
Une gouache inédite de Chagall adjugée 240 000 euros dans le Pas-de-Calais
Alors que le Centre Pompidou consacre une exposition à l’avant-garde russe avec Marc Chagall comme figure emblématique, une nature morte de l’artiste, jusqu’alors jamais passée sur le marché, a été adjugée 240 000 euros (frais compris) par Maîtres Anne Richmond et Julien Debacker samedi 14 avril 2018 à Saint-Martin-Boulogne dans le Pas-de-Calais. Datée de 1951, elle constitue un émouvant témoignage autobiographique, dévoilant, à travers la représentation de deux limandes, les peines de cœur du peintre biélorusse naturalisé français.
Une œuvre restée dans la même collection depuis 1955
Si les œuvres de Marc Chagall (1887-1985) investissent les cimaises de nombreux musées, elles se font plus discrètes sur le marché de l’art, sortant rarement des collections privées. En témoigne cette nature morte qui, après être restée pendant plus de soixante ans au sein de la même collection, était mise aux enchères samedi 14 avril à Saint-Martin-Boulogne. « Cette œuvre sur papier n’était jamais passée aux enchères, détaille Maître Anne Richmond, en charge de la vente. Elle fut réalisée en 1951, période au cours de laquelle Chagall était lié par un contrat avec la Galerie Maeght à Paris. L’établissement la vendit quatre ans plus tard à Alex Maguy qui tenait alors la Galerie de l’Elysée, rue du Faubourg Saint-Honoré, et qui la céda à son tour en novembre 1955 à l’une de ses meilleures clientes résidant à Neuilly. » Cette dernière, familière des cercles artistiques et littéraires parisiens, constitua au cours de sa vie une importante collection, à tel point que la revue Art & Décoration lui consacra un photoreportage. Publié au cours de l’hiver 1960, il donnait à voir, dans un intérieur bourgeois, l’œuvre encadrée de Chagall accrochée au-dessus d’une console d’époque Charles X – une mise en scène confidentielle, au service d’un sujet des plus intimistes.
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Une nature morte symbolisant ses peines de cœur
Au premier abord, le tableau dévoile une nature morte classique, où deux limandes posées dans un plat sont entourées d’un bouquet de fleurs, de citrons et d’un couteau. Mais à mesure que l’on s’approche, au fil d’un bleu profond, d’un vert émeraude, d’un rose fuchsia, le regard luisant du premier poisson nous attire : il pleure, tout en arborant un léger sourire. « Au cours de sa vie, Chagall réalisa deux types d’œuvres : des peintures complexes teintées de symbolisme et des natures mortes pures et simples. Toutefois, notre gouache se situe parfaitement entre les deux. Elle est remplie de symboles et figure en fait derrière les deux poissons, un couple. » A l’époque où Chagall réalise la gouache, il vient tout juste de se remettre d’une douloureuse rupture amoureuse. De retour à Paris depuis deux ans, il retrouve peu à peu un équilibre. « C’est ce nouvel apaisement qu’il traduit ici. En effet, le poisson est un véritable avatar du peintre, qui, autour des années 1950, s’en sert pour ses autoportraits, usant de ce même minois pointu. » A côté du couple de poissons, d’autres symboles apparaissent. Près du bord inférieur gauche, un visage mystérieux se dessine en transparence, tandis que le couteau au premier plan évoque ses œuvres religieuses, telles Le Sacrifice d’Isaac qu’il réalisera quelques années plus tard.
Adjugée 240 000 euros à un professionnel français
« Le fait que cette œuvre se situe entre deux tendances rendait son estimation plus complexe, car on ne pouvait se référer ni aux natures mortes, ni aux œuvres symbolistes déjà passées en vente, explique Maître Anne Richmond. Nous étions toutefois restés prudents en la fixant entre 60 000 et 80 000 euros. » Mais cette gouache poétique et émouvante a envoûté les collectionneurs et créer la surprise, profitant de l’engouement suscité par l’exposition du Centre Pompidou qui met à l’honneur jusqu’au 16 juillet cet artiste originaire de Vitebsk qui fit de Paris sa terre d’élection. Devant une salle comble, ce ne sont pas moins de 23 téléphones qui se sont disputés la gouache. « Un enchérisseur avait également fait le déplacement et a poussé les enchères jusqu’à 110 000 euros ! Mais c’est finalement un professionnel français qui a acquis la gouache à 200 000 euros prix marteau, soit 240 000 euros frais compris. »
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