Une toile cubo-futuriste d’Alexandra Exter aux enchères à Vannes
Estimée à plus de 100 000 euros, une toile de la célèbre artiste russo-ukrainienne Alexandra Exter sera vendue aux enchères le 29 octobre à Vannes. Cette œuvre cubo-futuriste a été peinte en 1912 à Paris, la période la plus recherchée sur le marché dans le corpus de l’artiste.
Mise en lumière l’an dernier au Centre Pompidou à Paris à la faveur de l’exposition « Elles font l’abstraction », Alexandra Exter (1882-1949) est une figure incontournable de l’avant-garde russe du début du XXe siècle, ainsi qu’une actrice essentielle de la peinture moderniste, cubiste et futuriste. La perte d’une grande partie de ses œuvres picturales en 1917, ainsi que sa fuite du régime communiste russe en 1924 ont contribué à rendre sa production artistique quasiment invisible en Russie jusqu’au dernier tiers du XXe siècle, limitant ainsi la connaissance par le plus grand nombre d’une œuvre pourtant extrêmement prolifique. La toile « Ville pavoisée », présentée aux enchères par Jack-Philippe Ruellan le 29 octobre à Vannes, reflète le rôle important qu’Alexandra Exter a joué dans la redéfinition des esthétiques cubistes, notamment par ses emprunts au futurisme italien, et donne à voir l’affirmation d’un style résolument original. Elle provient de la collection d’une famille juive ayant fui le communisme moscovite et installée aujourd’hui au Portugal.
Alexandra Exter, une artiste russo-ukrainienne au cœur des mouvements modernistes parisiens
Alexandra Exter fait ses premières gammes à l’École d’art de Kiev, avant de poursuivre sa formation au cours de divers voyages à Moscou et Paris entre 1907 et 1914. Elle vit dans la capitale française de 1912 à 1914, où elle étudie à l’Académie de la Grande Chaumière, une école d’art fondée en 1904 par deux femmes artistes, Martha Stettler et Alice Dannenberg, et véritable foyer intellectuel et artistique des peintres et créateurs de Montparnasse. « Elle fréquente Guillaume Apollinaire, Pablo Picasso, Jean Metzinger et plus particulièrement Fernand Léger, dont elle est très proche, explique le commissaire-priseur Jack-Philippe Ruellan. Elle est reconnue comme une artiste majeure de nombreux courants picturaux, peignant des œuvres reprenant les codes du cubisme de 1910 à 1912, avant d’entrer dans une dynamique futuriste dans la suite de sa production artistique, et participant à l’éclosion de la peinture constructiviste en Russie. » Elle côtoie également des artistes comme Georges Braque, Max Jacob et Sonia Delaunay. Elle est ainsi placée au cœur des réflexions des mouvements picturaux modernistes du XXe siècle et son atelier de Kiev attire à partir de 1917 de nombreux artistes, poètes, cinéastes et critiques.
Elle fait par ailleurs la démonstration de son talent polyvalent en confectionnant des vêtements pour le théâtre et le cinéma. Elle travaille notamment sur les costumes de la tragédie Salomé d’Oscar Wilde en 1922 et sur des esquisses de costumes pour le film de science-fiction Aelita du réalisateur russe Yakov Protazanov en 1923. Jack-Philippe Ruellan poursuit : « Suite à sa période parisienne, elle retourne vivre quelque années à Moscou, mais se voit contrainte de fuir le régime communiste en 1924, à l’instar des peintres Natalia Gontcharova et Kasimir Malevitch, et s’installe définitivement à Paris. » Elle se consacre alors à l’enseignement au sein de l’académie d’art contemporain de Fernand Léger de 1926 à 1930, et à l’enluminure de manuscrits à partir de 1933. Grâce à son travail pour le théâtre, elle figure parmi les rares femmes présentées lors de l’événement « Cubism and abstract art » au Moma en 1936, une exposition états-unienne marquante réunissant divers médiums artistiques.
Une toile à la croisée des influences cubistes et futuristes
Si ses premières œuvres s’inscrivent dans l’héritage du cubisme parisien, Alexandra Exter se libère rapidement de la rigidité des carcans du mouvement initié par Picasso. Elle participe notamment aux « Salons des Indépendants » et à l’exposition de « La Section d’or » en automne 1912, évènement marquant des arts plastiques qui, en l’absence de Picasso et Braque, donne une nouvelle impulsion au mouvement d’avant-garde.
La toile d’Alexandra Exter mise en vente s’inscrit à mi-chemin entre le cubisme et le futurisme. Les lignes cassées du paysage se restructurant en verticales ou diagonales franches évoquent les figures urbaines brisées de Georges Braque. La ville se plie sur elle-même, s’abat dans un désordre cacophonique sur cet espace de verdure, tentant de résister aux assauts de la pierre en se développant telle une nuée. L’œuvre reprend ainsi les codes du cubisme, dont on retrouve la décomposition et la fusion de différents points de vues en un seul. Mais elle adopte également le dynamisme du futurisme, dont la glorification du mouvement et de la vitesse se retrouve dans la convergence des maisons vers le centre de la composition.
Cette fascination pour la modernité urbaine est caractéristique du mouvement futuriste, même si cette œuvre en propose une variante, compte tenu de la présence de la nature qui semble résister à la cité en pleine mutation. Quant à la présence des drapeaux français, collés sur les toits des maisons par la force centrifuge, ils évoquent un jour de fête. La toile est ainsi une lettre d’amour au cubisme, réinterprété à l’aune du futurisme. Ce croisement audacieux témoigne du style particulièrement original d’Alexandra Exter, et de sa place clé dans l’art moderne.
Les peintures issues de la période parisienne d’Alexandra Exter sont les plus recherchées sur le marché. Une « Composition », datant également de 1912, détient en effet le record de vente avec une adjudication portée à 1, 267 million d’euros à Londres en 1989. Plus récemment, une composition puriste de 1925 a quant à elle trouvé preneur à 1,257 million d’euros en 2014 à Londres. A noter qu’un certificat, en date du 23 février 2006, de Nadia Filatoff, expert en Art russe et spécialiste de l’artiste Alexandra Exter, sera remis à l’acheteur de cette toile estimée entre 100 000 et 150 000 euros.