
Une harpe Érard présentée à l’Exposition universelle de 1873 aux enchères à Vichy
Le 6 novembre à Vichy, Etienne Laurent présentera aux enchères trois harpes exceptionnelles, dont un modèle Érard présenté à l’Exposition universelle de Vienne en 1873. L’occasion de revenir sur le succès que connut l’instrument en France aux XVIIIe et XIXe siècles.
Conservé au château de Versailles, un tableau exécuté en 1775 par le maître portraitiste Jean-Baptiste Gauthier-Dagoty (1740-1786) donne à voir Marie-Antoinette, offrant à la cour un concert improvisé de harpe. Sous l’impulsion de la dernière reine de l’Ancien Régime, cet instrument gagnait ses lettres de noblesse. A la fin du XVIIIe siècle, la harpe conquiert les milieux aristocratiques, appréciée de la gente féminine pour ses sonorités délicates et son corps élégant. « Certains compositeurs s’en font une spécialité, tel le Tchèque Jean-Baptiste Krumpholz, quand d’autres livrent ponctuellement des œuvres dédiées à la harpe. Ainsi Mozart écrit-il en avril 1778 un Concerto pour flûte et harpe pour Mademoiselle de Guînes », explique le commissaire-priseur Etienne Laurent qui présentera aux enchères le 6 novembre à Vichy trois harpes exceptionnelles signées des maisons Holtzman et Érard.
Holtzman, des harpes érigées en œuvres d’art
Devant cet engouement, des ateliers de facteurs s’attèlent à parfaire l’instrument, l’agrémentant de riches ornements, à l’instar de la famille Holtzman. « L’exaltation autour de la harpe et le mécénat royal encouragent les virtuoses et facteurs étrangers à s’installer à Paris. Godefroy, Henry et Jean-Baptiste Holtzman – respectivement reçus maîtres luthiers en 1776, 1782 et 1784 – comptent parmi les meilleurs. » Erigées en œuvres d’art, les harpes des Holtzman se distinguent par leur savoir-faire et leur préciosité. La première harpe présentée à Vichy arbore ainsi une crosse somptueusement ouvragée et rehaussée d’or, ainsi qu’une table d’harmonie ornée de peintures figurant des trophées d’instruments de musique et des scènes animées de jeunes gens de cour, évoquant la mode des scènes galantes impulsée par Antoine Watteau et François Boucher. « Comble du raffinement, la console est également peinte en noir et parsemée de motifs floraux naturalistes, que l’on retrouve tout au long de la colonne », précise le commissaire-priseur.

Harpe à crosse en bois sculpté et laqué noir, à mécanisme à crochets, pour trente cinq cordes et sept pédales. La crosse et la table sont richement décorées de décors sculptés et peint dont trophées d’instruments de musique et scènes galantes. Signée à l’intérieur de Holtzman à Paris et datée 1775. Petites usures à la peinture en partie haute et caisse probablement dévernie, quelques fentes sur la table et à l’arrière, petites traces de vers. H. 159 cm. Estimation : 1 000 – 1 500 euros.
Le deuxième modèle de la vente de Vichy rivalise de raffinement, mêlant des décors de feuilles d’acanthes, lauriers, fleurs, trophées de musique et paysages ruraux. « Ces deux instruments sont équipés de mécanique à crochets et de sept pédales. Ce type de harpes a été inventé en 1697 par un facteur allemand du nom de Hochbrücker. Celui-ci a imaginé un système de crochets en mouvement pour le jeu de sept pédales à la base de l’instrument, permettant une plus grande liberté de modulation. C’est ce que l’on appellera la harpe à simple mouvement. Il faudra attendre le début du XIXe siècle pour que Sébastien Érard, le plus illustre facteur de harpes de l’histoire, perfectionne le système. »

Harpe à crosse en bois laqué rouge à mécanisme à crochets, pour trente huit cordes et sept pédales. La crosse et la table sont richement décorés de décors sculptés et peint dont notamment des trophées d’instruments de musique sur la table. Elle est signée l’encre « H. Holtzman Fils à Paris » probablement pour Henry HOLTZMAN reçu maitre luthier en 1782. Dernier tiers du XVIIIe. Bel état malgré une pédale qui semble bloquée et petit manque en haut de table. 160 x 75 cm. Estimation : 1 500 – 1 800 euros.
Érard, les meilleures harpes du monde
Si maintes améliorations sont apportées tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, grâce au savoir-faire de facteurs comme les Cousineau ou les Naderman, la maison Érard porte la confection des harpes à un degré de perfection inégalé. Sous l’impulsion de Sébastien Érard (1752-1831), cette maison parisienne invente la harpe à double mouvement, offrant aux musiciens la possibilité de jouer les demi-tons supérieurs et inférieurs de la note naturelle. « Si à l’arrêt de la production en 1959, la maison Érard comptait seulement 5 000 harpes pour plus de 130 000 pianos, ces dernières ont toujours été considérées comme les meilleures du monde. A juste titre, cette faible production témoigne d’une fabrication soignée et réfléchie, aux antipodes de la production de masse dont le seul but serait le profit. » Devant la qualité de leurs instruments, la critique est dithyrambique, les récompenses et expositions se succèdent. La troisième harpe de la vente de Vichy fut ainsi présentée à l’Exposition universelle de Vienne en 1873. « Le registre de fabrication nous apprend qu’elle a été réalisée en octobre 1873, qu’elle portait à l’origine le numéro 1757 et qu’elle a « transformée en harpe à 47 cordes pour être vendue à M. Bernal » en 1883, poursuit le commissaire-priseur. Elle a ainsi été montée sur une nouvelle mécanique encore visible aujourd’hui. »

Harpe ERARD de style néo-grec, en bois noirci à riche décor sculpté et peint, n°1867, ancien n°1757. Année : 1873 47 cordes, 8 pédales. Mécanique à double mouvement. Corps sonore à cinq ouïes. Hauteur : 183 cm. Présentée à l’Exposition universelle de Vienne en 1873. Estimation : 8 000 – 10 000 euros.
Cette harpe à double mouvement était accompagnée à l’Exposition universelle de deux autres modèles, portant les numéros 1751 et 1752. Ce dernier est désormais conservé au musée de la Musique à Paris. « Comme l’indique le registre de fabrication, ces deux harpes – 1751 et 1752 – ont été réalisées en juin 1873 et il est assez probable qu’elles aient été exposées sur le stand d’Érard avant qu’un troisième modèle ne les rejoigne. Il s’agirait, en l’occurrence, de l’instrument de la vente du 6 novembre, achevé seulement en octobre. » Un détail clé qui, à la lecture des archives, laisse penser que l’instrument de Vichy aurait été ajouté en cours d’exposition et joué par nul autre que Félix Godefroid, qualifié à l’époque de « plus grand harpiste du monde musical ».
L’hypothèse est d’autant plus séduisante que l’instrument se distingue par un majestueux décor néoclassique. « La colonne de cette harpe a la particularité stylistique d’être ornée, sur la base et l’architrave, de sept quadri riportati représentant des allégories de la musique, des peintures qui sont à elles-seules dignes d’intérêt. » A ces peintures raffinées répondent des ornements fantaisistes et des décors sculptés, d’une précision remarquable. Autant de qualités qui devaient séduire une personnalité illustre outre-Atlantique qui fit carrière en politique, l’Argentin Don Félix Bernal. Cet homme de pouvoir respecté, tour à tour ministre de la guerre et vice-président du Sénat de la province, acheta l’instrument en 1883. Nul doute que cette harpe, estimée entre 8 000 et 10 000 euros, rejoindra le 6 novembre une nouvelle collection tout aussi prestigieuse.
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[Détail] Harpe ERARD de style néo-grec, en bois noirci à riche décor sculpté et peint, n°1867, ancien n°1757. Année : 1873 47 cordes, 8 pédales. Mécanique à double mouvement. Corps sonore à cinq ouïes. Hauteur : 183 cm. Présentée à l’Exposition universelle de Vienne en 1873. Estimation : 8 000 – 10 000 euros.