Une nature morte d’Alexandre-François Desportes redécouverte en Sologne
Provenant d’une propriété de Sologne, où elle sommeillait depuis une trentaine d’années, une nature morte d’Alexandre-François Desportes sera dévoilée aux enchères par la maison Pousse-Cornet-Valoir le 22 septembre à Blois. Elle compte parmi ses illustres propriétaires le célèbre orfèvre Jean-Baptiste-Claude Odiot.
Si notre toile est connue des historiens de l’art, reproduite dans plusieurs ouvrages de référence à commencer par le Catalogue raisonné de l’œuvre peint et dessiné de François Desportes établi en 1969 par Georges de Lastic, elle goûte à la lumière après avoir demeurée 30 ans dans une propriété de Sologne, près de Salbris. Rapportée d’un appartement haussmannien, elle y avait été soigneusement emballée dans un carton par son propriétaire parisien. Elle s’inscrit dans le corpus des buffets d’orfèvrerie opulents qu’Alexandre-François Desportes (1661-1743) initie sous la Régence en 1720.
Un tableau daté des dernières années de la carrière d’Alexandre-François Desportes
Ces buffets d’orfèvrerie, composés sous forme pyramidale, étaient destinés à être accrochés dans des niches ou boiseries de salles à manger. Placés au-dessus de consoles en marbre, ils prolongeaient ainsi en un formidable trompe-l’œil les plats d’orfèvrerie et victuailles servis aux invités. « Ces trompe-l’œil décoraient les pièces avec un faste inédit, accueillant, sur un fond de ciel, des produits du jardin ou de la ferme et des objets luxueux manufacturés », détaille Stéphane Pinta, expert au cabinet Turquin. Ici, un vase en porphyre côtoie deux bols en porcelaine de Chine et des pièces d’argent de Thomas Germain (1673-1748), l’orfèvre parisien le plus réputé de son temps.
Pour dater le tableau des années 1740, l’expert s’est justement appuyé sur l’étude de ces pièces d’orfèvrerie. En effet, si dans la bibliographie notre tableau est mentionné comme signé et daté de 1740, ces éléments ne sont plus visibles aujourd’hui du fait d’importants repeints dans la partie basse. « Le pot à oille, orné d’une couronne comtale, est un modèle de Thomas Germain, repris par François-Thomas Germain, dont on connaît un exemplaire très semblable daté de 1741-1744, détaille l’expert. Plus bas, un plat à ragoût polylobé, bordé de joncs, à deux anses, est quant à lui très semblable au plat à anses réalisé par Thomas Germain en 1733-1734 et ayant appartenu au service Orléans-Penthièvre aujourd’hui conservé au musée du Louvre ». Le tableau présente en outre de nombreuses similitudes, en sa partie basse, avec la Nature morte à la terrine de pêches et aux deux perdrix conservée au Nationalmuseum de Stockholm et réalisée autour de 1739-1740. « On y retrouve la même terrine et le même jeu de reflets des fruits dans le plat posé derrière », précise Stéphane Pinta.
De Jean-Baptiste-Claude Odiot à Jacques Helft, un tableau d’orfèvre
Notre tableau séduisit d’ailleurs le maître orfèvre Jean-Baptiste-Claude Odiot (1763-1850), avant de rejoindre la collection du célèbre antiquaire et expert en orfèvrerie, Jacques Helft (1891-1980), auteur d’ouvrages de référence, à l’instar d’études sur les poinçons. « Ce n’est probablement pas un hasard s’il a collectionné les œuvres de Thomas Germain, comme les seaux à bouteilles du service Orléans-Penthièvre, qu’il vendit à David David-Weill qui les a donnés au musée du Louvre en 1946 », note Stéphane Pinta. Dans le catalogue raisonné de 1969, Georges Lastic avance en outre une provenance antérieure des plus séduisantes, mentionnant parmi les illustres propriétaires le contrôleur général des finances de Louis XV, Jean-Baptiste de Machault d’Arnouville.
L’œuvre est estimée entre 100 000 et 150 000 euros, un montant attractif lorsque l’on sait que la plupart des œuvres d’Alexandre-François Desportes sont conservées dans les musées. « C’est un tableau pour les amateurs qui aiment autant la peinture XVIIIe que la grande décoration et les objets d’orfèvrerie », précise Stéphane Pinta. Si la France compte encore de grands collectionneurs de peinture XVIIIe, le tableau devrait également séduire outre-Atlantique, les Américains affectionnant particulièrement la grande décoration du siècle des Lumières.