Redécouverte de deux tableaux du primitif italien Pietro Lorenzetti estimés à 2 millions d’euros
Deux panneaux exceptionnels peints au XIVe siècle par le primitif italien Pietro Lorenzetti seront vendus aux enchères par la maison Tajan le 13 décembre à Paris. Représentant Saint Silvestre et Sainte Hélène, ils ont été acquis en 1860 par Alfred Ramé et étaient jusqu’alors inconnus.
[Mise à jour, 14 décembre] Les deux panneaux du primitif Pietro Lorenzetti ont été achetés 4,7 millions d’euros (frais inclus) par un collectionneur d’art contemporain américain.
A Paris, une redécouverte anime le marché de l’art ancien. Deux panneaux de Pietro Lorenzetti (documenté à Sienne de 1306 à 1345) s’apprêtent à emprunter le chemin des enchères. L’événement n’est pas des moindres lorsque l’on sait que ne subsiste dans le monde qu’une trentaine d’œuvres du peintre primitif italien… Le premier panneau, estimé 1,5 à 2 millions d’euros, représente Saint Silvestre. Pape de 314 à 335, il est connu pour avoir baptisé Constantin Ier, le premier empereur romain à épouser la foi chrétienne. Ici, le saint est représenté en pape romain portant la tiare byzantine pour symboliser l’alliance entre les deux régions qui, à cette époque, connaissaient une crise. Lorenzetti le figure dans une posture empreinte d’humilité faisant écho au caractère de Saint Silvestre. En effet, au IVe siècle, le pape avait, en plus de son pouvoir spirituel, un pouvoir temporel avec un Etat et une armée. Mais Saint Silvestre fut un homme qui, s’il « pouvait vaincre, préférait convaincre », résume l’expert Éric Turquin qui a identifié le protagoniste en rapprochant le panneau de plusieurs œuvres, à l’instar des fresques peintes par Maso du Banco et consacrées à Saint Silvestre dans l’église Santa Croce de Florence. Le deuxième panneau est en lien direct avec celui du pape, puisqu’il représente Sainte Hélène, impératrice, épouse de Constance Chlore et mère de Constantin Ier. Elle se convertit également et œuvra à la diffusion de la foi chrétienne. Elle fut canonisée et ainsi reconnue comme sainte par les Églises catholique et byzantine. La légende raconte qu’elle aurait découvert la Vraie croix du Christ. Cette seconde tempera est estimée 400 à 600 000 euros, en raison de son état conservation moindre eu égard à l’état exceptionnel du premier panneau.
Pietro Lorenzetti, un artiste majeur de l’Ecole siennoise du début du XIVe siècle
Avec son frère Ambrogio, Pietro Lorenzetti (1280-1348) fut formé à l’art de Duccio et sensibilisé à la peinture florentine de Giotto, tout comme leur contemporain Simone Martini. Aussi, la trentaine d’œuvres connues de Pietro Lorenzetti permet d’affirmer qu’il est l’un des plus grands artistes siennois du début du XIVe siècle qui participa à faire évoluer la tradition picturale byzantine siennoise en une représentation plus humaine et expressive, annonçant l’humanisme de la Renaissance. Grand technicien de la peinture à fond d’or, il dévoilait également son génie dans la précision des détails par les motifs poinçonnés des nimbes, et dans l’utilisation de couleurs pures, sans mélange des pigments. Enfin, la chrysographie qu’il utilise ici pour accentuer les plis de la robe de Saint Silvestre est une technique dont il usera toute sa carrière. Ce procédé de dessin permettait de souligner le drapé des personnages à l’aide de lignes d’or. Une technique phare de la peinture byzantine qui fut transmise aux artistes italiens des XIIIe et XIVe siècles.
Au regard des spécificités techniques et des œuvres déjà connues, l’attribution de ces deux tableaux à Pietro Lorenzetti est indiscutable. Citons L’Adoration des Mages (musée du Louvre), la Maesta de Cortone (Museo Diocesano) et les fresques du transept gauche de l’église inférieure d’Assise, dont le traitement des vieillards chenus est à rapprocher de celui de Saint Silvestre. Un examen a mis en lumière la présence de mortaises au dos des deux saints qui servaient à l’assemblage des panneaux. Ces détails laissent imaginer que ces deux panneaux faisaient partie d’un plus grand ensemble, comme le retable d’Arezzo réalisé dans les années 1320 par Lorenzetti.
Des panneaux datés autour de 1325
Pour ces deux panneaux, le cabinet Turquin avance une datation située vers 1325-1326, entre la réalisation du retable d’Arezzo, du Polyptyque des Carmes et de la Crucifixion de l’église San Francesco de Sienne. Plusieurs protagonistes de ces ensembles religieux évoquent nos deux saints, à l’image du centurion de la Crucifixion qui, comme Saint Hélène, porte la main à sa poitrine, en signe d’acceptation. Cependant, d’autres spécialistes datent ces deux panneaux à la fin de la carrière de Lorenzetti, après 1340. Ils justifient cette chronologie par l’incroyable raffinement des détails qui ne peut être que le signe de l’aboutissement d’une carrière.
L’identification des personnages représentés fait, elle aussi, débat. Certains spécialistes reconnaissent plutôt Saint Zacharie et Sainte Elisabeth, dont la couleur prune est spécifique à son iconographie. Du côté des figures situées dans les écoinçons au-dessus de Saint Silvestre, là aussi les avis divergent. Le cabinet Turquin les identifie, prudemment, comme étant Abraham, signifié à gauche par l’inscription « ABRAM », et Samuel, à droite. C’est ce dernier qui divise car certains pensent plutôt apercevoir Geremia grâce à l’inscription en dessous indiquant « MSREMIA ».
La France, terre de redécouvertes de tableaux primitifs majeurs
Ces deux pièces historiques ont été mises à jour au sein d’une collection constituée dans les années 1860 par Alfred Ramé, ainsi que le révèle la présence au dos de chaque panneau d’une étiquette portant la mention « RAME ». Ce personnage aux mille facettes, archiviste, archéologue, magistrat, avocat, procureur et historien, a participé à la sauvegarde de nombreuses œuvres anciennes vouées à la disparition. En effet, maints panneaux composant les retables d’églises furent au fil des siècles entreposés dans des chapelles secondaires ou des greniers, afin d’être remplacés au gré de l’évolution des goûts, pour tomber en désuétude dès le XVIIIe siècle. Il faudra attendre l’arrivée de personnalités comme Alfred Ramé pour que ces œuvres soient de nouveau valorisées.
Ainsi, les œuvres ayant échappé aux affres du temps sont rares sur le marché, et une grande majorité d’entre elles a rejoint les musées. En témoignent les récentes acquisitions de panneaux primitifs : le Christ moqué de Cimabue, vendu 24,18 millions d’euros par Dominique Le Coënt-de Beaulieu à Senlis, a rejoint les collections du Louvre en novembre dernier, tandis que le Metropolitan Museum de New York s’est offert en 2019 à Dijon La Vierge à l’Enfant en trône du Maître de Vissy Brod adjugé 6,2 millions d’euros par Hugues Cortot. « Pendant des siècles et jusqu’à la crise de 29, la France s’est enrichie et a importé des œuvres d’art de l’étranger, accumulant un patrimoine unique durant les XVIIIe et XIXe siècles. Ce n’est qu’à partir de 1914, avec les impressionnistes et les cubistes, qu’elle a commencé à exporter jusqu’à se faire doubler par les places de New York et Londres dans les années 70. Il faut rappeler que jusqu’en 1992, l’état français pouvait interdire aisément les sorties du territoire, favorisant de manière contradictoire les ventes discrètes à l’étranger. Depuis 1992, l’assouplissement de ces contraintes a entrainé un changement de cap mais il a fallu 20 ans pour retrouver la confiance des collectionneurs, l’essor d’Internet ayant fait le reste, prouvant chaque jour que l’on peut vendre partout dans le monde depuis n’importe quelle ville en France », explique Eric Turquin. La vente de nos deux panneaux devrait ainsi attirer les amateurs du monde entier. A noter que le musée du Louvre ne compte dans ses collections qu’une seule œuvre de Pietro Lorenzetti, L’Adoration des mages, acquise aux enchères en 1986…
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