Top secret-Bigot : un document historique sur le débarquement de Provence bientôt aux enchères
Alors que la Provence s’apprête à commémorer le 80e anniversaire du débarquement d’août 1944, la maison de vente de Roanne dévoile un document exceptionnel collecté à l’époque sur le terrain. L’expert Michel Fradin nous détaille tout l’intérêt de ce témoignage historique dont la vente est prévue le 20 septembre.
Le débarquement de Provence, désigné par les forces alliées sous les noms de code « Anvil » (enclume) et renommé « Dragoon » à la demande de Winston Churchill, est une opération militaire conduite à partir du 15 août 1944 par les Alliés entre Toulon et Cannes. Le but était de libérer Toulon et Marseille, puis de remonter le Rhône afin de rejoindre les forces débarquées le 6 juin lors du débarquement de Normandie, jonction opérée le 12 septembre 1944, soit à peine quatre semaines plus tard.
Face aux troupes allemandes, dégarnies à la suite de l’envoi de renforts vers le front de Normandie, les Alliés mettent en œuvre le premier jour 94 000 soldats et 11 000 véhicules, ces forces se renforçant notablement dans les jours suivant le débarquement lui-même. Après la diffusion, le 14 août, par Radio Londres de messages à destination de la Résistance, l’assaut naval a lieu à l’aube du 15. Les points de débarquement incluent Cavalaire, la Croix Valmer, Ramatuelle, Sainte-Maxime, Fréjus et la plage d’Anthéor à Agay. Le 16 août une deuxième vague débarque en renfort avec l’objectif de faire une poussée sur Toulon. Les combats sont intenses mais le succès est rapide, la Provence est libérée et l’avancée profonde des forces alliées en 24 heures déclenche l’insurrection populaire dans Paris.
Un document rare découvert sur les collines de Marcollin
Le 1er septembre 1944, le calme est quelque peu revenu en Provence. Un habitant de la région se promène sur les lieux et découvre sur les collines de Marcollin, où avait campé une division américaine, une grande carte en couleur. Il est immédiatement frappé par la beauté et la précision des vues à plat et panoramiques, ainsi que par les mentions « TOP SECRET-BIGOT » dont est généreusement estampillé le document. Conscient de la rareté et du caractère historique de ce document, il le conservera de nombreuses années, le fera encadrer et y ajoutera une petite carte manuscrite relatant sa découverte.
Quatre-vingts ans plus tard, cet émouvant document réapparaît à quelques centaines de kilomètres d’Agay. Il se présente sous la forme d’une grande carte double face au 1/ 25 000e, réalisée par le commandement de la 8e flotte américaine et portant la mention « TOP SECRET-BIGOT jusqu’au départ pour les opérations de combat ». Cette carte est datée du 31 juillet 1944 et indique l’état des défenses ennemies répertoriées au 23 juillet. Elle donne des informations d’une grande précision opérationnelle : dimensions de la plage d’Agay, hauteur et nature des fonds (sable, vase, pierre, herbes), espace de manœuvre, types de bateaux et d’engins terrestres pouvant être débarqués. Elle précise bien sûr les routes, voies ferrées, ponts, bâtiments, mais aussi la végétation des collines alentour et le niveau de l’eau tel qu’il sera vu depuis le large. L’autre face détaille toutes les positions et l’armement de l’ennemi, préalablement repérés par survols aériens.
Bigot, le plus haut degré de secret militaire
Comme nous, la mention BIGOT a dû intriguer notre promeneur. En fait, c’est une mention codée américaine indiquant le plus haut degré de secret militaire. Souvenons-nous que le débarquement de Normandie a été précédé d’une vaste opération d’intoxication des services secrets allemands. Tous les faux documents, destinés à brouiller les pistes, sont alors tamponnés « ultra-secret », alors que les véritables portent la mention « Bigot ». Les officiers et personnels associés ayant eu connaissance d’informations secrètes quant au débarquement sont réunis sous l’appellation « officiers Bigots ». Leur protection pendant tout le temps des préparatifs du Jour J est un souci permanent pour les Alliés.
La signification réelle de l’acronyme BIGOT est sujette à controverses. Pour certains, il provient de l’acronyme en anglais : « British Invasion of German Occupied Territory » signifiant « invasion britannique du territoire occupé par l’Allemagne ». Pour d’autres, cela provient de l’inversion des lettres de l’expression britannique « To Gib » (Gibraltar). Quoi qu’il en soit le fait de tenir en mains ce document provoque toujours, quatre décennies plus tard, une émotion particulière. La force d’évocation historique, la notion de secret bien sûr, mais aussi la qualité et la précision des informations forcent l’admiration mais, et c’est peut-être là le plus étonnant, cette carte est vraiment belle. Les vues panoramiques, le bleu de la mer, la mise en page en font un document des plus esthétiques qui allie richesse des informations techniques et élégance artistique.
Cette carte sera proposée dans la vente de militaria à Roanne le 20 septembre prochain par Véronique Ingels, à côté de nombreuses armes anciennes et d’une collection de pièces d’uniformes et d’équipements de la Première Guerre mondiale.