Mithé Espelt, itinéraire d’une céramiste modeste plébiscitée sur le marché
Artiste singulière, Mithé Espelt s’est attachée durant toute sa carrière à embellir et réinventer les objets du quotidien. Depuis quelques années, ses créations se font une jolie place dans les ventes aux enchères. Au contraire des pièces de Line Vautrin dont les prix se sont envolés, de nombreuses œuvres de Mithé Espelt restent encore très accessibles aux enchères.
Les habitants de Lunel se surnomment volontiers « pescalunes », pour pêcheurs de lune, un nom qui convient assez bien à Mithé Espelt (1923-2020), artiste céramiste née dans cette ville d’Occitanie en 1923. Dès son plus jeune âge, son grand-père, Edmond Baissat, lui fait rencontrer Cocteau et Picasso. Elle intègre l’Ecole des Beaux-Arts de Montpellier à 16 ans, et fera partie de la première promotion de l’école expérimentale de céramique de Fontcarrade, un projet novateur destiné à faire émerger les meilleurs céramistes. « Elle s’est peu à peu formée à tous les arts du feu, détaille le commissaire-priseur Jacques Farran, et va développer des techniques très précises pour son émail craquelé et doré ou son cristalocérame. » La maison de ventes Farran, située à Montpellier, profite de sa proximité avec Lunel pour chercher et mettre en vente très régulièrement les créations de l’enfant du pays.
Après ses études, Mithé Espelt s’installe à Paris pour quelques années. Elle travaille dans l’atelier de la céramiste boutonnière Nathalie Pol, et collaborera deux ans avec Line Vautrin. L’influence de la grande artiste sur sa jeune consœur est évidente, et se reflète probablement sur le marché aujourd’hui : « La cote de Mithé Espelt progresse aussi parce que Line Vautrin est devenue complètement inaccessible, analyse le commissaire-priseur. Et elles partagent toutes deux une certaine gaité solaire dans leurs créations. »
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Une artiste discrète qui ne signait pas ses œuvres
Contrainte de rentrer à Lunel en 1946 après le décès de son père pour s’occuper de sa jeune sœur, la céramiste désormais aguerrie installe son atelier et commence à créer des objets de décoration et des bijoux pour la maison Souleiado, tout en répondant à des commandes ponctuelles. « Elle vendait ses œuvres à bas prix, ce qui est un problème car elles n’ont parfois pas été très bien conservées, regrette le commissaire-priseur. Il faut ajouter qu’elle ne les signait pas, nous retrouvons parfois un monogramme mais c’est tout. » Jusqu’à son décès en 2020, Mithé Espelt ne s’est jamais arrêtée de produire les miroirs, les boîtes, les cadres et les bijoux en céramique qui forment aujourd’hui son Œuvre présenté en vente.
Un marché récent mais dynamique
L’expert en arts décoratifs Emmanuel Eyraud précise que ce marché est récent, il émerge depuis quatre ou cinq ans, poussé notamment par la sortie du livre d’Antoine Candau Mithé Espelt le luxe discret du quotidien en 2020, et les expositions que lui a consacré la galerie Anne-Sophie Duval. Emmanuel Eyraud souligne qu’il y a « déjà des ajustements entre les pièces courantes, qui ont été fabriquées à beaucoup d’exemplaires dans son atelier, ou dont les couleurs et les formes remportent moins d’adhésion, et celles qui sont plus rares et plus réussies, dont la cote grimpe. » Les prix s’échelonnent donc entre quelques centaines et quelques milliers d’euros : en avril dernier, un vide-poche a été adjugé 360 euros, tandis qu’un miroir Pélican s’est envolé à 10 000 euros aux enchères. Parmi les objets les plus recherchés, ajoutons les pieds de lampe, tels que le modèle dit « Pyramides » dont un exemplaire sera mis en vente par l’étude Farran le 26 mai prochain (estimé 2 000 à 3 000 euros).
Signe d’une bonne progression du marché, les collectionneurs viennent désormais de mondes différents. Emmanuel Eyraud évoque les amateurs de décoration qui créent des « nuages de miroirs » sur leurs murs. « Ceux de Mithé Espelt étant bien plus accessibles que ceux de Line Vautrin, ils sont assez recherchés ! Même s’ils sont bien plus petits étant donné qu’elle n’a pas réalisé de grandes pièces. » De son côté Jacques Farran observe un intérêt soutenu de la part des galeries parisiennes, des collectionneurs régionaux et désormais aussi de quelques étrangers qui apprécient la technique de dorure, presque byzantine, que l’on relève sur certaines pièces. « La cote générale de Mithé Espelt me paraît avoir beaucoup augmenté il y a trois ans pour maintenant se stabiliser. La valeur des pièces exceptionnelles continue cependant à progresser. Après une période de découverte, les collectionneurs affinent désormais leur goût, les productions des années 1950-1960 ont sans doute un charme particulier. » Il est donc encore temps de s’y intéresser, avant que le marché ne s’épuise…