
Record mondial à 2,2M€ pour une œuvre de Charles Meynier disparue depuis 200 ans
C’est une redécouverte exceptionnelle qui a animé en ce début d’année les cercles d’amateurs de peinture néoclassique. Un tableau clé dans l’œuvre de Charles Meynier (1768-1832), exposé au Salon de 1800 et bien connu des historiens de l’art, a été retrouvé dans la région nantaise, après deux siècles d’absence. Mis en vente par Maîtres Bertrand Couton, Henri Veyrac et Elisa Jamault mardi 27 mars 2018 à Nantes, il a été adjugé 2,2 millions d’euros (frais compris), soit près de neuf fois son estimation initiale, fixée entre 150 000 et 200 000 euros.
Deux siècles auront été nécessaires pour retrouver la trace de ce chef-d’œuvre du peintre néoclassique Charles Meynier, célèbre pour avoir décoré des plafonds du musée du Louvre. Il fut acquis au Salon de 1800 où il fit forte impression, et ne se diffusa depuis qu’au travers de copies. Il était en effet connu des historiens de l’art par la gravure d’Alexis Châtaigner qui en reprenait la composition – d’ailleurs reproduite dans une monographie de 2008 consacrée à Meynier – mais l’œuvre finale avait jusqu’alors totalement disparue. « Après avoir été achetée en 1800 par Joseph Fulchiron (1744-1831), un banquier lyonnais qui collectionna plusieurs œuvres du peintre, la toile ne refit jamais surface, détaille Julie Ducher, experte en tableaux anciens et XIXe au cabinet Turquin. Encore aujourd’hui nous savons peu de choses sur son parcours, hormis qu’elle a été acquise au début des années 1930 par les ascendants des actuels propriétaires, originaires de la région nantaise, qui ont aujourd’hui décidé de la soumettre aux enchères. »
Une toile encensée au Salon
Lors de son exposition au Salon de 1800, la critique ne tarit pas d’éloge à son égard : « ce sujet est traité avec infiniment d’art, souligne un journaliste de la revue littéraire et politique La Décade philosophique. Toutes les parties de la peinture y sont bien observées, il mérite de fixer l’attention des connaisseurs, et d’entraîner leur suffrage ». A cette époque, la réputation de Charles Meynier est déjà bien installée, marquée par un Prix de Rome partagé en 1789 avec le peintre romantique André-Louis Girodet (1767-1824), qui lui vaut un séjour de quatre ans en Italie. Les critiques et le public louent le style très personnel et poétique de l’artiste, fait de coloris doux et de gracieuses figures.
« Avec cette toile aux tons sourds gris bleutés, Meynier propose en quelque sorte un résumé du style néoclassique », explique Julie Ducher. On y retrouve le goût des compositions sobres et élégantes, parfaitement agencées, où les personnages se distinguent par leurs expressions et leurs gestes éloquents. Mais derrière ce raffinement classique et rassurant, une lueur crépusculaire installe la scène dans une atmosphère mystérieuse et irréelle. « Avec ce subtil clair-obscur, Meynier dévoile ici discrètement sa dette envers son rival Girodet et son célèbre Sommeil d’Endymion de 1791. Nous ignorons si la toile avait été commandée par Fulchiron avant sa présentation au public, mais ses dimensions importantes (1m54 x 2m03) et l’attrait certain du collectionneur pour le peintre pourraient le laisser croire.»
Le Départ de Télémaque
Le tableau illustre Le Départ de Télémaque, un récit tiré du roman d’apprentissage de Fénelon, Les Aventures de Télémaque. Inspiré de L’Odyssée d’Homère, celui-ci fut publié en 1699, puis réimprimé tout au long des XVIIIe et XIXe siècles. Il conte ici les amours malheureux de Télémaque (fils d’Ulysse, roi d’Ithaque, et de Pénélope) et de la nymphe Euscharis, servante de Calypso.
A gauche de la composition, celle-ci retient son amant, avec qui elle entretient une passion fugitive et contrariée par la jalousie de Calypso, sa maîtresse, qui s’éloigne à droite. A l’extrême gauche, Mentor, le précepteur en charge de l’éducation de Télémaque, sépare le jeune couple. « Le récit montre l’évolution morale d’un héros, à travers ses expériences, ses passions et ses renoncements, qui le rendent humain et qu’il doit apprendre à maîtriser s’il veut devenir un sage dirigeant. » Entre 1800 et 1815, le récit de Fénelon est édité à 76 reprises. Il séduit alors de nombreux peintres. « David en fait une représentation, plus mièvre, figurant en 1818 Les Adieux de Télémaque et d’Eucharis, probablement après avoir vu celui de Meynier au Salon. »
Un record mondial
« Le tableau dépasse véritablement son auteur, et figure parmi ses plus grands chefs-d’œuvre, aux côtés de sa série de muses conservée aux Etats-Unis au Cleveland Museum of Art, s’enthousiasme l’experte. C’est la toile qui manquait au corpus de l’artiste et dans laquelle il exprime son plus grand talent. » Les œuvres de Charles Meynier, qui habillent les murs des plus grands musées, du Louvre au musée des beaux-arts de Montréal, sont rares sur le marché. « Un précédent record avait été enregistré pour le peintre aux Etats-Unis en 1997, atteignant les quelques 442 000 euros, mais depuis, peu d’œuvres étaient passées aux enchères et aucune de cette qualité.» Estimée entre 150 000 et 200 000 euros, cette toile élégante et crépusculaire s’est ainsi envolée au prix record de 2,2 millions d’euros (frais compris), acquise, à la suite d’une bataille acharnée, par un acheteur britannique.
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