
Un nu renversé de Kees van Dongen aux enchères à Neuilly-sur-Seine
Une toile de Kees van Dongen acquise par la galerie Berheim-Jeune en 1910 sera dévoilée aux enchères le 15 novembre chez Aguttes à Neuilly-sur-Seine. Ce tableau, conservé depuis plus de vingt ans dans une même collection, donne à voir un nu à l’abandon, évoquant l’un des sujets de prédilection de l’artiste fauve.
[Mise à jour, 16 novembre 2023] La femme renversée a été adjugée 267 138 euros (frais inclus).
Reconnu pour ses portraits, Cornelis Theodorus Maria van Dongen dit Kees van Dongen (1877-1968) se consacre dès ses débuts à l’Académie royale des beaux-arts de Rotterdam, aux filles de joie du quartier rouge d’Amsterdam, avant d’emménager à Paris en 1897. Là, il tire de maigres revenus de dessins qu’il réalise pour des revues satiriques, à l’instar de L’indiscret, Le Rire ou L’Assiette au beurre, dans lesquelles il traite des sujets de société autour de la pauvreté et de la prostitution. De ce sujet de prédilection de l’artiste, une vente aux enchères organisée par la maison Aguttes le 15 novembre à Neuilly-sur-Seine dévoile une Femme renversée, peinte en 1910.
Une Femme renversée peinte en 1910
Peinte après le Salon d’Automne de 1905 auquel van Dongen prend part aux côtés d’Henri Matisse et Maurice de Vlaminck, La Femme renversée n’a rien perdu du parfum de scandale qui présidait à l’exposition des artistes fauves. Sa composition étonne d’emblée par son absence de ligne d’horizon et de donnée spatiale. Le cadrage exclut même la tête du modèle qui, ainsi anonymisé, est réduit à un corps déshabillé, dont l’on ne perçoit que l’arrière et le postérieur et qui s’offre sans retenue au regard du spectateur.
L’artiste détourne ici un sujet classique de la peinture occidentale, le nu, qu’il dépeint avec une palette contrastée, volontiers provocatrice. Ici, le fond gris indistinct souligne le corps laiteux du modèle, rehaussé de touches de couleurs acides, des rouges, jaunes et verts. « La force expressive du tableau repose sur la contorsion à laquelle est soumis le corps de cette femme dont la position renversée donne son titre à l’œuvre, détaillent les commissaires-priseurs. Une ligne serpentine qui n’est pas sans rappeler celle de la Femme piquée par un serpent d’Auguste Clésinger (Paris, Musée d’Orsay) et partage avec elle les ambiguïtés de son interprétation entre souffrance et plaisir passés ou à venir. »
S’agit-il d’une femme abandonnée par son amant, ou d’une fille de joie délaissée par son client ? L’artiste joue de l’ambiguïté et attribue au spectateur le rôle de voyeur. Un spectateur qu’il interpelle l’année suivante, l’invitant à interroger la notion de pudeur : « Pour ceux qui regardent avec leurs oreilles, voici une femme toute nue. Vous êtes pudiques, mais je vous dis que les sexes sont des organes aussi amusants que les cerveaux, et si le sexe se trouvait dans la figure, à la place du nez (ce qui aurait bien pu être) – où serait la pudeur ? L’impudeur est vraiment une vertu comme l’absence de respect pour beaucoup de choses respectables. »

Kees van Dongen (1877-1968) La femme renversée, 1910, huile sur toile. Signée en bas vers la gauche. 53,9 x 64,9 cm. Estimation 200 000 – 300 000 euros.
Une toile achetée par la galerie Bernheim-Jeune
Provocante au premier abord, La Femme renversée connaît un large succès auprès des marchands d’art de l’avant-garde et son acquisition par la galerie Bernheim-Jeune en 1910 démontre la réussite de l’artiste. En effet, van Dongen, désigné comme Fauve suite à son exposition personnelle à la galerie Bernheim-Jeune de 1907, vend la même année un ensemble de toiles à Daniel-Henry Kahnweiler. Un contrat de sept ans avec la galerie lui permet de voyager en Espagne et au Maroc, mais aussi de vivre de son art. La toile connaît par la suite un tout aussi prestigieux parcours lorsqu’elle est cédée au collectionneur parisien Alphonse Kahn, le premier exploitant des Galeries Lafayette. Elle sera mise à l’encan le 15 novembre à Neuilly-sur-Seine, avec une estimation comprise entre 200 000 et 300 000 euros.