
La Fontaine Desaix retrouve sa Renommée : un marbre de Joseph Chinard préempté aux enchères à Clermont-Ferrand
Un trophée spectaculaire réalisé par Joseph Chinard était dévoilé aux enchères par la maison Conan le 25 mars à Lyon. Ce haut-relief devait à l’origine orner le piédestal de la Fontaine Desaix érigée à Clermont-Ferrand en hommage au général dévoué de Napoléon Bonaparte.
[Mise à jour du 27 mars] Le trophée de Joseph Chinard a été préempté pour 120 000 euros (prix marteau) par le Musée d’Art Roger Quilliot de Clermont-Ferrand.
Aucun général ne reçut autant de marques d’estime de Napoléon Bonaparte que Louis Charles Antoine Desaix (1768-1800), mort sur le champ de bataille de Marengo le 14 juin 1800. En mémoire de ce lieutenant dévoué, héros de la campagne d’Egypte, plusieurs monuments publics furent érigés à la demande du Premier consul ou par l’intermédiaire de souscriptions privées. Son tombeau est construit par Guillaume Moitte à quelques mètres de la frontière italienne, sur le col du Grand-Saint-Bernard en Suisse, tandis que plusieurs statues et fontaines fleurissent à Paris et sur ses terres d’origine, dans le Puy-de-Dôme. « Ces monuments commémoratifs s’inscrivent dans la mise en place d’une politique artistique dirigée par Vivant Denon visant à glorifier les généraux morts au combat », détaille l’expert en sculpture Alexandre Lacroix.
Un élément du projet de décor inachevé pour la Fontaine Desaix
A Clermont-Ferrand, une fontaine dite « Desaix » ou « Pyramide » est ainsi érigée selon les plans de l’architecte Joseph Laurent qui dessine un obélisque en pierre de Volvic surmonté d’une urne, à l’origine destinée à recevoir le cœur du général. Cet ensemble, toujours en place aujourd’hui, devait être encadré initialement de quatre trophées monumentaux. Ils furent confiés au célèbre sculpteur lyonnais Joseph Chinard (1756-1813) qui, en raison d’aléas techniques, financiers et politiques, ne put honorer sa commande. Les historiens de l’art ont longtemps supposé que seul le relief principal représentant la mort du général – aujourd’hui conservé au musée d’art Roger Quilliot à Clermont-Ferrand – avait été finalisé, jusqu’à la découverte d’un trophée spectaculaire demeuré depuis sa création en mains privées.

Fontaine Desaix ou Pyramide, 1801, pierre de Volvic, Clermont-Ferrand.
Ce haut-relief fut conservé par Joseph Chinard dans son atelier lyonnais, puis par son épouse jusqu’en 1839. Il rejoint ensuite la collection du sculpteur et marbrier lyonnais Antoine Dubreuil, avant que la société des Marbriers et Sculpteurs n’en devienne l’unique propriétaire de 1899 à nos jours. Il empruntera le chemin des enchères le 25 mars avec une estimation de 120 000 à 150 000 euros. « La réapparition sur le marché de l’art de ce trophée monumental met en perspective une œuvre que l’on ne connaissait jusqu’à présent que par un dessin envoyé au maire de Clermont-Ferrand en 1807 », poursuit Alexandre Lacroix. Un dessin qui portait au revers le descriptif suivant : « Trophée en marbre italien Après la bataille de Marengo, la Renommée, au milieu des trophées des vainqueurs, se saisit des boucliers des plus fameux héros, s’élève dans les airs pour publier cette victoire mémorable. »

Joseph Chinard (1756-1813). Trophée d’armes : La Renommée au milieu des armes. Haut relief en marbre de Carrare réalisé pour le piédestal du monument du Général Desaix (1768-1800) à Clermont-Ferrand. Vers 1806-1808. 155 x 264 x 55 cm. Estimé entre 120 000 et 150 000 euros.
Une rare sculpture monumentale de Joseph Chinard
« Les dimensions monumentales du trophée (H. 155 x L. 264 x P. 55 cm) imposées par l’architecte et sa position initiale en plongée et à la base de l’obélisque ont généré de grandes contraintes techniques à l’artiste qui expliquent peut-être sa difficulté d’aller au bout de son projet », explique l’expert. A la livraison du premier trophée représentant Desaix tombant de cheval, Joseph Chinard doit d’ailleurs composer avec une critique des plus hostiles. « Les observateurs ont du mal à comprendre les effets de proportion liées à la typologie de l’œuvre et à son positionnement. » « J’ai dû faire comme les statuaires de l’antiquité […] à qui l’on confiait les détails soumis à la masse général », se défend Joseph Chinard.

Joseph Chinard. Feuillet de quatre dessins envoyé plié par courrier le 15 avril 1807 au maire de Clermont Ferrand, Clermont-Ferrand, Bibliothèque du Patrimoine-Clermont-Communauté.
En ce début du XIXe siècle, la réputation de Joseph Chinard, premier prix de l’Académie Saint-Luc de Rome, n’est plus à faire. Ce protégé du couple Récamier s’attire les faveurs de Napoléon Bonaparte qui, de passage à Lyon, lui commande un portrait en buste du général Desaix, conservé aujourd’hui au château de Versailles et de Trianon. « C’est sans doute en ayant connaissance de la commande par Bonaparte de ce portrait officiel que le préfet du Puy de Dôme et le maire de Clermont choisissent à leur tour le sculpteur lyonnais pour réaliser le décor de l’obélisque », explique Alexandre Lacroix.

Joseph Chinard, Buste de Louis-Charles-Antoine Desaix, général de division, buste en marbre blanc, 82 x 56 cm, Versailles, château de Versailles et de Trianon.
Notre trophée éclaire un pan méconnu de la carrière de Joseph Chinard, davantage réputé pour ses petits sujets allégoriques en terre cuite, ses portraits en buste ou médailles, que pour ses grands monuments. Il s’inscrit pleinement dans le contexte de création de l’artiste des années 1800-1810 qui associe le répertoire antique à un sujet politique contemporain au sein d’allégories et de groupements complexes de symboles. « Il reprend, en le renouvelant, l’exercice classique du trophée d’armes auquel les plus grands sculpteurs des générations précédentes se sont attaqués avec succès, de Gaspard Marsy à François Girardon en passant par Jacob Sigisbert Adam, précise Alexandre Lacroix. Sa manière pleine d’énergie, de subtilité et d’élégance s’exprime ici par le contraste entre la féminité sensuelle, soulignée par un savant drapé du corps de la Victoire, venant s’opposer aux lignes tendues des armes et des trophées qui l’entourent et qui scandent l’ensemble de la composition dans un rythme martial. » Au marteau désormais de suivre le rythme…