
Un joyau de l’horlogerie suisse du XIXe siècle adjugé 347 760 euros à Paris
Un chef d’œuvre de l’horlogerie genevoise du XIXe siècle était présenté aux enchères le 6 avril par la maison Audap et Associés à Paris. Cette rare petite lorgnette associe le savoir-faire d’un horloger, d’orfèvres, d’un peintre et de concepteurs d’automates. Estimée de 30 000 à 50 000 euros, elle a trouvé preneur à 347 760 euros.
Dissimulés dans un écrin de cuir rouge, des automates finement ciselés semblent encore s’animer au rythme de l’horloge, ornée de matériaux précieux et de peintures émaillées présentant des fruits délicats et des enfants songeurs. Réalisé au cours du XIXe siècle, ce décor enchanteur est celui d’une montre à automates caractéristique de la production genevoise de luxe née au XVIe siècle. Elle serait issue de la collection du banquier John-Henry Harjes (1829-1914) et aurait été transmise par succession jusqu’au propriétaire actuel. Fruit d’une collaboration exceptionnelle entre l’horloger Puy Roche, le peintre Jean-Louis Richter, les concepteurs d’automate Piguet et Capt et les orfèvres Sene et Neisser, elle atteste du haut niveau de perfection atteint par l’industrie horlogère de Genève au XIXe siècle.
Une lorgnette au riche décor émaillé et gravé
La montre ainsi transformée en objet de décoration et de divertissement luxueux s’inscrit dans un savoir-faire suisse et plus particulièrement genevois mêlant harmonieusement les talents d’orfèvres, horlogers ou peintres depuis le XVIe siècle. L’interdiction de porter des bijoux dans l’enceinte de la cité de Genève au cours d’une période d’austérité économique aurait conduit les orfèvres protestants réfugiés dans la ville à collaborer avec leurs confrères horlogers, donnant ainsi naissance à l’horlogerie de luxe suisse. Sur la montre à automates présentée par Audap et Associés, le cadran aux chiffres arabes est magnifié par le travail des orfèvres Sene et Neiss, réalisé de concert avec l’horloger Puyroche. « Le décor est composé d’une lorgnette en or jaune ciselé et émaillé polychrome, elle-même décorée de frises de coquilles et feuillages alternés, soutenant l’éclosion d’une rosace à motifs d’ogives et de festons », détaillent les experts du cabinet SC Émeric & Stephen Portier. Quatre panneaux coulissant arborent des peintures émaillées attribuées au peintre Jean-Louis Richter (1766-1841). « La peinture à l’émail née en France fut introduite à Genève au XVIIe siècle et se perfectionna grâce à de nouveaux procédés, permettant la réalisation de décors d’une grande finesse et une meilleure solidité de l’émail », expliquent les experts. « Celles présentes sur l’horloge donnent à voir deux natures mortes aux fleurs et deux scènes animées d’enfants, les uns en prière, les autres cueillant des cerises. » Autant de peintures propres à susciter l’émerveillement.

Sene & Neisser, orfèvres – Puyroche, horloger – Suisse vers 1805. Lorgnette en or jaune ciselé et émaillé polychrome, décorée de frises de coquilles et feuillages alternés, rosace à motifs d’ogives et festons.
Une scène de théâtre animée
Car d’émerveillement il s’agit bien de cela : au-delà de la délicatesse des peintures et de la finesse du travail de joaillerie, le guichet de l’horloge accueille une véritable scène de théâtre où se jouait autrefois en musique une insouciante course-poursuite d’automates. En guise de comédiens, une silhouette de cheval tente de rattraper celle d’un chien entre des palmiers mordorés, aux abords d’une haute fontaine à mascarons. « Le mouvement de l’eau surgissant de la colonne est figuré par deux filets de verre torsadés tandis que le fond émaillé polychrome représente une loggia. Il s’agit d’un décor en « carrousel » tournant autour de la lunette », poursuivent les experts. Au XIXe siècle, les montres, miroirs, lorgnettes ou tabatières s’animent à mesure que les artistes agrémentent ces objets de luxe d’automates et de boîtes à musique. « Les automates des boîtes et lorgnettes suisses datés des années 1800 sont couramment attribués à Henri-Daniel Capt (1773-1841) et Isaac-Daniel Piguet (1775-1841) qui, associés de 1802 à 1811, se spécialisèrent dans la création d’objets de vertus et furent les premiers à associer automates et boîte à musique. » Une mécanique subtile provisoirement à l’arrêt, qui nécessitera à son acquéreur une restauration afin de pouvoir se délecter de nouveau du passage des heures, des mouvements des automates et des mélodies de la boîte à musique.
Un présent de choix adjugé 347 760 euros
Une partie de la production horlogère genevoise du XIXe siècle était destinée à satisfaire les attentes d’une clientèle issue de l’Orient et plus particulièrement de Chine, friande d’objets de décorations luxueux fonctionnant par paire. Cité par les experts du cabinet SC Émeric & Stephen Portier, l’historien de l’horlogerie Alfred Chapuis (1880-1958) explique la raison de ce goût pour les structures duelles : « Les collectionneurs aiment à posséder les deux montres jumelles… cela est un résultat du goût pour la symétrie que les chinois possèdent depuis des siècles… lorsqu’il s’agit de présents, une paire a une grande valeur. C’était même une règle pour les cadeaux faits à un supérieur. » Les scènes émaillées de ces objets fabriqués par paire se répondaient dès lors en un jeu de miroir subtil. « L’image inversée, comme le reflet de l’autre. C’est l’une des spécificités de la production genevoise pour le marché chinois », poursuivent les experts, précisant qu’une autre lorgnette, arborant des décors similaires mais justement inversés, figurait au catalogue d’une vente orchestrée par Maître Dernis en 1965 à la galerie Charpentier. Un présent de choix, sans nul doute.
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