Le 26 septembre 2023 | Mis à jour le 15 mars 2024

La folie des collections aux enchères : le nom a-t-il un prix ?

par Diane Zorzi

Gérard Depardieu, Alain Delon, Claude Berri… Bénéficiant de l’aura médiatique de leur propriétaire, les collections animent des ventes aux enchères spectaculaires. A l’occasion de la dispersion de la collection d’art de Gérard Depardieu, retour sur l’engouement de ces ventes qui ont en commun de réunir, en un même lieu, des collectionneurs aguerris et des amateurs d’un jour, avides d’acquérir quelque témoignage de l’intimité d’une personnalité illustre.

 

Qu’elles émanent de marchands, mécènes, artistes ou simples curieux, les collections « particulières » sont, depuis une dizaine d’années, un objet d’étude fécond pour les historiens de l’art et conservateurs de musées, tant et si bien que les expositions autour du collectionnisme constituent désormais un pan essentiel de l’offre culturelle – en guise de rétrospective, citons « l’aventure des Stein » (Grand Palais, 2011), « Signac Collectionneur » (Musée d’Orsay, 2021), ou encore les collections Chtchoukine et Morozov (Fondation Vuitton, 2016 et 2021).

Cette tendance n’est pas nouvelle pour le marché de l’art dont l’histoire avance au rythme de la circulation des œuvres et, a fortiori, de la constitution des collections – la dispersion de la collection des frères Goncourt qui anima le second marché en 1897 en est un exemple fameux. Ces ventes aux enchères de collections, si elles ne sont pas nouvelles, bénéficient néanmoins, depuis une dizaine d’années, d’une aura renouvelée à mesure que le secteur se démocratise. Un constat que les maisons de vente sont loin d’ignorer. Ces dernières savent qu’en enrichissant leurs catalogues de grands noms, elles s’exposent à une large couverture médiatique propre à attirer les foules, amateurs éclairés comme néophytes.

 

Les ventes de collections, un indicateur de la santé du marché

Le marché de l’art français doit ainsi, en grande part, son dynamisme aux ventes de belles collections. Le rapport annuel du Conseil des Maisons de Ventes (ex-Conseil des Ventes Volontaires) consacre d’ailleurs, à chaque exercice, une analyse détaillée sur ces ventes qu’elle considère comme « une composante essentielle » des vacations d’Art et objets de collection et, en cela, « un indicateur de l’activité » (source : rapport d’activité CVV 2017). Le bilan 2017 dessinait, en la matière, une année faste, avec les succès engrangés par les ventes des collections Prat (art moderne et contemporain, 39,5M€), Hubert de Givenchy (design et objets d’art, 32,7M€), Jacques Grange (design et objets d’art, 28,4M€) et Vérité (arts premiers, 16,7M€), portant le taux d’invendu à 7%, contre 33% en moyenne pour le secteur. Huit ans plus tôt, la dispersion de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, orchestrée au Grand Palais à Paris, avait quant à elle eu le privilège de recevoir un surnom des plus flatteurs, la presse évoquant « la vente du siècle », avec ses 733 lots, son catalogue en cinq tomes de 1 952 pages (pesant 10 kg !), ses 25 records (citons un tableau de Matisse vendu 35,905 millions d’euros) et ses 373,5 millions d’euros d’adjudications (l’estimation se situait entre 200 et 300 millions d’euros).

Le nom, affiché en couverture des catalogues, n’est évidemment pas le seul argument de vente. Les vacations, citées précédemment, constituaient par leur seul contenu des événements d’exception. Pour exemple, la collection du couple d’esthètes Bergé-Saint Laurent, avec ses toiles de Géricault, Picasso, Matisse, Cézanne, Manet, Mondrian ou encore Gauguin, concentrait un nombre de chefs-d’œuvre propre à faire pâlir bien des institutions muséales… Néanmoins, sans l’estampille « Bergé-Saint Laurent », la vente n’aurait sans doute pas eu la même répercussion mondiale, et les objets seraient demeurés entre les mains de quelques initiés – à ce sujet, les organisateurs se réjouissaient de la venue de nouveaux amateurs à qui le couple, symbole et référence esthétique pour toute une génération, était ainsi parvenu à transmettre le goût des belles choses. Les ventes de collections ne comptent en effet pas uniquement des chefs-d’œuvre inaccessibles et ont dès lors en commun de réunir, en un même lieu, des collectionneurs invétérés et des amateurs d’un jour, avides d’acquérir quelque témoignage de l’intimité d’une personnalité illustre.

 

L’« effet collection », de Claude Berri à Gérard Depardieu

La notoriété de la personnalité concernée est, de fait, un paramètre à prendre en compte lorsque l’on analyse les résultats d’une vente de collection. En termes d’adjudications, cet « effet collection » donne lieu, bien souvent, à une plus-value non négligeable. Si une moyenne de 20% est parfois évoquée, elle reste néanmoins difficile à mesurer. Quelques exemples : la vente des souvenirs de Jean Marais, dont le premier opus a attiré en 2009 à Paris quelques huit cents personnes, a totalisé un montant global de 2 millions d’euros, soit le triple de l’estimation initiale ; la vente de la collection du réalisateur et producteur Claude Berri a affiché en 2016 un résultat de 8,3 millions d’euros, dépassant les 7,9 millions d’euros annoncés en estimation haute (+6%) ; la dernière partie de la collection d’Alain Delon a été cédée pour plus de 8 millions d’euros en juin dernier, soit le double de l’estimation… Autant de variations à partir desquelles il serait pernicieux d’établir une quelconque moyenne. Rappelons pour l’heure que ces ventes de collections, fruits de la passion et de l’œil d’un seul homme, doivent aussi, et peut-être en premier lieu, leur succès à l’ensemble cohérent qu’elles proposent. Les chefs-d’œuvre s’y mêlent harmonieusement à quelques pépites méconnues que l’aura médiatique de leur propriétaire offre à redécouvrir. La vente de la collection de Gérard Depardieu, organisée les 26 et 27 septembre, en était un nouveau témoignage, et si l’ « effet collection » se jouait ici sur fond d’une actualité judiciaire peu favorable, les œuvres, leur qualité et leur réunion cohérente, ont eu le dernier mot, attirant de nombreux enchérisseurs et totalisant 4 millions d’euros d’adjudications, avec 95% des lots vendus. 

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