Record mondial pour une Chartreuse de 180 ans d’âge
Le 3 avril dernier en Savoie, Mikaël Bennour présentait aux enchères un flacon exceptionnel de Chartreuse daté de 1840-1852. Le précieux élixir a été adjugé au prix record de 46 800 euros.
« Acquérir et déguster un tel flacon est un privilège rare », prévenait le commissaire-priseur Mikaël Bennour lors de la présentation aux enchères le 3 avril dernier d’une bouteille historique : une Chartreuse verte jamais ouverte depuis sa fabrication entre 1840 et 1852. De quoi attiser les convoitises d’une dizaine d’amateurs de spiritueux qui n’ont pas hésité à pousser les enchères jusqu’à 46 800 euros (frais compris) pour s’offrir le précieux élixir. « L’intérêt était soutenu en Europe, ainsi qu’en Asie, et nous avons battu le record mondial qui avait été établi à Genève en novembre dernier avec une bouteille de Chartreuse de 1878 adjugée autour de 25 000 euros ». Selon l’expert en spiritueux, Fernan Deuss-Frandi, seule une quinzaine de bouteilles de Chartreuse de la période 1840-1852 est répertoriée dans les collections privées. « Notre Chartreuse nous permettait de faire un bond dans le passé, à l’époque de Louis-Philippe ou de la IIe République, et promet une explosion de saveurs ! »
La Chartreuse, un mystérieux élixir élaboré au XVIIe siècle
Ces saveurs sont le fruit d’une recette dont seuls quelques moines connaissent aujourd’hui le secret. La Chartreuse fut élaborée au début du XVIIe siècle d’après un mystérieux manuscrit rapporté par le Duc d’Estrées, frère de la célèbre favorite d’Henri IV. « Selon la tradition orale, ce manuscrit, qui pourrait provenir de Constantinople, révélait la formule d’un élixir à base de plantes, explique Mikaël Bennour. Le Duc d’Estrées le remit en 1605 aux moines de la Chartreuse de Vauvert, à Paris, qui réalisèrent ainsi cette recette d’une grande complexité technique (macérations, distillations, infusions…) et nécessitant l’usage de 130 plantes. » En 1737, le manuscrit parvient au Monastère de la Grande Chartreuse, dans le Dauphiné. Le frère Jérôme Maubec, autrefois apothicaire de la Chartreuse de Prémol, améliore alors l’apparence et le goût du breuvage, en y intégrant du sucre et en diminuant le pourcentage d’alcool, et fixe ainsi en 1764 la formule définitive de l’Elixir Végétal de la Grande-Chartreuse. « Les vertus médicinales de la Chartreuse sont louées partout en Europe et la renommée de l’élixir dépasse rapidement le cadre régional. La Chartreuse séduit les plus grands au fil des siècles au point d’être surnommée la Reine des Liqueurs. »
Des bouteilles de 1878 et 1912 adjugées jusqu’à 13 200 euros
Aujourd’hui, les liqueurs des Chartreux suscitent un engouement croissant sur le marché, attirant aussi bien des amateurs en quête de nouvelles sensations gustatives que des investisseurs. Samedi dernier, une Chartreuse jaune Fourvoirie de 1878-1903 et une Chartreuse jaune Tarragone de 1912-1913 ont ainsi dépassé aisément leurs estimations, fixées entre 6 000 et 8 000 euros, pour trouver respectivement preneur à 13 200 et 11 400 euros (frais compris). « Les bouteilles anciennes sont rares et très recherchées, détaille le commissaire-priseur. Leur conservation est plus aisée que celle du vin car ce sont des alcools qui aiment les chocs de température. Ainsi, avec le temps, la Chartreuse se bonifie et révèle toutes ses subtilités gustatives. » En amont de la vente, le commissaire-priseur et l’expert avaient d’ailleurs invité les chefs étoilés Laurent Petit et Romain Hubert à déguster deux échantillons provenant d’une bouteille ouverte de 1840. « Ils ont été émerveillés par l’originalité du précieux breuvage qui leur a inspiré des recettes que nous avions mis à la disposition des enchérisseurs. La Chartreuse offre des saveurs très atypiques qui devraient d’ailleurs particulièrement intéresser au cours des prochaines années le marché asiatique. Les techniques de macération de cette liqueur ont souvent été comparées aux techniques asiatiques et tibétaines et c’est un alcool qui devrait particulièrement bien se marier avec la cuisine asiatique riche en épices. »
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