
Une toile de Théodore Géricault aux enchères à Bordeaux
Le commissaire-priseur Antoine Briscadieu présentera le 14 octobre à Bordeaux une étude exceptionnelle de vingt-et-une croupes de chevaux attribuée à Théodore Géricault et à l’un de ses collaborateurs. Le tableau, expertisé par le cabinet Turquin, est une variante des Croupes de la collection Noailles, un chef-d’œuvre classé trésor national par l’état français.
A lire Théophile Gautier, « nul artiste n’a rendu comme Géricault l’idéal de la perfection chevaline ». L’auteur du Radeau de la méduse a consacré, au cours de sa courte carrière, plus d’une dizaine de tableaux et des centaines de dessins célébrant le monde équestre, tant et si bien que, pour son tombeau, Antoine Etex s’inspire de l’anatomie chevaline pour façonner le visage du peintre – « Géricault, c’est le cheval incarné », affirme-t-il au détour de l’une de ses leçons de dessin. Théodore Géricault (1791-1824) s’adonne à ce motif pictural dès ses années d’apprentissage, auprès de Carle Vernet et de Pierre-Narcisse Guérin, et n’aura de cesse, jusqu’à la fin de sa vie, de le décliner, dépeignant tour à tour l’animal sur un champ de bataille, à l’écurie ou au travail ; en portrait équestre et de tête ou vu par la croupe… Autant d’angles à partir desquels cet admirateur de George Stubbs explore avec un réalisme saisissant l’anatomie et l’expressivité des chevaux – un réalisme dont la vente aux enchères de Vingt-et-une croupes de chevaux à l’écurie offre un témoignage probant.
Une toile provenant de l’ancienne collection de Frédéric Meuron
La toile demeurait dans la collection familiale de Frédéric Meuron (1786-1864), l’un des cofondateurs et administrateurs de la Compagnie générale des omnibus de Paris, avant qu’elle ne change de main en 1977 lors d’une vente orchestrée par Tajan à Paris. Si elle fut alors mise à l’encan avec une attribution à Géricault, les experts du cabinet Turquin y adjoignent aujourd’hui la main d’un collaborateur, évoquant au rang des candidats, Antoine Alphonse Montfort (1802-1884). « Cet artiste est celui qui est le plus souvent cité comme compagnon d’équitation et l’un des peintres ayant travaillé aux côtés de Géricault », détaillent les experts qui, grâce à des archives, ont pu établir que Monfort connaissait les « Croupes Noailles ».

Théodore Géricault (Rouen 1791-Paris 1824) et un collaborateur. « Vingt-et-une croupes de chevaux à l’écurie », huile sur toile, 74 x 92 cm. (Restaurations anciennes). Estimée entre 400 000 et 600 000 euros.
Une variante des Croupes de la collection Noailles
Les « Croupes Noailles »… Ce chef-d’œuvre issu de la collection du vicomte Charles de Noailles s’est vu refuser en juin 2022 son certificat d’exportation, sur l’avis de la commission consultative des trésors nationaux. « Notre tableau en est une variante, de mêmes dimensions, et en partie autographe », précisent les experts, confortés par l’examen in visu de Philippe Grunchec, l’auteur du catalogue raisonné de l’œuvre peint de Géricault. « Il nous indique que Géricault a mis en place la composition. Il a peint les quatre premiers chevaux en haut à gauche, dont les infrarouges révèlent toute la qualité. » Si les cinq premières croupes en haut à gauche sont quasiment identiques à la version Noailles, des variations sont à noter dans les deux rangées inférieures. « Le poitrail a disparu, le nombre de chevaux est réduit de 24 à 21, les attitudes et les robes sont différentes », détaillent les experts du cabinet Turquin. L’effet d’ensemble, quant à lui, est identique.
Un tableau estimé entre 400 000 et 600 000 euros
Le tableau, estimé 400 000 à 600 000 euros, permet d’apprécier le style réaliste de l’artiste qui parvient à insuffler un dynamisme à sa composition, en individualisant chacune des croupes. « Une robe (gris pommelé, alezan, isabelle), un mouvement de la queue, une couverture et une position des postérieurs… La représentation zoologique, d’histoire naturelle, d’après nature, est transformée chez lui en œuvre d’art par la variante des couleurs des robes et des textures », décrivent les experts. Au gré d’une gamme colorée restreinte à des bruns, marrons, blancs et gris, Géricault évoque l’individualité de chaque animal, offrant au spectateur le loisir de reconstruire, à partir de la croupe, l’anatomie complète. « Géricault personnifie l’esprit romantique, concluent les experts. A la fois par sa vie tourmentée, celle d’un homme pressé, d’une étoile filante qui bouleverse l’histoire de la peinture occidentale, et par son caractère novateur et révolutionnaire, son énergie centrée sur la puissance de la nature, qu’il symbolise ici à travers la représentation des chevaux, avec un style puissamment réaliste, nerveux, enlevé et rapide. » A noter que le Musée de la Vie romantique organisera l’an prochain, à l’occasion du bicentenaire de la mort de l’artiste, une exposition consacrée aux chevaux dans l’œuvre de Géricault.