Le 12 décembre 2020 | Mis à jour le 17 décembre 2020

Philatélie : un marché ancien de niche mais toujours porteur

par Arthur Frydman

Domaine assez discret sous le marteau, la philatélie est pourtant le secteur du marché de l’art qui compte le plus de collectionneurs dans le monde entier. De nombreuses vacations thématiques se déroulent tant en France qu’à l’étranger et attirent (encore et toujours) des passionnés. Décryptage.

 

Dans les années 1850, l’ex Guyane anglaise subit une pénurie de timbres britanniques, notamment le One cent magenta, émis en 1856. Un objet considéré aujourd’hui comme le timbre le plus cher au monde, vendu quelques livres entre 1873 et 1877 pour être finalement acheté par un collectionneur en 2014 pour plus de sept millions d’euros, afin de l’exposer au musée de la poste de Washington. Une somme déraisonnable diraient certains pour un bout de papier à faire pourtant pâlir les ventes de montres de collection, de voitures vintage ou d’art contemporain. Nonobstant, c’est bien d’un timbre qu’il s’agit. Ces derniers sont, en effet, les objets les plus collectionnés dans le monde entier, chacun pouvant avec un petit budget, débuter une collection. Le nombre de collectionneurs avisés et pointus formant l’élite de la philatélie – à l’inverse des amateurs ou « boucheurs de caves » – est estimé à plusieurs millions. Les spécialistes auraient même tendance à dire que dans le marché de l’art, c’est le domaine qui en compte le plus à travers le globe avec en tête les asiatiques, très friands de timbres anciens. Et malgré l’époque et l’avènement du tout numérique, qui a évidemment changé la donne, diminuant le nombre de négociants spécialisés et donc de collectionneurs, le marché existe bel et bien et il est toujours porteur – malgré une baisse significative des cours – avec une clientèle bien présente. Celle-ci ne cherche pas à spéculer ou à obtenir des rendements faramineux – des plus-values sont tout de même possibles mais elles sont rares et seulement sur des pièces exceptionnelles – mais davantage à se faire plaisir, cultiver sa passion en parcourant l’histoire de France et de Navarre à travers les timbres-postaux.

  

Le 1 franc vermillon, le « Graal » des collectionneurs 

En France, et avec presque dix ans de retard sur les Anglais – qui émettent dès 1840 le premier timbre-poste, le fameux « Penny Black » à l’effigie de la reine Victoria et dont un exemplaire s’est vendu en 1994 pour la somme record de 24 millions de francs (450 000 euros) – l’administration française décide d’emboîter le pas aux Britanniques. Nous sommes le 1er janvier 1849 et la France émet son premier timbre-postal : le 20 centimes noir qui porte les traits de Cérès, la déesse des moissons, métaphore de la Deuxième République et qui fut utilisé pour affranchir les lettres simple, dès sa date d’émission d’où son titre de « premier timbre de France ». Un timbre qui, oblitéré, n’a pas de grande valeur contrairement au 1 franc vermillon de type Cérès – émis un jour après le 20 centimes noir -, le timbre le plus célèbre de France et l’un des plus recherchés. « Après cette première émission, les premiers collectionneurs apparaissent vers 1855 avec des premières ventes aux enchères dédiées aux philatélistes autour de 1860 », rappelle l’expert Pierre Lashermes. Le 1 franc vermillon devient très rapidement une pièce rare puisqu’il est retiré du marché le 1er décembre 1849, année de son impression, pour être remplacé par le 1 franc carmin. Ceci pour trois raisons comme l’explique le spécialiste. « D’une part, sa couleur se confondait avec le orange du 40 centimes. D’autre part, l’encre vermillon ne tenait pas sur les plaques d’impression en cuivre. Enfin, ce timbre est destiné aux lettres de plus de 100 grammes, donc plutôt pour les courriers professionnels. Il était moins courant et a moins circulé, d’où sa rareté et donc sa valeur ». Une pièce qui représente encore aujourd’hui le « Graal » de toute collection qui se respecte, avec une cote qui reste stable, comme le confirme le catalogue Yvert et Tellier, une référence pour les collectionneurs. D’ailleurs, en septembre dernier chez Ivoire Nîmes, un 1 franc vermillon avec quelques défauts a atteint une belle adjudication de 3 299 euros avec frais et le 17 décembre dernier, la même maison de ventes dispersait une importante collection d’un passionné qui balayera l’histoire postale, de 1849 jusqu’à la guerre de 1939 avec de belles pièces semi-modernes. La vacation dévoilait un vermillon et un timbre de type Sage – graveur qui a donné son nom à une série émise de 1876 à 1899 – dont un 1 centime bleu de Prusse, une référence également très recherchée. 

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Vermillon très vif, FRANCE N°7a Vermillon très vif, oblitéré grille, légers amincis, signé et certificat Calves. Une des plus belles nuances de ce timbre. Adjugé à 2 800 euros (hors frais) par Ivoire Nîmes le 12 septembre 2019.

 

Un attrait pour les timbres antérieurs à 1940

Cela étant dit, quels sont les timbres et les périodes plébiscités par les philatélistes ? Les profils des collectionneurs sont très différents, certains achetant des timbres récupérés sur des enveloppes, donc ayant déjà servi et dits « oblitérés », tandis que d’autres privilégient des timbres n’ayant jamais été utilisés, autrement dit « neufs » avec la gomme toujours présente et saine au revers. Une troisième catégorie, quelque peu à part, comprend les marcophiles ou ceux à la recherche de timbres toujours collés au dos des lettres avec une période phare entre 1900 et 1930. « Auparavant, les collectionneurs traquaient les timbres du monde entier afin d’avoir la collection la plus hétéroclite et complète possible. Mais aujourd’hui, ce n’est plus possible. L’offre est trop supérieure à la demande Â», analyse Pierre Lashermes. En effet, chaque année, des milliers de timbres sont émis dans le monde entier, le choix étant trop vaste, les passionnés doivent se recentrer sur des thématiques bien précises et sur des périodes ciblées. « Ce qu’on observe sur le marché, c’est un fort attrait pour les timbres de l’époque du Siège de Paris en 1870 et en général, de toutes les pièces antérieures à 1940. Des choses rares car bien souvent détruites par les guerres ou émises par des presses qui ont cessé de fonctionner. Les timbres restant sont des survivants et sont donc très recherchés. Les timbres modernes eux ne trouvent pas preneurs. La cause à une manne de collectionneurs qui ne se renouvelle pas et ne rajeunit pas Â», enchérit l’expert. Ainsi, parmi les pièces les plus demandées, on trouve celles à tirages limités donc rares comme le franc vermillon, le 5 francs « Empire », les 10 centimes bistre au type Cérès, les premiers timbres d’Andorre dans les années 1920, les boules de Moulins, les ballons montés, des Berthelot ou des Pasteur, dont un exemplaire a été adjugé à plus de 1 200 euros le 22 novembre dernier à Bordeaux chez Blanchy et Lacombe.

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Ballon Monte, pli confié du Jean Bart n°1 le 30.9.1870 pour Worthing (GB) avec arrivée le 20.10.1870, très bon état. Adjugé 1 300 euros, hors frais le 22 novembre par Blanchy & Lacombe 2019.

 

L’état du timbre, un critère fondamental

Enfin, et comme dans tous les milieux pointus où gravitent de grands connaisseurs, l’expertise est fondamentale. « La documentation est cruciale pour nous, elle est notre baromètre. Et avec elle, l’expérience de manipuler les timbres pour en garantir la qualité et l’authenticité Â», pointe Pierre Lashermes. Selon l’expert, deux points prennent le pas sur tous les autres. Dans un premier temps l’allure de la pièce expertisée. Pour des timbres dits « neufs Â», la gomme au dos ne doit pas être usée mais doit être intacte comme à l’époque. Afin de conserver celle-ci, il est recommandé de mettre sa collection à l’abri d’endroits humides et d’éviter de trop les exposer à la lumière. « C’est une question de teinte car les timbres sont colorés avec du sulfure de mercure et avec le temps et la lumière, la couleur peut se ternir et donc diminuer la valeur du lot. Attention également aux timbres décollés qui ne doivent pas être amincis au niveau des dates ou des marges. Ils doivent être dans leur intégralité, sans papier en moins », souligne encore le spécialiste. Dans un second temps, sa provenance, un dernier critère qui revient sans cesse en tête de liste dans tous les domaines du marché de l’art. Les timbres doivent être le plus « frais Â» possible, c’est-à-dire nouveaux sur le marché et donc jamais passés aux enchères, ce qui accroît leur désirabilité. 

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