Du musée aux enchères : l’exposition « Les Hollandais à Paris » du Petit Palais
Jusqu’au 13 mai 2018, le Petit Palais présente, en partenariat avec le musée Van Gogh d’Amsterdam, une exposition, mécénée par le Crédit Municipal de Paris, partenaire d’Interencheres, et consacrée aux artistes hollandais qui séjournèrent à Paris entre 1789 et 1914. Des traditionnelles peintures de fleurs de Gérard Van Spaendonck aux toiles abstraites de Piet Mondrian, elle met en lumière les échanges artistiques, esthétiques et amicaux qui se nouèrent entre les peintres hollandais et français, à l’aube de la modernité. Retour sur cet événement parisien à travers une sélection d’œuvres réalisées par les artistes exposés et adjugées aux enchères ces dernières années…
De la fin du XVIIIe au début du XXe siècle, Paris devient un centre artistique incontournable en Europe. Les peintres et sculpteurs du monde entier se pressent pour rejoindre la Ville Lumière, attirés par le nouveau dynamisme de sa vie artistique. Parmi eux, plus d’un millier d’artistes hollandais font le voyage de 1789 à 1914. « Si les Hollandais allaient étudier auparavant en Italie ou en Allemagne, ils se tournent vers Paris dès l’époque romantique », explique Christophe Leribault, directeur du Petit Palais qui présente jusqu’au 13 mai 2018 l’exposition « Les Hollandais à Paris ». A Paris, les artistes étrangers peuvent se former au Louvre en allant voir les Antiques et découvrir la peinture française, anglaise, italienne ou flamande absentes de leurs musées nationaux. Ils ont accès à l’Ecole des Beaux-Arts ou ils rejoignent des ateliers privés. Ils bénéficient d’un marché de l’art dynamique, soutenus par les galeristes et marchands, alors nombreux à séjourner dans la capitale. « Toutes les conditions sont réunies pour qu’un artiste puisse se former, progresser et se faire connaître, poursuit Christophe Leribault. Celui-ci peut être promu par l’une des nombreuses galeries de la capitale, et espérer rencontrer des collectionneurs français, américains et même néerlandais qui viennent régulièrement « faire leurs courses » à Paris. »
Diffuser son héritage
« Gérard van Spaendonck (1746-1822) fait figure de précurseur pour toute une génération de peintres néerlandais qui souhaitent faire le voyage jusqu’à Paris », poursuit Christophe Leribault. Dès 1769, ce jeune artiste plein d’ambition rejoint la capitale, emportant avec lui une tradition vieille de plus d’un siècle : la nature morte florale. Depuis le XVIIe siècle, celle-ci constitue aux Pays-Bas un véritable genre pictural. Les artistes y exaltent les charmes de la nature à travers des compositions denses et soigneusement ordonnées, tirées d’études d’après nature. « Autour de 1770 à Paris, la nature morte aux fleurs et aux fruits jouit d’un regain d’intérêt dans les beaux-arts et l’étude de la nature occupe une place de premier plan dans les sciences, ainsi qu’en témoignent les publications de Jean-Jacques Rousseau. Les nombreuses découvertes en matière de botanique faites dans le courant du XVIIIe siècle éveillent l’intérêt pour l’observation des végétaux et leur illustration. La nature n’est plus considérée alors comme un phénomène inerte, mais comme une force agissant sans cesse sur les autres êtres vivants. La vogue des fleurs dans les sciences et les arts se reflète jusque dans l’industrie du luxe (mode, parfums, mobilier, porcelaine). » Nommé en 1793 professeur de dessin botanique au jardin des Plantes, Van Spaendonck participe largement à la diffusion de cet héritage néerlandais dont il forme les artistes les plus talentueux tel Pierre-Joseph Redouté (1759-1840), ce « Raphaël des Fleurs » qui n’allait pas tarder à marquer à son tour l’histoire de l’iconographie naturaliste.
Faire carrière
Venir à Paris constitue pour nombre d’artistes néerlandais un véritable tremplin. Ainsi Ary Scheffer (1795-1858) quitte-t-il sa Dordrecht natale pour s’installer rue Chaptal en 1811 et bâtir à son tour une carrière des plus brillantes. A l’ombre de sa maison, des artistes aussi célèbres que Delacroix, Ingres, Paul Delaroche, Horace Vernet, Chopin, Liszt se retrouvent et échangent sur l’art et la littérature, la musique parfois et la politique. Avec ses compagnons, Ary Scheffer noue des liens amicaux autant qu’artistiques, empruntant volontiers les thèmes chers aux peintres romantiques, de la Divine Comédie au Faust de Goethe. Encensé par le roi Louis-Philippe, ses compositions connaissent un succès tel quelles sont reproduites, gravées et diffusées à travers l’Europe. « Ary Scheffer profite alors de sa position influente pour soutenir de jeunes peintres français, notamment plusieurs paysagistes de l’école de Barbizon, et les introduire auprès de collectionneurs, explique Christophe Leribault. Il met même son atelier à la disposition d’artistes refusés au Salon, tel Théodore Rousseau, pour qu’ils puissent y travailler et exposer leurs tableaux. »
Se défaire du poids de la tradition
A partir du milieu du XIXe siècle, les artistes étrangers affluent de plus en plus vers Paris, attirés par ses expositions universelles et son marché de l’art particulièrement actif. Parmi eux, Johan Barthold Jongkind (1819-1891) parvient à se faire connaître en dehors du système de l’art officiel et de l’Académie. Menant une vie de bohème, il fréquente assidument les cafés, restaurants et cabarets autour de Montmartre où il rencontre des artistes, des marchands et des acheteurs. Il se fraye un chemin auprès des acteurs de l’école de Barbizon Théodore Rousseau, Jules Dupré, Narcisse Diaz de la de la Peña, ou encore Constant Troyon qui influencent durablement sa manière de peindre. Comme Jacob Maris ou Frederik Hendrik Kaemmerer, l’installation à Paris lui permet de se dégager de l’héritage pictural étouffant du XVIIe siècle hollandais, alors au fondement de l’enseignement artistique aux Pays-Bas et de se frotter aux innovations artistiques qui se jouent dans la capitale. « Jongkind, que le peintre Paul Signac voit comme le « génial précurseur » des impressionnistes, encourage à son tour, par sa liberté technique et la fraîcheur de sa vision, des artistes tels qu’Eugène Boudin ou Claude Monet à tracer d’importantes voies nouvelles dans la peinture française. »
Participer aux avant-gardes
A la fin du XIXe siècle et jusqu’à la Première Guerre mondiale, Paris devient un passage obligé qu’empruntent les plus grands artistes de Vincent Van Gogh à Kees van Dongen (1877-1968) et Piet Mondrian. A l’aube de la Première Guerre mondiale, Montparnasse s’impose comme un centre artistique incontournable en Europe. Les artistes se retrouvent à la Closerie des Lilas, à La Rotonde, au Dôme, au Select, à la Coupole ou encore au Bal Bullier. Miséreux, ils s’entraident, partagent leur gain au cours de soirées alcoolisées et échangent leurs idées. « On y crève, ou on en sort célèbre » dira Chagall. Cette vie nocturne fascine Van Dongen qui en fait son sujet de prédilection, montrant l’animation des cafés-concerts et musics-hall au gré de toiles aux couleurs les plus vives et violentes. Mondrian change quant à lui sa touche lors de ses séjours parisiens, abandonnant peu à peu la figuration pour l’abstraction au contact de Braque et Picasso. Ainsi, venus chercher l’inspiration, les peintres hollandais contribuent en retour à l’avènement de l’art moderne, prenant part aux plus grandes innovations artistiques, du Fauvisme à l’Abstraction, et participant pleinement au foisonnement des avant-gardes parisiennes.
De l’exposition aux enchères…
Cette mobilité frénétique qui pousse, aux XIXe et XXe siècles, les artistes hollandais à quitter leur patrie pour rejoindre Paris, a aujourd’hui des répercussions sur le marché de l’art. « Ces peintres plaisent beaucoup aux Pays-Bas et notamment à Maastricht, explique Elisabeth Maréchaux, experte en art des XIXe et XXe siècles. Mais en France, un artiste comme Ary Scheffer, qui a passé la majeure partie de sa vie à Paris et qui était particulièrement bien inséré dans la vie artistique, est véritablement considéré comme un peintre français. Aussi, ses œuvres sont soumises aux mêmes règles que celles de ses pairs français du XIXe siècle. » Dès lors, lorsqu’une toile du peintre romantique français Paul Delaroche s’envole à plus de 280 000 euros à Londres en 2010, une autre signée Ary Scheffer trouve preneur à Paris la même année à plus de 220 000 euros.
Sur le marché français, trois artistes hollandais se détachent et agitent particulièrement les enchères, ayant marqué de façon durable l’histoire de l’art occidental : Jongkind, précurseur de l’impressionnisme, Van Dongen, figure majeure du Fauvisme, et Mondrian, pionnier de l’Abstraction. « Ce sont les artistes hollandais les plus recherchés en France car ils y ont vécu et y ont fini leur vie.» Ainsi, un paysage peint par Jongkind s’est envolé à 520 000 euros à Amsterdam en 2006, un portrait de Van Dongen a été acquis pour 8,3 millions d’euros à New York en 2009 et une composition abstraite de Mondrian s’est envolée à plus de 39 millions d’euros à New York en 2015. « Leurs œuvres attirent les collectionneurs du monde entier, quel que soit le sujet, un paysage hollandais se vendant aussi bien qu’une vue des rues de Paris. »
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