
Une rare vanité de Jacques Stella aux enchères à Dijon
Une Vanité étonnante du peintre lyonnais Jacques Stella sera présentée aux enchères par Hugues Cortot le 2 avril à Dijon. Estimée à plus de 15 000 euros, cette peinture sur ardoise réalisée autour de 1630 sommeillait dans une collection bourguignonne.
A gauche, une jeune femme à la carnation porcelainée se présente au spectateur dans son éclatante jeunesse, arborant des courbes sensuelles qu’un drapé aux teintes mordorées souligne. A droite, le corps idéalisé se décompose, rongé par les insectes, pour ne révéler que ses seules entrailles et son squelette. Cette Vanité est des plus surprenantes. Aux natures mortes composées de crânes et objets symbolisant la brièveté de la vie, Jacques Stella (1596-1657) substitue une allégorie féminine scindée en deux parties, opposant la beauté éternelle à la mort. « S’il est possible d’apparenter cette iconographie insolite au thème du transi propre aux monuments funéraires et volontiers associé aux épisodes pesteux qui frappent l’Europe de la Renaissance, de la danse macabre qui l’accompagne ou de la jeune fille et la mort, l’image rassemblant ces deux dernières en un seul personnage pourrait bien être toute originale », estime l’historien de l’art Sylvain Kerspern. « Les vanités sont rarement représentées de façon aussi crue et frontale, renchérit Stéphane Pinta, expert au cabinet Turquin. Il est probable que Jacques Stella ait vu les tableaux de Jacopo Ligozzi (1547-1627), un peintre de l’école florentine du XVIe siècle qui a réalisé des œuvres similaires.»
Une Vanité étonnante peinte autour de 1630
Surprenante au premier abord, notre Vanité répond néanmoins à un programme iconographique codifié. « Stella s’est particulièrement illustré dans le langage subtil de l’allégorie, prisé du milieu intellectuel romain, et notamment des cercles jésuites, s’appuyant, entre autres, sur l’Iconologia de Cesare Ripa, détaille Sylvain Kerspern. Le message ici est limpide : un chemin de délices par l’exaltation des sens, représentés par la vue ou l’odorat associés au miroir, aux fleurs, à la beauté charnelle ou à l’or, n’évite pas la déchéance et la tombe. Ce qui est chevelure d’un côté devient laurier de l’autre, asseyant le triomphe implacable de la mort, sur la beauté, les plaisirs et surtout le pouvoir. » Aux insectes et scorpions peuplant le royaume des morts, répondent ainsi un masque évoquant la tromperie, une faux et une pelle, une couronne renversée sur laquelle le cadavre pose un pied et un sablier, orné d’un phylactère, rappelant le passage inexorable du temps. Ces éléments symboliques, l’artiste les dispose de part et d’autre de la figure féminine, selon une partition symétrique de la surface picturale qu’il accentue en enrichissant le fond noir d’un rideau doré, créant un contraste d’ombre et de lumière. Mais cette apparente stabilité est contrariée par la disposition du point de fuite qui, lorsque l’on suit le dallage au sol, conduit non pas au centre du tableau, mais au vase jouxtant le coude droit du personnage. « Ce décalage introduit dans l’œil occidental, qui privilégie dans sa lecture le sens de la gauche vers la droite, une dynamique rompant avec la stabilité frontale de la pose, suggérant le passage de la lumière à l’ombre. Ainsi, plutôt que d’inviter à profiter des délices de la vie en considérant la mort inéluctable, le peintre incite à se détourner de la chair au bénéfice de l’esprit, que cette dernière délivre. »

Jacques Stella (Lyon 1596 – Paris 1657), « Vanité ». Peinture sur ardoise, 32,5 x 24 cm. Estimée entre 15 000 et 20 000 euros.
Une peinture sur ardoise provenant d’une collection bourguignonne
Estimée entre 15 000 et 20 000 euros, cette peinture sur ardoise sommeillait dans une collection bourguignonne. En dépit de l’absence de signature, l’attribution à Jacques Stella a rapidement été établie par les experts. Le peintre lyonnais s’est en effet illustré au XVIIe siècle à travers la réalisation de peintures sur ardoise, marbre noir ou pierre de parangon, et l’architecte et historiographe André Félibien évoque dans son ouvrage d’Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellents peintres l’existence de plusieurs tableaux dans lesquels il « peignoit des rideaux d’or par un secret qu’il avoit inventé ». « Ce qui est intéressant et typique de l’œuvre de Stella c’est l’utilisation de cette plaque d’ardoise qui, avec son aspect poli comme un marbre noir, donne une troisième dimension qui se distingue du reste de la peinture qui est quant à elle vernie, détaille l’expert Stéphane Pinta. Cet effet de troisième dimension est accentué par le rideau doré sur le côté. »
Le tableau aurait été réalisé par Stella autour de 1630-1633, lors des dernières années de son séjour à Rome où il travailla notamment pour le pape Urbain VIII. « Deux feuilles du Louvre, datées de 1633, peuvent être rapprochées de notre peinture, l’une employant un squelette pour évoquer l’agonie du cardinal Scipione Borghese, l’autre dont la pose assise, un bras levé, le second appuyé, montre des similitudes, précise Sylvain Kerspern. On peut également ajouter aux dessins du Louvre les images pour les sermons de Pentecôte ou de la Saint-Yves, réalisées autour 1630-1632, qui présentent de nombreux points de rapprochement dans la typologie ou l’association entre le souci de dispositions franches et la délicatesse de la gestuelle ».