
De Ramiro Arrue à Georges Masson, les arts basques animent la côte
Le 5 août à Saint-Jean-de-Luz, la maison de vente Côte Basque Enchères rendra hommage, comme chaque année, à l’art du Pays basque, à travers une sélection d’artistes emblématiques de la région, de Ramiro Arrue à Georges Masson. Tour d’horizon.
Chaque année, au mois d’août, alors que les vacanciers affluent sur la côte basque, les commissaires-priseurs Arnaud Lelièvre et Florence Carrabouy célèbrent, le temps d’une vente, l’art du pays. « Cette vente, que nous organisons depuis 10 ans, est un événement très attendu de la part des Basques et de tous ceux qui ont un attachement particulier à la région », détaille Arnaud Lelièvre.
Une vente dédiée aux arts basques : l’entreprise n’est pas aisée, tant le pays est vaste – rappelons qu’il s’étend de l’Ebre, en Espagne, à Adour, dans le Bassin aquitain – et son art multiple. Comme la Bretagne ou le Midi, le Pays basque est, encore aujourd’hui, une terre d’élection des artistes, et a vu fleurir au début du XXe siècle un art régional avant-gardiste, sous l’impulsion de peintres et sculpteurs talentueux qui portèrent au plus haut les couleurs du pays, en les frottant au langage de l’art moderne. « Ces artistes étaient captivés par la lumière du pays, et son aspect encore sauvage, et ont donné naissance à une véritable école basque ».
Le Pays basque, un centre artistique bouillonnant
Le Pays basque devient à l’aube de la modernité un centre artistique bouillonnant où affluent des peintres et sculpteurs de passage. La Parisienne Clémentine Hélène Dufau (1869-1937) rejoint ainsi, autour de 1905, Cambo-les-Bains pour décorer la villa Arnaga d’Edmond Rostand, tandis que Félix Bonnet, dit Tobeen (1880-1938), trouve dans le Pays basque un refuge loin de l’agitation urbaine. Cet artiste originaire de Bordeaux, travailla à Paris auprès des membres du groupe de Puteaux – il côtoie les frères Duchamp, Braque et Picasso – avant de faire partie des peintres français représentés à l’Armory Show en 1913. Sa quête d’une vie libre, en harmonie avec la nature, qu’il assouvit un temps sur la côte basque, le conduira à s’établir définitivement à Saint-Valery-sur-Somme.
D’autres artistes ne résistent pas à l’appel du pays, après l’avoir quitté le temps d’une formation. Ainsi André Trébuchet (1898-1962), après des études à l’Ecole des beaux-arts de Paris, rentre au pays en 1925 où il se fait connaître à travers des commandes d’ensembles décoratifs pour des villas ou églises. Au catalogue de la vente, deux grandes toiles décoratives peintes et montées sur châssis proviennent ainsi d’une villa de l’avenue de Bayonne à Anglet. « C’est une œuvre étonnante, dans laquelle l’artiste associe au pays basque, et ses vallons, des éléments japonisants sans doute inspirés des travaux nabis, avec ces grandes branches de cerisiers en fleurs. »

André TREBUCHET (1898-1962), Japonisme en Pays Basque. Deux grandes toiles décoratives peintes, montées sur châssis, signées et datées 1925. Le paon blanc: 232 x 311 cm. L’aigle: 232 x 278 cm. (Entoilées, à restaurer). Estimation : 5 000 – 10 000 euros.
Ramiro Arrue, fer de lance de l’art basque moderne
Mais la vente fait surtout la part belle à l’un des fers de lance de l’art basque moderne, Ramiro Arrue (1892-1971). Ce peintre, qui quitta Bilbao pour s’établir à Saint-Jean-de-Luz, a consacré son œuvre au Pays basque, dépeignant inlassablement ses paysages et ses habitants. « Il est sans doute le premier artiste basque à proposer une peinture plus moderne, en prenant ses distances avec l’héritage du XIXe siècle marqué par les travaux de Gustave Colin ou Louis Floutier dans la veine impressionniste, explique Arnaud Lelièvre. Ramiro Arrue, en recourant à des formes simplifiées et des aplats de couleurs, propose un langage résolument moderne. »
Au catalogue de la vente, onze œuvres dressent un panorama de son Œuvre. « Nous présentons différentes techniques et supports, et notamment des gouaches qui étaient une technique chère à l’artiste et avec laquelle il exprimait magnifiquement son style, avec cette manière singulière de poser les couleurs en aplats. »
Ramiro Arrue s’illustra d’abord en peintre paysagiste, traduisant l’âme du pays à travers ses montagnes jalonnées de pierres plates et ses maisons – etxe – ou fermes, reconnaissables à leur couleur rouge, avec leurs toitures à deux pans couvertes de tuiles et leurs façades à colombages peints. Mais c’est la vie quotidienne, les fêtes populaires et les loisirs traditionnels qui lui inspirent ses tableaux les plus connus, à l’instar de ses fameux joueurs de pelotes. « Nous présentons à la vente un bel exemple : une huile sur toile savamment composée selon une parfaite dialectique, blanc et noir, anciens et jeunes. Dans cette scène de fête, une croix en pierre rappelle la religiosité de la société basque, tandis que la vie du village est symbolisée par la vigne qui grimpe au mur à l’image de l’arbre de vie. »
Pour le commissaire-priseur, une œuvre se distingue dans le catalogue de la vente : le portrait de Suzanne au soleil couchant. « C’est un tableau qui est, d’un point de vue historique, tout à fait intéressant. Il s’agit d’un portrait inédit de sa femme Suzanne Blanché qu’il dépeint avec une grande tendresse et expressivité », remarque Arnaud Lelièvre.
Ramiro Arrue ne s’adonne au genre du portrait qu’au cours des années 1925-1930. L’artiste est alors à l’apogée de sa carrière et jouit d’une vie intime des plus heureuses, aux côtés de son épouse Suzanne Blanché, une Luzienne qui l’enjoint à s’établir dans la cité des corsaires. « S’il existe quelques portraits très académiques de l’épouse de Ramiro Arrue, adoptant les canons de mise en valeur d’une femme de la société (Suzanne à la jaquette rouge ou Suzanne au fauteuil bleu), notre portrait est d’une toute autre facture. Il s’agit d’un tableau beaucoup plus intimiste à rapprocher de la grande toile conservée dans la collection de la Ville de Saint-Jean-de-Luz. La touche est davantage esquissée, posée et enlevée comme à ses débuts. Les formes sont merveilleusement suggérées par l’épargne du support. L’atmosphère du jour tombant et le décor extérieur confèrent un romantisme touchant au tableau. » Notre huile sur carton et la toile de Saint-Jean-de-Luz ont certainement été peintes à l’issue de la même journée à la campagne, Suzanne arborant une toilette en tous points similaires, de la robe à la coiffure. « C’est une découverte d’un point de vue de l’histoire de l’art », se réjouit le commissaire-priseur.
Son talent, Ramiro Arrue le partageait avec sa sœur et ses quatre frères, Alberto, José et Ricardo. « Ramiro est le seul à avoir quitté l’Espagne pour s’établir en France, après des études à Paris où il a été notamment influencé par Modigliani qu’il côtoyait dans le quartier de Montparnasse. » La vente dévoile de son frère, José Arrue (1885-1977), une Fête dans la Taverne et une Fête de Village, deux œuvres qui témoignent d’une vision davantage ethnographique du folklore, propre à la peinture basque espagnole.
L’âme du Pays basque
Au début des années 1920, Ramiro Arrue fonde le Groupe des Neuf, avec René Choquet, Charles Colin, Jean-Gabriel Domergue, Henri Godbarge, Pierre Labrouche, Georges Masson, Périco Ribera et Raymond Virac, bientôt rejoints par Georges Bergès et Philippe Veyrin. Ils façonneront, chacun à leur manière, l’art basque moderne, à l’instar de Georges Masson (1875-1949), dont une Veille de fête à Pasajes constitue l’une des pièces maîtresses de la vente du 5 août. « Elle concentre toute l’expression du Pays basque », reconnaît Arnaud Lelièvre. L’expression du pays ; voilà ce que la plupart des collectionneurs, attendus samedi, recherchent, soucieux d’emporter avec eux un peu de l’âme du Pays basque…
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