
De Mai-Thu à Lé Phô, la maternité vue par deux maîtres vietnamiens
De Compiègne à Toulouse, deux maternités de Mai-Thu et Lé Phô animent les ventes aux enchères du mois de novembre. Ces œuvres inédites sur le marché témoignent d’une période charnière dans la carrière de ces deux maîtres incontestés de l’art vietnamien du XXe siècle.
L’accueil de nouvelles œuvres signées de peintres vietnamiens est à chaque fois un ravissement, tant ces artistes rivalisent de délicatesse. L’arrivée, à Toulouse, d’une encre, gouache et traits de crayon sur soie par Lé Phô et, à Compiègne, d’une peinture sur toile de soie de Mai-Thu, ne fait pas exception, bien au contraire… Ces maternités ressurgissent de collections privées et manquaient jusqu’alors aux catalogues raisonnés de leur auteur. Elles témoignent toutes deux d’une période charnière dans la carrière de ces deux maîtres qui parvinrent à sublimer le thème de la maternité, dans des œuvres à mi-chemin entre la tradition asiatique et l’art occidental.
L’une des premières maternités de Mai-Thu en vente à Compiègne
De Mai-Thu (1906-1980), la vente compiégnoise présente un témoignage précoce : une œuvre, jusqu’alors inconnue, datée de 1942. Formé à l’Ecole des Beaux-Arts de Hanoï auprès de Victor Tardieu, l’artiste a fait, dès 1937, une entrée remarquée à Paris, participant tour à tour à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs, au Salon des indépendants et au Salon d’Automne. Démobilisé à Mâcon en 1941, il s’attire les faveurs des Combaud, une famille influente qui lui donne accès à de nombreuses commandes de portraits émanant de la société mâconnaise. En 1942, il est invité par le gouverneur d’Algérie à exposer à la Galerie Romanet d’Alger, aux côtés de son ami Lé Phô. Il s’installera un an plus tard dans la région parisienne où il réalisera la plupart de ses œuvres. « Notre peinture, authentifiée par la fille de l’artiste, Mai Lan Phuong, correspond au début de sa carrière, alors qu’il travaille entre Mâcon et Alger à des scènes d’intérieur », précise la commissaire-priseur Philomène Wolf.
Dans cette Maternité à l’atmosphère feutrée, Mai-Thu use déjà d’un style affirmé, mêlant harmonieusement la tradition asiatique et l’esthétique européenne. Des camaïeux de beiges, bruns et ocres confèrent à la scène une grande douceur. Les maternités sont, pour Mai-Thu, l’occasion de mêler ses deux sujets de prédilection, la beauté des femmes vietnamiennes, graciles, et la tendresse de l’enfance. Il dépeint ici une maternité protectrice, abordant un sujet rare dans son œuvre, celui de l’allaitement. Un thème hérité de la peinture religieuse occidentale qu’il sublime par le recours à la technique subtile de la peinture sur soie.
Enchérir | Suivez la vente de la maternité de Mai-Thu le 18 novembre en live sur interencheres.com et auction.fr

Mai Trung Thu, dit Mai-Thu (Ro-Nha /Haiphong 1906 – Paris 1980), Maternité dans un intérieur. Peinture sur toile de soie contrecollée sur carton, signée en bas à gauche et datée « 1942 ». 59 x 42,5 cm. Une déchirure en haut à droite, quelques infimes tâches et manques de soie. Provenance : Collection particulière, environs de Compiègne. L’œuvre sera accompagnée d’un certificat d’authenticité daté du 11 Septembre 2023 aimablement délivré par Madame Mai Lan Phuong, fille de l’artiste, qui nous a confirmé que cette œuvre sera incluse dans le catalogue raisonné de l’artiste en cours de préparation. En vente le 18 novembre chez Actéon Compiègne avec une estimation de 150 000 à 200 000 euros.
Une Vierge à l’Enfant de Lé Phô en vente à Toulouse
L’héritage de l’art sacré européen est encore davantage prégnant dans la Maternité de la vente toulousaine, dans laquelle Lé Phô (1907-2001) coiffe ses protagonistes de délicats halos. « Plus qu’une Maternité, Lé Phô peint ici une véritable Vierge à l’enfant », reconnaît le commissaire-priseur Marc Labarbe. Si l’on ne compte plus les maternités qui émaillent l’œuvre de Lé Phô, le thème se teinte, autour de 1940-1950, d’une dimension religieuse, à la faveur d’un voyage en Italie dans les années 1930 où il découvre les primitifs italiens et les maîtres de la Renaissance. « Il est indéniable que l’influence de ces œuvres italiennes a été déterminante à une certaine époque du travail de Lé Phô », note son fils et ayant droit, Alain Le Kim qui se souvient d’un séjour postérieur en Toscane. « Je garde le souvenir de mon père nous emmenant, enfants, en Toscane au début des années 1960. Il nous menait directement dans les églises qui l’avaient aimé trente ans auparavant. Trente ans nous paraissaient une éternité et nous étions impressionnés par sa mémoire. Il se dirigeait vers les fresques des primitifs italiens dont il se souvenait de tous les détails et nous les expliquaient. »
Ici, la mère et son enfant prennent place devant une fenêtre à l’arche arrondie sur laquelle repose un vase empli de fleurs. Autant d’éléments qui évoquent les Madone à l’enfant représentées par les maîtres de la Renaissance au sein de loggia à l’italienne. « La particularité de notre œuvre est la grande sobriété du décor qui contraste avec les autres peintures de l’artiste dans lesquelles il place ses personnages au sein de décors floraux très chargés, explique le commissaire-priseur. Son fils Alain Le Kim m’a d’ailleurs confié que c’était l’un des plus beaux tableaux qu’il ait vu de son père ». Cette œuvre se dote enfin d’une aura toute particulière lorsque l’on sait que Lé Phô tenait sans doute sa fascination pour les maternités de la perte de sa mère, décédée alors qu’il n’avait que deux ans.
Enchérir | Suivez la vente de la maternité de Lé Phô le 10 novembre en live sur interencheres.com

Lé Phô (1907-2001), Maternité. Encre gouache et traits de crayon sur soie marouflé sur carton, signé en haut à gauche. Pliure, éclats et manques en haut à droite en bordure. 61,5 x 44,5 cm. Provenance : Collection particulière, France. L’œuvre sera accompagnée d’un certificat de Monsieur Alain le Kim en date du 28 septembre 2023 sera remis à l’acquéreur et figurera au catalogue raisonné de l’artiste en préparation. En vente le 10 novembre chez Marc Labarbe à Toulouse avec une estimation de 300 000 à 400 000 euros.