L’une des rares trompettes de Sax créées spécialement pour l’opéra Aïda aux enchères à Vichy
L’une des rares trompettes inventées par Adolphe Sax pour la célèbre marche triomphale de l’opéra Aïda de Guiseppe Verdi sera dévoilée aux enchères le 13 avril à Vichy. Retour sur l’histoire étonnante de cette invention mythique inspirée des instruments de l’Egypte antique…
[Mise à jour, 30 avril 2024] La trompette de Sax a été adjugée 3 750 euros (frais inclus).
C’est à la demande du vice-roi d’Égypte, Ismaïl-Pacha, que Guiseppe Verdi (1813-1901) composa son célèbre opéra Aïda. Le compositeur romantique italien, connu pour son souci de rendre les drames aussi crédibles que possible, accorda une attention toute particulière à la reconstitution des environnements et des personnages. Le livret fut réalisé par Antonio Ghislanzoni et s’inspirait d’un texte de l’égyptologue Auguste Mariette, à qui Verdi confia la confection des décors, costumes et accessoires. Il restait alors à trouver les trompettes adéquates qui sonneraient la fameuse marche triomphale, marquant la fin de l’acte II et l’entrée en scène des personnages clés que sont le pharaon, sa fille Amnéris, Aïda, le grand prêtre Ramphis et Radamès. Rappelons l’intrigue de cet opéra en quatre actes : Radamès, chef des armées égyptiennes, s’éprend d’Aïda, l’esclave éthiopienne de la princesse Amnéris, elle-même éprise de Radamès. Un triangle amoureux au dénouement inévitablement dramatique, la princesse faisant emmurer vivants Radamès et Aïda dans une crypte.
L’origine des trompettes d’Aïda
Ces trompettes devaient, par leur forme et leur sonorité, donner l’impression de dater de l’Egypte antique – à lire Plutarque et son traité d’Isis et d’Osiris l’instrument devait produire « un son d’âne ». Une flûte antique, conservée au musée égyptien de Florence, retint un temps l’attention du compositeur. « Verdi se documenta sérieusement pour trouver la trompette appropriée. Il avait notamment entendu parler de cette flûte antique et se rendit au musée avec l’espoir de trouver l’inspiration pour la conception de la trompette d’Aïda. Mais le constat fut amer et la désillusion importante, l’instrument exposé étant jugé banal », explique le commissaire-priseur Etienne Laurent.
Verdi s’adressa alors au facteur milanais Giuseppe Pelitti qui réalisa « six trompettes droites de forme égyptienne antique » pour la première au théâtre du Caire le 24 décembre 1871. Mais le son, à en croire les témoignages de l’époque, n’était pas satisfaisant. Verdi fit alors appel en 1880 au facteur belge, Adolphe Sax, connu pour être l’inventeur du saxophone, afin qu’il conçoive les trompettes destinées aux représentations parisiennes. « La conception de ces trompettes ne fut pas, là-encore, sans difficultés, poursuit le commissaire-priseur de Vichy Enchères. Après avoir étudié les trompettes italiennes, Sax entreprit plusieurs expériences, cherchant à perfectionner le son et la forme des instruments. Finalement, après la construction de soixante modèles dans ses ateliers en l’espace de trois mois, Sax parvint à atteindre ses objectifs. Pour éviter toute contestation à l’approche de la première représentation, il garda secrète la finalisation de ses recherches ».
Les répétitions se déroulèrent avec les instruments initiaux, jusqu’au soir de la première représentation où les trompettes définitives firent leur entrée en scène – deux jeux de trois trompettes droites, respectivement en si et la bémol, munies d’un pavillon à double collerette. « Quand elles entrèrent en scène, ce fut un coup de théâtre, comme on en a rarement vu,… même au théâtre. Il y eut un frémissement dans toute la salle. Verdi, qui dirigeait l’exécution de son opéra, se leva, mu comme par un ressort. Vaucorbeil, penché hors de sa loge, applaudissait à tout rompre. Le succès fut immense et la presse emboucha à cette occasion des trompettes qui ne le cédaient en rien à celles qu’elle avait charge de célébrer », raconte Edmond Neukomm dans son Histoire de la musique militaire parue en 1889.
Le secret d’Adolphe Sax
L’invention de la trompette d’Aïda de Sax s’inscrit pleinement dans les réflexions contemporaines sur la parabole. « Au XIXe siècle, l’application des propriétés réfléchissantes de la parabole à la conception d’instruments de musique, qu’il s’agisse de la lumière ou du son, était un sujet de réflexion chez les facteurs d’instruments, et Adolphe Sax en avait fait une affaire personnelle, détaille Etienne Laurent. Il avait exploré cette idée dans divers brevets, tant pour les instruments à vent que pour les salles de concert. »
En 1866, Sax avait déposé le brevet d’une salle à la forme parabolique, destinée à obtenir les conditions d’audition idéales pour tous les spectateurs, à partir d’un système d’aération et de ventilation permettant de diriger les sons de manière à ce que les auditeurs en perçoivent toute l’ampleur et la puissance. « Il appliqua ce principe aux instruments et déposa, en 1881, un brevet suggérant l’ajout d’un pavillon parabolique aux instruments en cuivre, qui influencerait leur timbre et portée sonore. Et c’est justement en appliquant concrètement cette invention qu’il fabriqua ses trompettes d’Aïda. »
Les trompettes d’Aïda sont ainsi dotées d’un pavillon interne étroit, similaire à celui utilisé pour les anciennes trompettes égyptiennes. « Bien que Sax ait été un précurseur dans l’application de la parabole aux cuivres, d’autres ingénieurs, comme Théodore Lambert Prosper Alexandre, ont également déposé des brevets similaires dès 1845. »
Une rare trompette d’Aïda en vente à Vichy
C’est dans ce contexte qu’a été créée la trompette d’Aïda qui sera présentée aux enchères le 13 avril à Vichy avec une estimation de 2 000 à 3 000 euros. « Il s’agit de l’un des rares modèles que nous connaissons d’Adolphe Sax, ce qui lui confère une importance historique majeure, précise Etienne Laurent. Bien que son pavillon soit différent des autres, la trompette conserve son système de pistons caractéristiques et ses autres parties originales, dont sa marque. Les trompettes d’Aïda de ce type sont très rares, car elles ont été réalisées en petite quantité, et les quelques modèles qui ont survécu sont désormais conservés dans des collections publiques. »
Jusqu’alors, seules deux séries de six instruments de Sax étaient référencées. « Ce modèle serait donc le 13e connu. Nous savons notamment qu’au XIXe siècle, deux jeux de trois de ces trompettes d’Aïda faisaient partie de la collection du comte Adhémar de Foucault, alors à la tête d’une impressionnante collection et d’un orchestre privé de cuivres. » Ces instruments ont été dispersés lors de ventes aux enchères. Deux trompettes se trouvent aujourd’hui dans les collections d’instruments de musique de l’Université d’Edimbourg et du Trompetenmuseum de Bad Säckingen. On en trouve un jeu complet de six au Musée de la Musique de Paris. Un modèle est également conservé dans la collection privée de Bruno Kampmann. « Ces trompettes présentent deux variantes en ce qui concerne le positionnement des pavillons. Certaines ont leur pavillon parabolique placé quelques centimètres avant le pavillon principal, tandis que d’autres l’ont fixé à l’extrémité du pavillon normal. Selon les spécifications du brevet de Sax, cela affecterait le son différemment dans chaque cas. » Cette découverte d’une nouvelle trompette d’Aïda réalisée par Adolphe Sax offrira dès lors à son propriétaire le loisir rare d’entendre sonner à nouveau l’instrument, quand presque tous ses pairs sont aujourd’hui exposés dans des vitrines muséales.