Un pastel de Mary Cassatt ayant appartenu à Ambroise Vollard aux enchères à Senlis
Un pastel réalisé entre 1901 et 1905 par la peintre impressionniste américaine Mary Cassatt sera dévoilé aux enchères le 17 décembre par Actéon Senlis. Ce charmant portrait de Sara souriant a appartenu à Ambroise Vollard. Il est estimé entre 200 000 et 300 000 euros.
« L’enfance est l’âge de l’innocence et du bonheur, le paradis de la vie, l’Eden perdu, que nous regardons avec nostalgie tout le reste de notre vie. » Cette formule d’Arthur Schopenhauer pourrait aisément définir la vision que les artistes adoptent au XIXe siècle à l’égard de l’enfant qui, au lendemain de la Révolution, conquiert une place nouvelle au sein de société, à la faveur des idées véhiculées au siècle des Lumières par des philosophes tel Jean-Jacques Rousseau. Sous le pinceau des Impressionnistes, la représentation de l’enfance acquiert ses lettres de noblesse et n’est plus cantonnée aux seuls portraits de commande – une ode à l’enfance contrastant avec des siècles de mise à l’écart dans la société, bientôt traduite en art.
Mary Cassatt (1844-1926) consacre une grande part de son œuvre à cette thématique, notamment au lendemain du décès de sa sœur Lydia en 1882, dépeignant des portraits d’enfants, avec leur mère, seuls ou en présence de leurs animaux de compagnie. « Inspirée par les portraits hollandais et flamands du XVIIe siècle, ainsi que par les portraits anglais de la période romantique, Cassatt actualise le genre », détaille le commissaire-priseur Dominique Le Coënt-de Beaulieu qui présente aux enchères le 17 décembre, avec le concours du cabinet d’experts Brame et Lorenceau, un portrait de jeune fille exécuté au pastel entre 1901 et 1905.
Un portrait de Sara, son modèle de prédilection
Demeurée célibataire, sa vie durant, Mary Cassatt sollicite les enfants de sa famille, d’amis ou d’habitants du Mesnil-Théribus, dans l’Oise, un village à quelques kilomètres de sa propriété de Beaufresne, acquise en 1894. Avec Reine, Margot et Simone, Sara, la petite fille d’Emile Loubert, le président de la République de 1899 à 1906, devient à partir de 1900 l’un de ses modèles de prédilection. C’est elle que la peintre américaine immortalise ici avec son chien et, comme souvent, sa toison dorée y est coiffée d’un élégant chapeau agrémenté de fleurs.
Ce charmant portrait, Mary Cassatt le réalise au pastel, une technique emblématique du XVIIIe siècle qu’elle exalte, ainsi qu’Edgar Degas ou Berthe Morisot, à l’aune de la modernité. La matière sensuelle et volatile du pastel lui offre une liberté gestuelle propre à saisir l’instant fugace. L’artiste use d’une touche nerveuse, rapide, et donne à voir, ainsi qu’une ébauche, les traces de son travail, laissant ici et là des pans de la feuille nus. Ainsi, en quelques traits estompés de roses, blancs opalins et bleus azurs, l’artiste capture la grâce et la douceur de son jeune modèle à la carnation veloutée.
Un pastel acquis par Ambroise Vollard autour de 1902-1909
Notre pastel séduisit Ambroise Vollard qui en fit l’acquisition autour de 1902-1909. Il rejoignit ensuite la collection de M. Raoul B. et demeurait jusqu’alors aux mains de sa descendance. A Paris, le Petit Palais expose un portrait similaire réalisé autour de 1901 et donnant à voir la jeune Sara accompagnée de son fidèle terrier. Les habitués des salles des ventes ont quant à eux pu rencontrer d’autres portraits analogues au cours des trente-cinq dernières années, à l’instar du pastel Sara au bonnet avec son chien adjugé 270 000 euros (343 800 euros avec frais) chez Artcurial en 2019 ou, plus ressemblant encore, du pastel Sara avec son chien, dans un fauteuil, portant un bonnet orné d’une plume adjugé 857 156 euros chez Sotheby’s en 2000. Notre charmant pastel est quant à lui estimé entre 200 000 et 300 000 euros. Une évaluation prudente au regard de l’intérêt grandissant qu’inspire Mary Cassatt auprès des collectionneurs, autant que du grand public.
Une œuvre estimée entre 200 000 et 300 000 euros
La peintre américaine, dont la notoriété ne s’est jamais tarie dans son pays d’origine, a été redécouverte par le public français à la faveur d’expositions qui, à l’instar de la rétrospective organisée en 2018 par le Musée Jacquemart-André à Paris, mettaient en lumière sa place majeure dans l’histoire de l’impressionnisme. Rappelons que, repérée par Degas au Salon de 1874, Mary Cassatt exposa régulièrement aux côtés du groupe, participant, avec Berthe Morisot, au renouvellement de l’art du portrait. Sur le marché, ses portraits remportent tous les suffrages, en témoigne l’adjudication portée à 1,216 million d’euros en novembre dernier chez Ader pour un Portrait de jeune fille au chapeau blanc peint en 1879. La toile a été acquise par la Fondation Bemberg, installée à Toulouse, entérinant la réhabilitation française de cette artiste, longtemps oubliée et qui, bien qu’Américaine, avait pour terre de cœur la France, où elle travailla durant près de soixante ans.