Expertise : une commode sauteuse de style Directoire
Au cours du Directoire, période située entre le règne de Louis XVI et le Consulat, les styles de mobilier s’enchevêtrent sans innovation flagrante, donnant du fil à retordre aux experts. Le maître ébéniste Jacques Dubarry de Lassale rend compte de la difficulté de dater les meubles de cette époque à travers l’expertise d’une commode sauteuse grenobloise, proche du travail de Jean-François Hache.
Cette commode (photo 1, ci-dessous) est intéressante à examiner, car il s’agit d’une fabrication tardive du style Directoire. La période très courte séparant le style Louis XVI du style Consulat, soit de 1789 à 1799, durant laquelle se développe le style Directoire, ne permet pas d’être catégorique quand il s’agit de déterminer une date de fabrication et incite à la prudence. Il faut bien garder à l’esprit que l’on produit encore sous l’Empire des modèles que l’on serait tenté de dater d’une époque antérieure. On a coutume de dire que les productions de province suivaient celles de Paris avec un certain décalage, mais nous ne pouvons pas généraliser cette affirmation. La production de commodes de style Directoire se situe dans la lignée du style Louis XVI, sans innovation flagrante.
Le bois
Comme habituellement pour le mobilier grenoblois, toutes les parties visibles ainsi que les côtés des tiroirs sont en noyer. Le dos de la commode, les fonds et le dos des tiroirs, les planches intermédiaires et le dessous du meuble sont en sapin.
Le montage de la caisse
Le montage de la caisse est classique, exception faite du plateau. Celui-ci n’est pas très épais, de l’ordre de 16 à 18 mm, et il est collé au lieu d’être chevillé comme la plupart des plateaux de commodes du XVIIIe siècle. L’arrière du meuble est constitué d’un seul panneau de planches verticales et de deux traverses chevillées (photo 2). Tout le sciage est manuel et les traces de riflard sont nombreuses. Des traces d’établissement à la sanguine sont visibles sur l’arrière des tiroirs (photo 3), et en contre-parement des côtés (photo 8).
Les tiroirs
Les fonds sont montés à languettes bâtardes dans des rainures sur trois côtés, montage tout à fait classique pour cette époque. La planche arrière du tiroir (photo 4), assemblée à trois queues d’aronde, ce qui est habituel à cette époque, est plus basse que les planches des côtés, ce qui dénote une fabrication de l’extrême fin du XVIIIe ou du XIXe siècle. Les queues d’aronde, qui assemblent la façade du tiroir aux côtés, sont au nombre de six (photo 5). Elles sont en quantité trop importante pour une fabrication du XVIIIe siècle. Leur nombre et leur forme sont typiques des productions du XIXe siècle. Les montages de tiroirs du XVIIIe siècle présentent trois ou quatre queues d’aronde. Les encadrements de façade des tiroirs sont rapportés, collés et teintés en noir et ornés d’une baguette de laiton en quart de rond (photos 5 et 6).
Les bronzes
Les quatre poignées de tirage, dites « poignées retombantes », sont d’origine et leur usage répété a laissé des traces sur la façade des tiroirs (photo 6), ce qui ne laisse pas de doute sur leur authenticité. Ces poignées sont fixées par des écrous carrés (photo 7). Ce type de poignée a remplacé, sous le Directoire, le macaron et l’anneau de tirage en couronne de laurier, accessoire très classique du style Louis XVI. Les entrées de serrures, en forme d’écusson, sont également d’époque Directoire.
L’usure du meuble
Les coulisseaux de guidage des tiroirs, ainsi que les champs des tiroirs, attestent par leur usure importante un mouvement répété. Le tiroir supérieur, naturellement bien plus souvent ouvert, présente une usure plus importante (photos 4 et 8). D’ailleurs, sur ce tiroir il manque la serrure car elle a été usée par une utilisation plus fréquente (photo 9).
Les particularités du meuble
La particularité la plus intéressante de cette commode concerne les encadrements des tiroirs et le plateau qui ont été teintés en noir à l’origine. Le plateau a été par la suite décapé à l’exception des champs des côtés, ce qui est très visible sur les photos 10 et 11. Cette commode peut être rapprochée des productions de Jean-François Hache ou de Christophe-André Hache. On peut voir des similitudes étonnantes avec des commodes des Hache, publiées dans l’ouvrage de Marianne Clerc : les encadrements de tiroirs teintés en noir, ornés de baguettes quart de rond en laiton, entrées de serrure en écusson, les poignées retombantes en laiton et enfin, le plateau teinté de noir. Beaucoup d’indices concordants qui permettent de localiser la production.
En conclusion, nous pouvons dire que cette commode qui a toutes les apparences d’une fabrication du XVIIIe siècle est probablement du XIXe siècle, car le nombre de queues d’aronde à l’avant des tiroirs est beaucoup trop important et leur profil est typique des productions du XIXe siècle. Par ailleurs, le plateau n‘est pas assez épais et le panneau arrière des tiroirs n‘est plus au même niveau que les autres côtés. Il ne faut pas oublier que durant tout le XIXe siècle, la production régionale grenobloise continuera à puiser dans cet exceptionnel répertoire laissé par la dynastie des Hache.
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Photos © Jacques Dubarry de Lassale.
Image en Une : Commode sauteuse en bois naturel, montants à canaux simulés, pieds fuselés. Plateau en bois. Epoque Directoire. H. 86,5 – L. 81,5 – P. 42,5 cm. Adjugée 438 euros par Guillaumot Era-Enchères en 2018 à Villefranche-sur-Saône.
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