Le 1 mai 2018 | Mis à jour le 3 juillet 2018

Un paysage de Georges Lacombe entre impressionnisme, pointillisme et art nabi

par Diane Zorzi

A l’occasion de l’importante vente annuelle de tableaux de l’école bretonne organisée par Thierry – Lannon et Associés, une huile sur toile du peintre nabi Georges Lacombe sera mise aux enchères samedi 5 mai 2018 à Brest et sur le Live d’Interencheres. Réalisée vers 1910-1913, elle témoigne des dernières années d’un artiste, qui, sans renier la leçon de Paul Gauguin, emprunte les voies du néo-impressionnisme. Décryptage…

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Un cadrage digne de Gustave Caillebotte

Le point de vue est des plus atypiques. Placée au centre de la toile, une barrière irrégulière file le long du ruisseau pour rejoindre un arbre qui s’élève au loin. Tronquée par le bord inférieur du tableau et traitée en raccourci, elle entraîne avec elle le spectateur qui plonge dans le paysage sous l’effet d’une perspective accélérée. Un cadrage quasi cinématographique évoquant les plus belles vues haussmanniennes de Gustave Caillebotte (1848-1894). Cette profondeur est accentuée par un jeu de miroir dans lequel la rivière fait écho aux ombres portées dessinées par la clôture sur le pré, sous la forme de courbes mouvantes.

 

 

Des ombres colorées impressionnistes

L’ombre de la barrière emprunte aux flots ses tons bleu-violacés. Au sein de quelques notes, la petite-fille de l’artiste, Martine Foltz-Lacombe se souvient : « Comme l’ombre des barrières était bleue aux jours écrasants de juillet ! » Lacombe s’inscrit là dans la continuité des maîtres impressionnistes qui, autour des années 1870, se mirent à colorer leurs ombres. N’est-ce pas Pierre-Auguste Renoir qui, un jour, lança : « Un matin, l’un de nous manquant de noir, se servit de bleu : l’impressionnisme était né ! » Ces ombres colorées résultaient en fait de l’idée, véhiculée notamment par l’ouvrage De la loi du contraste simultané des couleurs que Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) publia en 1839, selon laquelle il n’existe aucun noir dans la nature. La plupart des impressionnistes s’attelaient ainsi à éclaircir leurs ombrages, au risque de se heurter à une critique parfois acerbe, parlant d’une véritable « indigo-manie ».

 

Un havre de paix niché dans la campagne normande

Dès 1892, le peintre nabi Georges Lacombe (1868-1916) fuit l’agitation parisienne pour profiter, le temps d’un été, du calme des contrées préservées de la côte Atlantique, allant du petit port breton de Camaret jusqu’à la presqu’île de Crozon. En 1897 ce Versaillais d’origine rejoint finalement la Normandie pour s’installer avec son épouse Marthe Wenger au nord d’Alençon, à Saint-Nicolas-des-Bois. Là, il achète le château de l’Ermitage et puise son inspiration au gré de promenades dans la forêt d’Ecouves et au large du cours de la Briante. « Cette modeste rivière, qui a pris sa source dans les hauteurs de la forêt voisine et qui traverse sa propriété, lui procure quantité de sujets à peindre », détaille la maison de ventes Thierry – Lannon et Associés, spécialisée dans les écoles bretonnes. Ainsi, c’est à quelques 500 mètres de sa demeure, sur la rive gauche de la rivière, qu’il installe son chevalet. De là, il jouit d’une vue imprenable sur la vallée et la forêt que l’on nomme la « haie du Froust ».

 

Une touche divisée

« Dans cette composition, Lacombe associe plusieurs techniques : des petites touches vibrantes héritées de l’impressionnisme et d’autres plus larges pour simplifier. » Réalisée autour de 1910-1913, la toile correspond aux dernières années de l’artiste, qui, sous l’influence du peintre néo-impressionniste Théo Van Rysselberghe, adopte une touche de plus en plus divisée, délaissant les grands aplats colorés de sa courte période nabie de Camaret. Lacombe se renouvelle et affiche une technique de plus en plus maîtrisée. Ainsi ménage-t-il dans le ciel une transition des plus gracieuses entre les frondaisons, à l’aide de la toile laissée apparente ici ou là, pour mieux alterner avec le bleu du ciel. « C’est l’une des œuvres marquantes des dernières années de cet artiste qui meurt prématurément à l’âge de 48 ans. » Il y adopte la manière divisionniste tout en restant fidèle à Paul Gauguin dont il retint une leçon, celle de tout oser.

 

L’une des dernières œuvres encore en collection privée

Acquise en 1987 par l’actuel propriétaire, la toile était restée jusqu’alors au sein de la même collection familiale. « Georges Lacombe l’avait offerte au frère d’un de ses grands amis de lycée qui l’avait ensuite transmise par héritage à son fils. Aussi, la toile n’a connu que trois collectionneurs en un peu plus d’un siècle, ce qui a contribué à son excellent état. » Si les œuvres de Lacombe sont conservées dans les plus grandes institutions, du musée d’Orsay aux musées des beaux-arts de Rennes, Quimper ou Brest, elles se font plus discrètes au sein des collections privées et atteignent des montants importants lorsqu’elles passent en vente aux enchères, à l’image d’une toile de 1895 adjugée 140 000 euros en 2015 à Paris. « Lacombe bénéficiait d’une situation financière confortable et n’avait pas vraiment besoin de vendre ses travaux, précise la maison de ventes. Aussi, sa production est relativement faible en quantité et cette œuvre, estimée entre 25 000 et 30 000 euros, est l’une des dernières encore en collection privée ».

 

Retrouvez la toile mise en vente le 5 mai 2018 à Brest et sur le Live d’Interencheres

 

 

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