
L’annulation d’une vente aux enchères pour erreur sur les qualités substantielles d’une œuvre d’art
Tous les mois, un avocat du cabinet Loyseau de Grandmaison décrypte une actualité juridique relative au marché de l’art. Ce mois-ci, Cyrielle Gauvin revient sur la question épineuse de l’annulation d’une vente aux enchères pour erreur sur les qualités substantielles d’une œuvre d’art, à travers l’affaire de la table compas de Jean Prouvé portée devant la Cour de cassation le 21 octobre dernier.
Le 21 octobre 2020 fut décidément l’occasion pour la Cour de cassation de s’intéresser aux ventes aux enchères publiques. Après avoir rappelé la responsabilité du commissaire-priseur en matière d’authentification, la Haute juridiction s’est prononcée sur l’annulation d’une vente pour erreur sur les qualités substantielles – aujourd’hui, qualifiées d’essentielles¹ – d’une œuvre (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 21 octobre 2020, n°19-15.415).
Une table compas de Jean Prouvé au cœur d’une affaire judiciaire
L’affaire débuta en 2007, lorsque, lors d’une vente aux enchères publiques, un enchérisseur acquit plusieurs lots. Ces acquisitions n’ayant pas été réglées en totalité, la maison de ventes assigna l’acquéreur en paiement des prix de chacune des ventes. En réponse, l’acquéreur sollicita leurs résolution et annulation.
Les ventes furent déclarées parfaites, à l’exception de celle du lot n°157 – une table compas de Jean Prouvé – pour lequel une expertise fut ordonnée afin de s’assurer de son authenticité. L’expert, dans son rapport, conclut que la table compas était bien authentique. Il releva cependant que son plateau était en bois plaqué chêne, et non en chêne tel que l’indiquait le catalogue de vente. En suite de cette expertise, l’acquéreur demanda la nullité de la vente du fameux lot, pour erreur sur les qualités substantielles de la table compas (en particulier du matériau du plateau), erreur résultant de l’inexactitude des mentions du catalogue. Sa demande fut rejetée par les juges du fond ; il se pourvut en cassation, en vain.
Une erreur difficile à prouver
Par arrêt du 21 octobre 2020, la Cour de cassation rejeta en effet son pourvoi : elle rappela, de manière tout à fait classique, que l’inexactitude des mentions d’un catalogue de vente aux enchères n’est pas suffisante à prouver l’erreur de l’acquéreur sur les qualités substantielles du lot acquis, ni à justifier l’annulation de la vente et ce, malgré l’importance particulière que revêtent ces mentions dans le cadre de telles ventes². En l’espèce, la Cour considéra que l’acquéreur n’avait pas rapporté la preuve de ce que l’erreur relative à la constitution du plateau (chêne massif ou plaqué) de la table, conçu pour être changé et dissociable de l’œuvre, ait été déterminante de son consentement. Il en eut été autrement si l’erreur avait porté sur l’attribution de cette table à Jean Prouvé, dont l’attrait principal résidait dans son piètement compas, caractéristique du style du designer.
Bien que toute erreur n’entraîne pas nécessairement l’annulation d’une vente, l’attention portée avant toute vente à la vérification de chacune des mentions portées sur les catalogues évite assurément nombre de contestations et de longs contentieux judiciaires³.
¹ Terme modifié par la réforme du droit des contrats, résultant de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.
² En vertu du décret n°81-255 du 3 mars 1981, dit « Décret Marcus », les commissaires et experts sont tenus de mentionner les caractéristiques des œuvres avec exactitude.
³ Si les faits de l’espèce sont soumis à la loi antérieure à la réforme, cette jurisprudence est parfaitement transposable au nouveau régime du droit des contrats.
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