Le 15 septembre 2023 | Mis à jour le 15 septembre 2023

Gilles Grannec, le patrimoine breton perd un fidèle gardien

par Diane Zorzi

Le commissaire-priseur Gilles Grannec est décédé tragiquement le 29 août dernier, agressé au couteau lors d’une expertise chez un particulier. Avec sa disparition, le patrimoine breton perd l’un de ses plus fidèles gardiens.

 

Gilles Grannec a rejoint l’étude brestoise Thierry-Lannon en 1994 pour y effectuer son stage de commissaire-priseur, et ne l’a jamais quittée, animant, aux côtés de Philippe Lannon, des ventes d’art breton d’envergure mondiale. Né le 1er juin 1968, ce Quimpérois d’origine est demeuré attaché à ses terres, sa vie durant. « Il ne concevait sa vie nulle part ailleurs », souligne sa consœur Sandy Surmely qui a rejoint l’étude en 2018. « Lorsque l’on tombe amoureux de la Bretagne, on a beaucoup de mal à s’en détacher », ajoute Philippe Lannon qui se souvient avec émotion de sa première rencontre avec Gilles Grannec, alors jeune étudiant. « C’était au début des années 1990. Il m’avait été recommandé par un professeur de droit. Je l’ai alors accueilli pour un premier stage d’une dizaine de jours. Je me rappelle qu’il m’avait confié qu’il adorait la numismatique. C’est ainsi qu’a débuté notre histoire commune. »

Diplômé en 1995, Gilles Grannec travaille d’abord en tant qu’expert indépendant, un statut qu’il endosse avec talent, s’illustrant dès 1998 avec la découverte d’une œuvre de l’artiste américain Richard Edward Miller (1875-1943), L’Ombrelle, adjugée 3,6 millions de francs (548 816 euros) à Brest. A ce tableau orphelin, retrouvé dans un restaurant ouvrier, Gilles Grannec parvint à redonner une signature, à l’issue de plusieurs mois de recherches menées de concert avec des experts outre-Atlantique. Cette année-là, il lançait sa carrière et rencontrait son épouse Gwenaëlle. « Je l’entendais souvent dire que l’année 1998 avait été déterminante dans sa vie, et il y ajoutait, comme autre événement marquant, la coupe du monde », se souvient Sandy Surmely. Au lendemain de la réforme de la profession, en 2000, Gilles Grannec revêt l’habit du commissaire-priseur pour s’associer à l’étude Thierry-Lannon, avant de prendre la suite d’Yves Thierry, dont il rachète la charge de commissaire-priseur judiciaire deux ans plus tard. « Yves Thierry avait lancé à Brest les ventes d’art breton et il a été un véritable mentor pour Gilles », précise Sandy Surmely.

Cette spécialité, Gilles Grannec la poursuit avec détermination, donnant à ces vacations l’allure de musées éphémères dédiés au patrimoine breton. En 2008, il organise en duo avec Philippe Lannon la vente des œuvres de Mathurin Méheut (1882-1958) issues du partage entre les héritiers du peintre et le musée Mathurin Méheut de Lamballe. Un événement des plus symboliques qui, initié par son prédécesseur Yves Thierry, concrétisait le passage de témoin du maître à l’élève. « Nous avons un historique de complicité formidable ensemble, poursuit Philippe Lannon. Nous avons mené toutes les grandes ventes en duo et nous échangions chaque jour sur les objets, les tableaux qui nous étaient confiés.»

 

Mathurin Méheut (1882-1958), « Les filets bleus », technique mixte, 71 x 103 cm.

Paul Sérusier (1864-1927), « Le battage du blé noir » ou « La batterie, Le Pouldu », 1890, Huile sur toile, signée bas gauche, 46,5 x 61,5 cm.

Eric Forbes-Robertson (1865-1935), « Jeunes Breton et Bretonne », 1892, huile sur toile, 100 x 73 cm. Musée de Pont-Aven.

 

Au fil des ans, Gilles Grannec s’impose en spécialiste de Mathurin Méheut, un expert que les confrères sollicitent volontiers lorsqu’un doute subsiste quant à l’authenticité d’une œuvre. « Il était infiniment respecté des historiens de l’art et conservateurs pour ses connaissances livresques dans l’art breton et l’école de Pont-Aven, et il a toujours fait en sorte que les œuvres puissent rejoindre les musées », poursuit Sandy Surmely. Encore récemment, une huile sur toile du peintre anglais Eric Forbes-Robertson (1865-1935), Jeunes Breton et Bretonne, rejoignait les collections du musée de Pont-Aven, dans le cadre d’une acquisition de gré à gré. « Nous avons été conviés par la conservatrice Sophie Kervran à l’accrochage du tableau sur les cimaises le 30 janvier dernier, se souvient Philippe Lannon. C’était un instant de partage privilégié avec Gilles. Le musée de Pont-Aven a une importance toute particulière pour nous car cette institution, née en 1985, a œuvré au rayonnement de l’école de Pont-Aven alors que nous initions la spécialité au sein de notre étude. C’est un moment qui nous a uni avec Gilles. Nous étions très fiers d’avoir permis cette acquisition. »

Depuis sa disparition, le 29 août, les messages émanant de confrères se succèdent sur les réseaux sociaux, et si, avec la peine, les mots se dérobent encore, ils dessinent un homme passionné, drôle et généreux. « Gilles était extrêmement bienveillant et incarnait la joie de vivre, décrit Sandy Surmely. Il avait un sourire communicatif et il était très volubile, une véritable tornade ! S’il chérissait les œuvres d’art, il aimait avant tout les gens. Il donnait l’impression d’être proche de tous ses clients, il prenait de leurs nouvelles, et l’on mesure aujourd’hui à quel point la frontière entre client et ami est parfois ténue. » Philippe Lannon évoque à son tour la perte d’un homme « vaillant, plein d’énergie, toujours jovial et heureux de vivre. Je perds un associé et un ami, quelqu’un de formidable qui représente une part importante de ma vie.»

A l’Hôtel des ventes de Brest, ce père de deux enfants laisse un vide immense, en même temps qu’un souvenir impérissable. « Avec Sandy, nous avons un défi désormais à relever : faire vivre Gilles Grannec au travers des ventes qu’il adorait. C’est une belle histoire qu’il faut poursuivre », conclut Philippe Lannon. En octobre, une vente que Gilles Grannec préparait cet été encore avec passion sera organisée en son hommage : la dispersion d’une collection d’œuvres de Mathurin Méheut, un artiste dont le nom demeurera, dans l’histoire des ventes aux enchères, indissociable de celui de notre cher commissaire-priseur qui, en juillet encore à la rédaction, nous contait avec gourmandise quelques histoires savoureuses autour d’un illustrateur dont il partageait, sans nul doute, la fantaisie et l’hédonisme, Félix Loriou. Avec la rédaction, ce sont tous les collaborateurs d’Interencheres qui présentent à sa famille et à ses proches leurs plus sincères condoléances, et partagent leur peine devant cette disparition, bien trop précoce.

 

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