De fer et de feu : les dagues Dumonthier
Les armes dites « à système » produites au XIXe siècle et au début du XXe siècle recèlent des trésors d’inventivité et, pour certaines d’entre elles, conservent une image quelque peu féroce. L’expert Michel Fradin nous présente les dagues-pistolets Dumonthier.
Dans l’histoire des armes à feu, le XIXe est le siècle de toutes les innovations majeures à l’origine des armes de poing ou d’épaule en usage aujourd’hui. Maintes inventions fleurissent autour de 1850, visant à améliorer la puissance de feu, la vitesse du tir, la vitesse de rechargement, la maniabilité ou encore l’association de l’arme à feu et de l’arme blanche. On voit ainsi apparaître des revolvers et pistolets à canons multiples, à barillets à deux rangées de cartouches ou à systèmes d’ouverture et d’éjection plus ou moins efficaces, ainsi que des combinaisons de canons rayés et de canons lisses ou d’une arme à feu et d’une arme blanche (couteaux de poche-pistolets, poignards-revolvers, cannes-épées-revolvers ou association d’un poing américain avec un revolver et, pour faire bonne mesure, avec une lame de couteau pliable).
Si la liste des inventions est infinie, la plupart de ces armes étaient néanmoins jugées trop fragiles et complexes à utiliser. Aussi, elles n’eurent qu’un succès commercial limité et restèrent le plus souvent sagement rangées dans leurs étuis ou coffrets. Ces armes, désignées par le nom générique de « systèmes », sont donc relativement rares aujourd’hui et bénéficient d’un fort intérêt de la part des collectionneurs. Ces derniers apprécient leur inventivité mécanique, la qualité de leur fabrication ou encore leur traitement esthétique. Ces armes, destinées à l’origine à une clientèle aisée, ont en effet un aspect parfois impressionnant et sont souvent dotées de riches ornements.
Dumonthier et les armes combinées
Parmi les armuriers les plus réputés du XIXe siècle, Joseph-Célestin Dumonthier à Paris s’était fait une spécialité des armes combinées. Sous le Second Empire, deux de ses armes, notamment, ont acquis une réputation flatteuse due à la robustesse de leur conception et à leur qualité de fabrication. La première était un revolver-coutelas. Il s’agissait d’un revolver à broches classique, mais dont le canon était foré dans l’épaisseur d’une forte lame de poignard, formant ainsi un ensemble monobloc solide, alors qu’à l’époque les autres objets de ce type utilisaient une fine et courte lame de couteau soudée sous le canon du revolver. N’évoquons pas l’encombrement d’un tel ensemble et la difficulté à le transporter dans la poche…
La dague-pistolet Dumonthier
L’autre arme combinée de Dumonthier, probablement la plus réussie esthétiquement et correspondant à un vrai besoin, était une dague de chasse-pistolet produite entre 1850 et 1870. Elle était destinée à « servir » le grand gibier, cerf ou sanglier, en donnant un coup au cœur, selon la tradition. Mais en conditions de chasse un grand cerf ou un vieux sanglier peuvent ne pas se montrer très coopératifs et représentent un danger mortel…pour le chasseur cette fois-ci. Il peut donc être très utile, dans ces circonstances, de disposer d’une arme à feu pour mettre une distance de sécurité entre le chasseur et l’animal et lui tirer le coup fatal.
A cette fin, Dumonthier allait associer à la forte lame de sa dague deux canons de calibre 9 mm de puissance suffisante, d’autant que le tir se pratiquait à une distance de quelques pas. L’idée n’était pas neuve. De telles dagues-pistolets existaient depuis le XVIIIe siècle, mais elles utilisaient des mécanismes à silex fragiles et encombrants. L’innovation majeure de Dumonthier fut d’utiliser les deux quillons formant la garde de la dague comme chiens à percussion assurant la mise à feu des pistolets. Ces deux quillons articulés s’arment indépendamment l’un de l’autre. Ils sont actionnés par un ingénieux système de détentes qui, au repos, sont dissimulées dans la poignée et sortent une fois les chiens armés. Ce mécanisme permettait ainsi de tirer sélectivement avec l’un ou l’autre des deux canons.
Les deux canons très rapprochés de la lame n’alourdissent que très peu l’arme et permettent de la loger dans un fourreau qui reste assez élégant. L’arme ne se distingue finalement d’une dague classique que lorsqu’elle est tirée du fourreau. Gageons que le propriétaire d’un tel objet devait, en révélant son mécanisme, susciter la surprise de ses partenaires de chasse…
La poignée en corne ou en métal, cannelée et en forme de crosse de pistolet, masque complètement le mécanisme et les détentes. La lame droite, à double tranchant et gouttière centrale, rappelle celle des « Kindjals » caucasiens. Les chiens invisibles au repos, le fourreau de forme dodue et gainé de cuir, s’inscrivent pleinement dans l’esthétique de l’époque, marquée par l’orientalisme. D’ailleurs, le Proche-Orient et les Balkans furent un marché important pour Dumonthier. Ces régions, où l’arme était une composante à part entière du costume masculin, apprécièrent particulièrement ce bel objet comme arme de défense individuelle, la chasse n’y étant pas pratiquée de la même façon qu’en Europe.
Aujourd’hui ces armes sont relativement rares sur le marché et séduisent toujours par leur inventivité et leur esthétique. Elles fédèrent aussi bien les amateurs de « systèmes » que les amateurs de vénerie. L’une d’elles, à poignée en corne brune et détente unique, sera vendue aux enchères par Véronique Ingels le 8 septembre prochain à Roanne, avec une estimation de 1 800 à 2 200 euros.
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