La cote des porcelaines de la Compagnie des Indes
Témoin des échanges avec la Chine au XVIIIe siècle, l’art de la Compagnie des Indes séduit encore aujourd’hui de nombreux collectionneurs européens. Décryptage des tendances du marché à travers un florilège de ventes à venir de porcelaines.
Si vous pensez que les importations en provenance de la Chine sont un phénomène récent, il est temps de vous replonger dans l’histoire de la porcelaine de la Compagnie des Indes ! L’histoire mérite en effet de s’y attarder : au XVIIIe siècle, le secret de la porcelaine est encore bien gardé. Meissen débute tout juste sa fabrication, et le gisement de kaolin de Saint-Yriex (ingrédient indispensable à la porcelaine) à côté de Limoges n’a pas encore été mis au jour. Seule la Chine offre une production constante et de qualité. Les Européens affrètent alors des navires afin d’aller chercher sur place ces pièces dont la finesse, la légèreté et la transparence séduisent toutes les cours. En France, Colbert crée la Compagnie des Indes, suivant ainsi la voie tracée par les Hollandais, les Anglais, les Espagnols… « Ces commandes sont réalisées dans le goût européen, du point de vue des formes comme des décors », analyse Quinghua Yin du cabinet d’expert Delalande. « Sur le marché actuel, elles séduisent toujours une clientèle européenne, les Chinois ne s’y intéressent que très peu, sauf lorsqu’il s’agit de pièces exceptionnelles. Elles sont d’ailleurs souvent incluses dans les ventes de meubles et objets d’art, et pas toujours dans celles consacrées aux Arts d’Asie ».
Les grandes familles de porcelaines
Trois grandes familles de porcelaines ont vu le jour au cours de ce XVIIIe siècle : la plus simple en bleu et blanc, et deux polychromes, la famille rose et la famille verte. Dans sa vente d’Arts d’Asie du 11 juin prochain, la maison Toledano permet de toutes les voir : ensemble de trois assiettes famille rose, époque Qianlong (estimé 80 – 120 euros), assiette creuse en porcelaine bleu et blanc à décor de fleurs (estimée 30 – 50 euros), et un vase bouteille à long col en porcelaine dans le style de la famille verte (estimé 30 – 50 euros). Pierre Ansas, expert du cabinet Ansas Papillon, souligne que la cote des ces pièces reste aujourd’hui assez réduite en comparaison avec les décennies précédentes : « la porcelaine de la Compagnie des Indes faisait partie de tous les intérieurs classiques depuis les débuts du XVIIIe siècle… Mais cette tradition disparait dans les années 1970-1980, et les prix des pièces anciennes ont bien chuté ». Les estimations semblent effectivement très raisonnables si l’on considère qu’il s’agit de céramiques datant du XVIIIe siècle. Dans la vente d’arts d’Asie du 31 mai prochain, la maison Dupont de Morlaix affiche une petite théière famille verte à 100 – 120 euros, un pot couvert famille rose à 30 – 50 euros, et deux assiettes à décor bleu et blanc à 60 – 80 euros. A Melun, Matthias Jakobowicz propose de son côté le 12 juin un plat octogonal à décor de pivoiniers et de paysage lacustre autour de 300 – 500 euros.
Florilège de pièces prestigieuses
« Pour que les prix montent un peu, il faut que les pièces portent les armoiries d’une grande famille française, donc qu’il s’agisse d’une commande spéciale et identifiée, qu’il s’agisse d’une partie de service et non de deux ou trois assiettes isolées. Ensuite, certains décors, ou teintes comme l’aubergine, ont toujours plus de succès », souligne Quinghua Yin. Chez Millon et associés, les 7 et 8 juin prochains, une bonbonnière aux armes de Louis XV, à décor d’emblèmes et de fleurs, est ainsi estimée entre 800 et 1 000 euros, une grande coupe circulaire famille rose décorée d’émaux polychromes et de personnages 1 000 à 1 500 euros, une paire de rafraîchissoirs famille rose sur fond aubergine 1 500 à 2 000 euros, et un vase de forme rouleau à décor de scènes guerrières famille verte, entre 3 000 et 4 000 euros. L’expert Pierre Ansas évoque également « les pièces de formes, comme des terrines en forme de canard, de sanglier ou de poisson qui rencontrent toujours un certain succès, ainsi que les services comportant une centaine de pièces, dont les estimations peuvent dépasser les 10 000 euros, ou encore les porcelaines famille rose à décor de feuilles de tabac, toujours recherchées. Mais ces lots d’exception restent rares sur le marché aujourd’hui très sélectif. La série de vacations fleuves récentes sur l’Art d’Asie de la maison Cornette de Saint Cyr a donné un petit coup de pouce à cet univers, grâce aux très belles pièces présentées ». Dans la vente Morceaux Choisis, la maison Pichon et Noudel-Deniau met en avant à Cannes quelques beaux spécimens : une soupière avec son bassin à décor fleur (estimée 800 à 1 000 euros), ou une verseuse avec son présentoir à décor d’oiseaux branchés (estimée 800 à 1 200 euros). La cote de ces pièces doit beaucoup au fait que les deux éléments soient encore réunis après presque trois siècle.