
Des manuscrits médiévaux de l’abbaye du Mont-Saint-Michel disparus depuis 300 ans
En ce début 2018, les découvertes patrimoniales se succèdent à Alençon. Après avoir adjugé à 90 000 euros un chef-d’œuvre du peintre Pierre-Alexandre Wille, Maîtres Patrice Biget et Frédéric Nowakowski s’apprêtent à mettre en vente samedi 5 mai 2018 à Alençon et en Live sur Interencheres un ensemble très rare de textes manuscrits. Disparus depuis près de 300 ans, ils furent rédigés entre le XIIe et le XIIIe siècle pour le scriptorium de l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Retour sur ces documents d’archive inédits…
La maison de ventes d’Alençon vit au rythme de l’époque médiévale. En effet, elle s’apprête à mettre aux enchères un ensemble exceptionnel de plusieurs textes réalisés entre le XIIe et le XIIIe siècle et disparu depuis près de 300 ans. « Une personne est venue nous voir avec un volume de textes anciens, raconte Maître Patrice Biget. Elle n’en connaissait pas la provenance, mais savait qu’ils étaient liés à l’histoire du Mont-Saint-Michel. » Au fil des recherches, l’illustre origine se précise. Le commissaire-priseur avait entre ses mains des manuscrits provenant du scriptorium de l’abbaye du Mont-Saint-Michel.
Une provenance illustre
Au Moyen-âge, le Mont-Saint-Michel s’impose comme l’un des plus hauts lieux intellectuels en Occident. A la fin du Xe siècle, son abbaye bénédictine s’enrichit d’une bibliothèque à laquelle est annexé un scriptorium qui devient rapidement l’un des ateliers monastiques les plus productifs de la chrétienté, surnommé alors la « Cité des Livres ». Là, des moines copient chaque jour manuellement les pages des ouvrages indispensables à la vie religieuse, et ils sont rejoints par des artistes qui développent un style de lettrines et d’ornement propre à l’abbaye. « La bibliothèque et le scriptorium font du Mont-Saint-Michel un véritable terreau intellectuel, leur richesse étant aujourd’hui comparable à celle de la Bibliothèque nationale de France », détaille le commissaire-priseur.
Mais avec la Révolution française, les bibliothèques de la noblesse et du clergé sont saisies par les Révolutionnaires pour former les premiers fonds publics, qui donneront naissance plus tard aux bibliothèques municipales. Plus de 3 000 livres, dont près de 300 manuscrits, quittent alors l’abbaye du Mont-Saint-Michel pour rejoindre la ville d’Avranches et constituer un futur musée, le Scriptorial. « Notre manuscrit quant à lui n’apparaît pas dans les inventaires de la bibliothèque d’Avranches réalisés à partir de 1801, poursuit Maître Patrice Biget. Sa dernière mention date d’un inventaire de 1795. Or, l’ensemble ne comporte aucune mention, cote, chiffre ou tampon datant de la période révolutionnaire et accréditant du changement de propriétaire. Cet élément nous laisse à penser que l’auteur de l’inventaire de 1795, le bibliothécaire Pierre-François Pinot-Cocherie, s’était uniquement référé à un précédent inventaire réalisé en 1739, sans s’assurer de la présence effective du manuscrite au sein de la bibliothèque. La dernière trace de notre document daterait donc de 1739. Probablement a-t-il disparu dans la tourmente entre 1795 et 1801, lors de la saisie de l’Etat. »
Un témoignage de la production artistique et intellectuelle des XIIe et XIIIe siècles
« Malgré son ancienneté, cet ensemble est demeuré indemne des vicissitudes du temps, complet et dans un état de fraîcheur remarquable », note Maître Patrice Biget. On y découvre ainsi quatre textes : des éléments de géographie, un traité de musique, suivis de deux poèmes satyriques. « Le traité de musique dévoile l’ancienne codification musicale avant que ne soient utilisées les notes. Les sept sons sont dès lors indiqués par les lettres « abcdefg ». Le traité est par ailleurs ponctué de l’émouvante prose de Saint Aubert Evêque, qui fonda le Mont-Saint-Michel en 708. On y retrouve les lettrines rouges et vertes caractéristiques du scriptorium du Mont-Saint-Michel aux XIe et XIIe siècles. » Sur 55 feuillets, le poème satirico-didactique Architrenius, rédigé en latin et composé en 1184 par Jean de Hanville, dénonce la gloutonnerie et la luxure, en empruntant un ton moralisateur. « On y découvre une écriture en gothique primitive du XIIIe siècle, également utilisée pour le dernier texte, l’Anticlaudianus d’Alain de Lille, une épopée latine au sujet allégorique. » Au dos de celle-ci, un texte est accompagné d’une esquisse sommaire sur laquelle on reconnaît un personnage en buste tenant une lance. « Peut-être s’agit-il de l’Archange Saint-Michel… »
Un document inédit sur le marché
« Cet exemplaire, qui sera proposé à la vente le 5 mai avec une mise à prix de 50 000 euros, est absolument rarissime. Aucun manuscrit de l’abbaye du Mont-Saint-Michel, aussi complet et lisible que celui-ci, n’était jusqu’alors passé aux enchères. Il pourrait intéresser une bibliothèque française ou étrangère, ou même un grand collectionneur de manuscrits comme peut l’être Bill Gates ! », s’enthousiasme le commissaire-priseur, avant de préciser qu’une demande de restitution par les services de l’Etat est en cours. Affaire à suivre…
Retrouvez le manuscrit mis en vente le 5 mai 2018 à Alençon et sur le Live d’Interencheres
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