Des lettres de Zadkine, Chaissac et Céline
Les lettres autographes et les manuscrits collectées par un amateur parisien seront mis aux enchères suite à succession par Maître Marie-Laure Thiollet mardi 10 octobre 2017 à Argenteuil et sur le Live d’Interencheres. Du poète et peintre d’art brut Gaston Chaissac à l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, en passant par Camille Pissarro, Ossip Zadkine, Jean Cocteau ou Max Jacob, cette collection hétéroclite révèle les correspondances intimes d’artistes qui ont marqué l’histoire de l’art et de la littérature des XIXe et XXe siècle. Retour sur nos trois coups de cœur…
La déception amoureuse de Céline
C’est à New York, le 2 août 1934 que Louis-Ferdinand Céline adresse à son ami écrivain et poète Lucien Descaves cette carte postale, estimée entre 700 et 900 euros et représentant une vue du mythique hôtel Waldorf-Astoria. Avec aigreur, il lui annonce son retour imminent.
« Voici le retour ! On apprend à tout âge ! Mais nous ne vieillissons pas maître ! Nous ne savons pas ! Je voudrais apprendre à vieillir. »
Quelques années plus tôt, Céline tomba amoureux d’une danseuse américaine, Elizabeth Craig. Rencontrée en 1926 alors qu’il travaille pour la Société des Nations à Genève, elle marquera profondément l’écrivain qui lui dédie son célèbre Voyage au bout de la nuit publié en 1932. Mais celle qui fut son premier grand amour et qu’il surnomme « L’Impératrice » le quitte finalement en 1933, après s’être installée un court moment avec lui rue Lepic à Paris. Bien décidé à la reconquérir, Céline part à sa recherche en Californie. Mais l’arrivée est douloureuse. Céline découvre que la jeune femme a épousé un agent immobilier juif, Benjamin Tankel. Plus qu’une déception amoureuse, cet événement est considéré par certains spécialistes comme un des points de départ de son antisémitisme qui se matérialisera à la fin des années 1930 par la rédaction de pamphlets antisémites.
« D’autres lettres de Céline seront également mises aux enchères, note Guy Martin, expert en autographes et manuscrits. L’écrivain y parle de sa vie, de ses malheurs, de son exil à Copenhague ou encore de ses procès au lendemain de la Libération. »
L’un des derniers totems de Gaston Chaissac
« Ma maladie évolue à ravir et c’est avec assez d’indifférence et plutôt même avec joie que je vois m’arriver la mort qui me débarrassera définitivement de la misère. » En 1963, quelques mois avant de mourir, Gaston Chaissac (1910-1964) adresse cette lettre, estimée 4 000 et 6 000 euros, à l’écrivain et critique d’art Michel Ragon, rencontré dix-huit ans plus tôt. Il y évoque « sa peinture moderne rustique », ses expositions à Nantes, sa publication dans le magazine Arts.
Sur une page à côté, on reconnaît à travers l’esquisse d’un bonhomme debout, son style enfantin et ses totems qui lui valurent d’être convié dès 1948 aux premières expositions d’Art Brut. Mais ce temps glorieux est déjà derrière lui. Il est mis à l’écart par Jean Dubuffet qui considère son bagage culturel et son intégration à la vie artistique parisienne, contraires aux préceptes d’un art pur et brut, indemne de toute culture artistique. Cette relation tumultueuse avec le père de l’Art Brut n’empêchera pourtant pas l’artiste d’entrer de plein pied dans l’histoire de l’art moderne.
Dans cette vente, quatre lettres de Gaston Chaissac offrent ainsi, en plus d’un témoignage intime, un morceau de son œuvre.
La critique acerbe d’Ossip Zadkine
Ce texte violent (estimé entre 1 000 et 1 500 euros) que le sculpteur Ossip Zadkine (1890-1967) adresse à l’un de ses amis évoque la postérité mouvementée de la célèbre sculpture de Balzac par Auguste Rodin. Commandé par la Société des gens de lettres, ce monument en hommage à l’auteur de La Comédie humaine fut jugé trop novateur et fit scandale lors de son exposition en 1898. La commande fut alors annulée. Ce n’est qu’en 1939, vingt-deux ans après sa mort, que la sculpture est coulée en bronze et installée sur le boulevard Raspail à Paris. La lettre de Zadkine témoigne de cet apaisement d’après-guerre où personne ne conteste désormais « le génie de Rodin ».
Pourtant, un article publié dans le magazine Arts le révolte. « Comment se fait-il que des monceaux des stupidités des quolibets et calembours sans finesse, et qui misérablement veulent être de l’esprit, ont trouvé place dans les pages de l’Art et offensent un des rares et plus beaux monuments publiques de Paris », s’exclame-t-il. Cette correspondance intime révèle ainsi l’admiration que le sculpteur français d’origine russe portait à l’égard de Rodin, qu’il nomme avec un grand respect « le Maître ».
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