Le 2 novembre 2023 | Mis à jour le 2 novembre 2023

Le musée du Louvre acquiert le Christ moqué de Cimabue vendu à Senlis

par Diane Zorzi

Le ministère de la Culture s’est engagé à acquérir Le Christ moqué de Cimabue et à l’affecter au musée du Louvre. Ce chef-d’œuvre du XIIIe siècle, classé trésor national en 2019, avait été découvert au hasard d’un inventaire près de Compiègne, avant d’être vendu aux enchères au prix record de 24,18 millions d’euros à Senlis.

 

C’est désormais officiel, le musée du Louvre accueillera bientôt en ses murs Le Christ moqué de Cenni di Pepo, dit Cimabue (connu de 1272 à 1302). Le panneau avait été découvert au hasard d’un inventaire près de Compiègne par Philomène Wolf, avant d’être vendu au prix record de 24,18 millions d’euros (frais inclus) par Dominique Le Coënt-de Beaulieu le 27 octobre 2019 à Senlis. Un mois plus tard, il s’était vu conférer le statut de trésor national, l’Etat français ayant refusé de délivrer à l’acheteur le certificat d’exportation afin de disposer d’un délai de trente mois pour réunir les fonds nécessaires à son acquisition. C’est désormais chose faite, le ministère de la Culture s’est engagé à acheter et à affecter ce chef-d’œuvre du XIIIe siècle au musée du Louvre où il rejoindra bientôt la Maestà du maître italien actuellement en restauration. Les deux œuvres ainsi réunies feront l’objet d’une exposition-événement au printemps 2025.

 

Le Christ moqué de Cimabue

Le Christ moqué apporte un éclairage précieux sur le travail de Cimabue, dont seule une dizaine d’œuvres sur bois est parvenue jusqu’à nous. Il complète l’unique œuvre de dévotion privée connue du maître italien : un diptyque qui fut fort probablement démantelé au XIXe siècle par un marchand peu scrupuleux, qui, avide de profits, n’hésita pas à découper les scènes qui composaient ses deux volets en panneaux distincts. Ce diptyque, parvenu à nous incomplet, occupe depuis plusieurs décennies l’historienne de l’art Dillian Gordon. Cette spécialiste des peintures primitives italiennes en proposait une reconstitution, admettant l’existence de huit scènes de la Passion du Christ, dont une Madone et l’Enfant au trône (National Gallery, Londres), Le baiser de Judas (perdu), Le Christ moqué (panneau vendu à Senlis) et La Flagellation du Christ (Frick Collection, New York) composaient le premier volet. Le Christ moqué, découvert dans l’Oise, avait rejoint ce corpus grâce à la réunion d’un faisceau d’indices avancés par le commissaire-priseur et les experts. « Les traces de l’ancien encadrement, les petits pointillés ronds exécutés de la même façon au poinçon, l’ornementation du fond d’or, la correspondance des galeries de vers au dos des panneaux et leur état respectif, confirmaient que notre panneau, ainsi que les panneaux conservés à la National Gallery et à la Frick Collection, constituaient le volet gauche du même diptyque, détaille Dominique Le Coënt-de Beaulieu. La présence des barbes [Ndlr. Les barbes sont des agglomérats de matière picturale qui se constituent sur les bords d’un tableau] de la couche picturale bordant le côté vertical gauche et le côté horizontal inférieur permettait enfin de placer Le Christ moqué en-dessous de La Vierge à l’enfant, et à gauche de La Flagellation. »

 

Cimabue, « Le Christ moqué ». Élément d’un panneau de dévotion. Peinture à l’œuf et fond d’or sur panneau de peuplier H. 25,8 cm ; L. 20,3 cm en tout H. 24,6 cm ; L. 19,6 cm, surface picturale. Epaisseur actuelle : 1,2 cm. Adjugé 24,18 millions d’euros par Dominique Le Coënt-de Beaulieu le 27 octobre 2019 à Senlis.

 

L’un des premiers témoignages de l’art occidental

Ce panneau, peint vers 1280, témoigne de l’évolution stylistique qu’emprunte le peintre florentin au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle. Quelques années avant son élève, Giotto, et son émule, le Siennois Duccio, Cimabue pose les jalons d’un art qui donnera désormais la primauté à la représentation naturaliste de l’espace et des corps. « Cimabue assure le renouvellement de la peinture byzantine en rompant avec son formalisme et ses images codifiées par le dogme, analyse Dominique Le Coënt-de Beaulieu. Il est l’artiste qui ouvre les portes au naturalisme de l’art de la pré-Renaissance, en donnant une âme à ses personnages, et en créant de la profondeur à travers les premières perspectives. » Si le fond d’or ne permet pas encore de marquer la profondeur, de petites architectures, traitées en volumes simples, révèlent déjà le désir de l’artiste de construire un espace en trois dimensions. La position des personnages, elle, répond encore à une hiérarchie symbolique et codifiée, le Christ surplombant la foule. Mais le dessin rompt avec le hiératisme byzantin pour insuffler aux figures une présence plastique saisissante. Le peintre florentin modèle avec souplesse les corps, dont les drapés épousent le mouvement, et donne une âme à ses personnages, empreints d’une vibrante humanité. Individualisés par leurs trognes grimaçantes, les protagonistes s’entremêlent autour du Christ qui, sous le poids d’invectives et de coups, oppose une abnégation déconcertante. Cimabue abandonne le regard perçant et l’allure statuaire des figures byzantines. Sous son pinceau, le Christ adopte une attitude d’abandon, empreinte de naturel et de sérénité. Le personnage sacré, déjà, acquiert une chaleur humaine. « Nous sommes en présence d’un véritable être humain qui s’abandonne et non plus devant une divinité puissante et presque abstraite, résume l’expert Stéphane Pinta. En somme, ce panneau est l’un des premiers témoignages de l’art occidental ».

Preuve, s’il en fallait, de l’importance de ce chef-d’œuvre pour le patrimoine national, la vente organisée à Senlis en 2019 comptait dans ses rangs, outre le musée du Louvre qui, faute de fonds suffisants, n’avait alors pu user de son droit de préemption, des musées internationaux de tout premier plan… 

 

Photo en Une – Le commissaire-priseur Dominique Le Coënt-de Beaulieu présentant le panneau de Cimabue

Haut de page

Vous aimerez aussi