
L’art du pastel, mariage d’amour de la couleur et du dessin
S’il triomphe au siècle des Lumières, le pastel connaît un renouveau à la fin du XIXe siècle. De l’impressionnisme au symbolisme, il devient un outil d’expérimentation privilégié des plus grands artistes et prend part à la naissance de l’art moderne.
De l’esquisse préparatoire à l’œuvre achevée, le pastel a parcouru bien des siècles avant de goûter à la reconnaissance. À la croisée de la peinture et du dessin, il s’est au fil des années tant nourri qu’affranchi de l’un et de l’autre – « mariage d’amour de la couleur et du dessin » résumait en poète, José-Maria de Heredia. Fabriqué au XVIe siècle, hissé au rang de peinture au XVIIIe, il est déprécié au lendemain de la Révolution, avant d’offrir certaines de ses plus belles expressions en pleine révolution industrielle. Longtemps considéré comme une technique secondaire, exposé au Salon après les peintures, le pastel jouit d’un regain d’intérêt alors que naît en 1885 la Société des pastellistes français et que l’Exposition universelle de 1889 lui offre un pavillon dédié.
Fort du soutien des plus grands critiques, le pastel s’impose dès lors comme un art à part entière. De l’impressionnisme au symbolisme, il devient un outil d’expérimentation fécond pour les artistes et prend part à la naissance de l’art moderne. Entre les doigts d’Edgar Degas, Berthe Morisot ou Odilon Redon, il se renouvelle pour donner vie à des visages veloutés, à la grâce d’un instant maternel au parc, au scintillement pénétrant d’une lueur surnaturelle. Une vitalité propre au pastel qui devait inspirer aux frères Goncourt le joli nom de « poussière de vie ».

Rosalba Carriera (1675-1757) Portrait, pastel sur papier, 69 x 53 cm. Estimé entre 5 000 et 6 000 euros.
Du portrait mondain aux scènes populaires
Au XVIIIe siècle, le pastel connaît un véritable âge d’or, porté par le talent de Maurice Quentin de La Tour, Rosalba Carriera, Jean-Baptiste Perronneau, Jean-Etienne Liotard, ou encore de Joseph Vivien. Le procédé se limite alors presque exclusivement au portrait donnant à voir les profondeurs de l’âme, l’élégance d’un visage, la beauté d’une soierie, et avec eux le symbole de toute une société. Elevé au rang d’art majeur, le pastel doit finalement attendre le dernier quart du XIXe siècle pour retrouver toute sa splendeur. A partir des années 1870, les pastellistes du siècle des Lumières, un temps passés de mode, envoûtent à nouveau les collectionneurs. Soutenus par les frères Goncourt, ils habillent désormais les murs des musées et expositions et inspirent les artistes. La collectionneuse américaine Louisine W. Havemeyer raconte ainsi que seuls les pastels de Maurice Quentin de La Tour pouvaient sortir Degas de sa vie faite d’économies et de solitude. Gauguin lui aussi étudie minutieusement le maître du siècle passé, qu’il ne comprend véritablement qu’à la suite d’un voyage dans sa ville natale, à Saint-Quentin, autour de 1887. Dans la lignée des grands maîtres du XVIIIe, James Tissot, Albert Besnard, Jacques-Emile Blanche s’adonnent ainsi au portrait mondain, qui devient pour eux une pratique particulièrement rentable. Si la classe bourgeoise en pleine ascension n’a pas les finances de l’aristocratie, elle souhaite se faire portraiturer et opte ainsi pour le pastel, un médium plus rapide et moins cher que la peinture.

Edgar Maxence (1871-1954), Portrait de JA Coutan sculpteur membre de l’institut. Pastel sur papier. 70 x 45 cm (à vue). Signé et daté. Estimé entre 1 200 et 1 500 euros.
Élites bourgeoise ou aristocratique, tous sont sous le charme de cette technique délicate à même de rendre le velouté et la douceur des carnations. James Tissot dépeint alors les élégantes parisiennes dans leurs robes fastueuses, quand Victor Prouvé les préfère lascives et contemplatives. Puis les portraits de riches notables traités par Charles Léandre dans la plus pure tradition académique, jusqu’aux nus atypiques de Pierre Carrier-Belleuse, le pastel investit les grands formats, rivalisant avec la grande peinture. Il inspire aux artistes la plus grande liberté et s’ouvre à une large palette de sujets, allant jusqu’aux scènes de la vie paysanne, avec Léon Lhermitte, Julien Dupré ou Jean-François Millet. Les artistes ne se refusent aucun sujet et s’essaye à tous les usages du pastel : hachures, traits, bâtonnet ou travail à l’estompe de manière à donner des effets de fondus et de velouté… Autant de possibilités, délaissées jusqu’alors, qui offrent aux artistes un large terrain d’expérimentation.

Julien Dupré (1851-1910), Fanage à la fourche ou Grande paysanne à la fourche. Pastel et fusain sur papier coloré. Signé en bas à droite. 63 x 78,5 cm. Estimé entre 1 200 et 1 800 euros.
Des impressions spontanées
Rapide d’exécution, le pastel séduit les impressionnistes, soucieux de saisir le motif dans ses infinies variations. Forte d’un matériel facilement transportable, cette technique est idéal pour travailler en plein-air et permet ainsi aux artistes de traduire la fugacité des impressions et variations atmosphériques. En quelques traits estompés de mauve, de gris, de blanc, de bleu et de violet, Claude Monet suggère Le Pont de Waterloo à Londres qui, onduleux, se mêle à la légère houle de la Tamise, baigné des vapeurs de cheminées se dégageant des usines environnantes. Par sa souplesse et sa spontanéité, le pastel épouse parfaitement l’esthétique impressionniste. Comme il accroche le papier, le pastel accroche la lumière, qu’aucun médium ne vient chasser.

Pierre Carrier-Belleuse (1851-1933), Danseuse assise sur le rebord d’une fenêtre. Pastel. Signé et daté « Pierre Carrier-Belleuse, 1913 » en bas à gauche. Estimé entre 5 000 et 7 000 euros.
De tous les artistes impressionnistes, Degas règne sans conteste en maître sur le pastel. Avec ses hachures aux couleurs pures et flamboyantes, il donne vie aux chairs de ses nus féminins. L’artiste expérimente plusieurs techniques. Afin de varier les effets, il utilise le pastel pour rehausser ses monotypes ou le mélange à d’autres procédés tels que la gouache. À sec ou en lavis, dense ou léger, le pastel devient l’objet de toutes les expérimentations, traduisant la flamboyance de la toison rousse d’une femme à la toilette, ou la délicate légèreté du tutu d’une danseuse. La figure humaine, saisie dans son quotidien, devient une source d’inspiration féconde pour les impressionnistes qui voient dans le pastel l’art intime par excellence. Auguste Renoir ou Mary Cassatt recourent alors à cette technique pour leurs portraits domestiques. Avec la plus grande sincérité, l’artiste américaine surprend ainsi l’expression ingénue d’une petite fille aux bras potelés ou s’empare avec tendresse et douceur de l’étreinte d’une mère et de son enfant. Usant de l’estompe, les artistes animent véritablement leurs modèles.

Gaston Bouy (1866-1943), Jeune femme en robe jaune orangée. Pastel sur papier. Signé en bas à droite et daté 1902. 47 x 27,5 cm. Estimé entre 300 et 500 euros.
Un flou mystérieux
C’est cette même technique que les symbolistes reprennent à leur compte. Par sa matière poudreuse et vaporeuse, le pastel introduit les figures dans des espaces indistincts où règne une atmosphère empreinte de mystère. Il en est des figures fantomatiques de Lucien Lévy-Dhurmer ou des paysages méditerranéens et irréels de Ker-Xavier Roussel. Le pastel devient le procédé le plus à même d’exprimer les rêves et les réalités intérieures si chers aux symbolistes, en quête d’idéal. Pour un artiste comme Odilon Redon, le passage au pastel constitue un tournant. A l’âge de 52 ans, il délaisse la technique du fusain qu’il choyait jusqu’alors pour adopter une autre matière, toute aussi poudreuse. Il emploie le pastel dès 1880, mais ça n’est qu’une dizaine d’années plus tard que le noir laisse définitivement place aux couleurs les plus éclatantes. Dans ces œuvres annonciatrices de l’abstraction, les méandres colorés prennent finalement le pas sur les sujets représentés. « Mes dessins inspirent et ne se définissent pas, avertit l’artiste. Ils nous placent, ainsi que la musique, dans le monde ambigu de l’indéterminé ». Devant cet univers onirique, il convient alors de se laisser aller à l’émotion d’une contemplation purement esthétique, quasi spirituelle. Avec Odilon Redon aboutissait ainsi une quête, celle de la couleur, en des œuvres où la grâce de formes vaporeuses se mêle à l’intensité et à la puissance de couleurs pures et irradiantes.
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Henry de Groux (Bruxelles 1867 – Marseille 1930), Persée délivrant Andromède. Pastel sur papier marouflé sur toile. 65 x 53 cm. Signé. Estimé entre 1 000 et 1 500 euros.