Deux plaques en émail de Léonard Limosin adjugées 390 000 euros à Paris
Deux portraits en émail exceptionnels de Léonard Limosin, maître émailleur de la Renaissance, ont été adjugés 390 000 euros par la maison Gros & Delettrez le 19 décembre à Paris. Réalisés vers 1564, et très probablement commandés par Catherine de Médicis, puis collectionnés par la famille Rothschild, ils s’inscrivent dans une série de 32 plaques dont seulement 17 sont parvenues jusqu’à nous et 15 sont actuellement dans des collections publiques. Ces deux plaques sont les dernières connues de la série encore en mains privées.
Ces deux grands portraits rectangulaires, sur fond bleu, représentent des figures inspirées par les Héroïdes d’Ovide, œuvre littéraire qui a profondément marqué la Renaissance en Europe. Réalisées vers 1564 par Léonard Limosin (ca. 1505 – ca. 1575), l’émailleur le plus talentueux du XVIe siècle au service de la Cour, ces plaques pourraient, comme l’expliquent Thierry Crépin-Leblond et Stéphanie Deprouw dans le catalogue de l’exposition « De la Lettre à l’émail. Léonard Limosin interprète Ovide » organisée en 2010 au musée national de la Renaissance à Écouen, avoir été offertes à Catherine de Médicis par Louise de Clermont, une proche confidente de la reine. Elles pourraient aussi avoir été commandées par la reine elle-même, grande passionnée d’émaux de Limoges. À sa mort, l’inventaire de la reine fait état de 259 pièces d’émail, témoignant de son intérêt pour cet art raffiné.
Une commande pour Catherine de Médicis ?
Cette série de plaques explore les thèmes de l’abandon et de la solitude amoureuse, en résonance avec la propre vie de Catherine, veuve inconsolable d’Henri II. Les plaques des Héroïdes décoraient probablement les lambris du « cabinet des émaux » de sa résidence parisienne, aménagée à partir de 1570 sous la direction de l’architecte Jean Bullant (aujourd’hui à l’emplacement de la Bourse du Commerce et dont seule la colonne « Médicis » a été préservée).
Les Héroïdes d’Ovide, Achille et Léandre
Dans les Héroïdes, Ovide adopte une approche épistolaire inédite pour l’époque, présentant une série de lettres fictives écrites par des figures féminines mythologiques ou historiques, souvent confrontées à l’absence ou à l’indifférence de l’être aimé. Véritable innovation poétique, cette œuvre a connu un succès grandissant, influençant aussi bien la littérature que l’art en Europe à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance. Avec la montée de l’Humanisme, ce texte connaît une diffusion exceptionnelle, dépassant même en nombre d’éditions les célèbres Métamorphoses du même auteur. L’ensemble de plaques réalisé par Limosin autour de 1564 traduit cet engouement pour le texte d’Ovide parmi les cercles érudits de la Renaissance et l’esprit humaniste du siècle, qui valorise la dimension universelle des sentiments humains.
De dimensions similaires et toujours sur fond bleu, elles représentent des portraits de personnages en buste, leurs vêtements et coiffures variant entre styles antiques et contemporains. Nos plaques représentent Achille et Léandre, qui incarnent chacun, à leur manière, des idéaux de courage, de passion et de tragédie. Achille, héros de la guerre de Troie, est épris de Briséis, une captive troyenne. Le couple est au cœur du conflit initial de l’Iliade : lorsque Agamemnon, chef des Grecs, force Achille à lui céder Briséis, il se retire du combat, ce qui affaiblit les Achéens et déclenche une série de tragédies qui forment la trame de l’épopée d’Homère. Léandre, quant à lui, par amour pour Héro, une prêtresse d’Aphrodite, traversait chaque nuit à la nage le détroit de l’Hellespont, jusqu’à ce qu’il périsse lors d’une tempête.
Un parcours de collection prestigieux
Après avoir probablement décoré les lambris du cabinet des émaux de Catherine de Médicis, ces plaques entament un parcours de collections remarquables. On retrouve leur trace dans la vente des collections de Mentmore Towers en 1977, propriété de la famille Rothschild. Organisée pour la succession d’Harry Primrose, 6e comte de Rosebery, la vente comportait de nombreux émaux de Limoges, qui avaient été collectionnés passionnément par le baron Mayer Amschel de Rothschild, puis transmis à sa fille Hanna. Puis, en 1981, elles réapparaissent dans une vente chez Sotheby’s à New York. Elles étaient depuis, conservées dans une collection privée européenne.
Aujourd’hui, 17 plaques sur 32 sont arrivées jusqu’à nous : 13 sont dans des collections publiques françaises (notamment au musée national de la Renaissance d’Ecouen qui a préempté la plaque représentant Pâris lors la vente Yves Saint Laurent et Pierre Bergé chez Christie’s en 2009, et fait l’acquisition de celle représentant Ulysse auprès d’un collectionneur en 2012), 2 plaques au Walters Art Museum de Baltimore, les deux plaques mises à l’encan le 19 décembre sont les deux dernières connues en mains privées. Elles ont trouvé chacune preneur à 195 000 euros.
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