toute sa vie, sont connues dans le petit milieu des avant-gardes. Guillaume Apollinaire demande même à Camoin de lui prêter des extraits qu’il reproduit dans la presse. » Cézanne lui apprend à organiser ses sensations sur la toile, l’enjoignant à synthétiser ses émotions tout en demeurant fidèle au motif. « Camoin tente de trouver un subtil équilibre entre la recherche d’une peinture pure, qui ne fait référence qu’à elle-même, et la fidélité à l’étude du motif. C’est dans le motif qu’il trouve les moyens d’exprimer les exigences décoratives de la peinture. Il invente une forme de réalisme lyrique qui lui est propre. »
Son attachement au motif le conduit à s’adonner à l’art du portrait, son œuvre la plus cézanienne donnant à voir le peintre Albert Marquet, saisi frontalement, la mine fruste, alors qu’il prend place sur un siège invisible, devant un quasi monochrome. « S’il reprend souvent le cadrage de ses compositions, Camoin semble toutefois plus s’intéresser à la psychologie de ses sujets que son mentor. Il fait poser ses proches, mais trouve aussi de nombreux modèles parmi les classes laborieuses et les populations originaires des pays colonisés. » Avec sa Saltimbanque au repos, Camoin s’inscrit dans la lignée de Manet, dépeignant dans un réalisme cru et à rebours du canon académique, une prostitution allongée lascivement sur un lit et exhibant sans retenue pubis et aisselles touffues.
Une peinture sensualiste
Alors qu’il installe son atelier à Montmartre, en 1907, Camoin s’éprend de la peintre Emilie Charmy avec laquelle il séjourne en Corse pour dépeindre la couleur des calanques. Mais à son retour à Paris, sa palette s’assombrit, à mesure que son écriture se fait expressionniste. « Il traverse une période d’insatisfaction. Ses formes sont de plus en plus schématiques, les couleurs sont rudes et la touche plus épaisse ». A la faveur d’un voyage à Tanger, où il rejoint Matisse, il renoue finalement avec des teintes plus lumineuses et une facture aérienne, dépeignant l’atmosphère orientale. « Avec ce voyage, il va mettre en place ce qui constituera sa manière de peindre après la Première Guerre mondiale, marquée également par sa rencontre avec Pierre-Auguste Renoir qui le conduit à développer une approche davantage sensualiste, hédoniste et sensorielle du paysage. »
La matière picturale, quant à elle, s’affirme à mesure que passent les années. « Camoin joue sur les épaisseurs. C’est l’un des éléments qui le distingue des autres artistes fauves », note Assia Quesnel. Mais sans doute est-ce dans le traitement de la lumière et des couleurs que se cache la singularité du « fauve en liberté ». Originaire du sud, Camoin n’a pas, au contraire de ses pairs, été exposé au choc de la découverte méridionale. Cette lumière éblouissante de la méditerranée, Camoin a dû, sa vie durant, la cultiver plus que l’apprivoiser, en tentant davantage de saisir toutes ses nuances subtiles. « En tant que coloriste, j’ai toujours été et suis encore un fauve en liberté. »
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